Anat MatarAnalyse/ Ha’aretz, 27 aout 2009. Il y a quelques jours, le Dr. Neve Gordon de l’université Ben Gourion du Néguev a publié un éditorial dans le Los Angeles Times. Dans cet article il expliquait pourquoi, après des années d’activité dans le camp de la paix ici, il a décidé de placer ses espoirs dans l’application d’une pression extérieure sur Israël – comprenant des sanctions, les désinvestissements et un boycott économique, culturel et universitaire.
Il croit, et moi aussi, que ce n’est que quand la couche privilégiée de la société israélienne paiera vraiment le prix de l’occupation continuelle, qu’elle prendra finalement de vraies mesures pour y mettre fin.
Gordon regarde la société israélienne et voit un Etat d’Apartheid. Tandis que les conditions de vie des Palestiniens se détériorent, de nombreux Israéliens bénéficient de l’occupation. Entre ces deux bords, la société israélienne sombre dans un déni complet – attirée vers une haine et une violence extrêmes.
La communauté universitaire a un rôle important à jouer dans ce processus. Pourtant, au lieu de sonner l’alarme, elle ne se réveille que quand quelqu’un ose approcher la communauté internationale et appeler désespérément à l’aide.
Le slogan archi-usé que tout le monde brandit dans ce contexte est « liberté universitaire », mais il est temps de faire éclater ce mythe.
L’appel à la liberté universitaire est né à l’époque des Lumières, quand les pouvoirs en place tentaient de supprimer les penseurs indépendants. Déjà à l’époque, il y a plus de 200 ans, Emmanuel Kant faisait la différence entre les universitaires dont la spécialité (droit, théologie, médecine) servait l’establishment et ceux qui n’avaient pas de pouvoir ou de proximité au pouvoir. Pour les premiers, disait-il, ça n’avait pas de sens de parler de « liberté » ou de « pensée indépendante » car employer de tels termes est cynique.
Depuis, le cynisme s’est répandu dans d’autres facultés. Au mieux la liberté universitaire a été vue comme le droit de ne pas poser de questions gênantes. Au pire, comme le droit de tourmenter quiconque en posait trop.
Quand le drapeau de la liberté universitaire est brandit, c’est habituellement l’oppresseur et non l’opprimé qui l’agite. Quelle est cette liberté universitaire qui intéresse tant la communauté universitaire en Israel ? Quand, par exemple, a-t-elle montré une inquiétude pour l’état de la liberté universitaire dans les territoires occupés ?
Cette année scolaire va ouvrir à Gaza avec des classes en miettes parce qu’il n’y a pas de matériaux de construction pour remettre les ruines en état ; sans cahiers, livres ni crayons qui ne peuvent pas être amenés à Gaza à cause de l’embargo (oui, Israel peut boycotter les écoles et on n’entend aucun cri).
Des centaines d’étudiants des universités de Cisjordanie sont arrêtés ou en détention dans les prisons israéliennes, habituellement parce qu’ils sont membres d’organisations étudiantes que le pouvoir n’aime pas.
Le mur de séparation et les checkpoints empêchent les étudiants et enseignants d’arriver à leurs classes, bibliothèques et examens. Participer à une conférence à l’étranger est quasi-impensable et l’entrée de spécialistes porteurs de passeports étrangers n’est permise qu’au compte gouttes.
De l’autre côté les membres des universités israéliennes s’accrochent à leur droit de chercher ce que le régime attend d’eux qu’ils cherchent et nomment d’anciens officiers de l’armée à des postes universitaires. La seule université de Tel Aviv s’enorgueillit du fait que le Ministère de la Défense finance 55 de ses projets de recherche et que DARPA, l’Agence des Projets de Recherche Avancés du Ministère de la Défense étasunien, en finance neuf autres. Toutes les Universités proposent des programmes spéciaux d’étude pour les militaires gradés.
Ces programmes ont-ils fait l’objet de protestations ? Contrairement à l’impression admise, seuls quelques enseignants s’expriment clairement contre l’occupation, ses effets et la nature de plus en plus bestiale de l’Etat d’Israël.
La grande majorité garde sa liberté d’être indifférent, jusqu’au moment où quelqu’un supplie la communauté internationale et l’appelle au secours. Alors les voix s’élèvent de droite à gauche, l’indifférence disparaît et fait place à la violence : Boycotter les universités israéliennes ? Ceci frappe le Saint des Saints, la liberté universitaire!
L’auteur enseigne au Département de Philosophie de l’Université de Tel Aviv.