Il n’a fallu que quatre jours à une célèbre chanteuse pour annuler son spectacle à Tel-Aviv, en réponse à la demande expresse de ses fans de respecter la ligne de piquetage.
La décision prise par Lorde, la veille de Noël, de retirer son show à Tel-Aviv de sa tournée mondiale – en faisant remarquer que prévoir le spectacle en premier lieu « n’était pas la bonne décision » – a marqué la fin d’une année réussie pour le mouvement BDS dirigé depuis la Palestine.
2017 a vu le mouvement en faveur des droits palestiniens s’amplifier grâce notamment à toute une série d’artistes, d’athlètes, d’hommes politiques, de travailleurs culturels, d’organisations confessionnelles, d’étudiants, de syndicats et autres activistes.
Israël en a pris bonne note, évidemment.
Plus tôt, cette année, d’importants groupes de pression israéliens ont admis dans un rapport secret – dont une version complète a été récupérée et publiée par The Electronic Intifada – qu’ils n’étaient pas parvenus à contrer le mouvement de solidarité avec la Palestine, malgré un important accroissement de leurs dépenses.
Le rapport soulignait l’incapacité d’Israël à endiguer la « croissance impressionnante » et les « succès significatifs » du mouvement BDS et il développait nombre de stratégies, reprises par le gouvernement israélien, visant à inverser la détérioration de la position d’Israël.
De même, en mars, le principal stratège anti-BDS israélien reconnaissait que le mouvement de boycott gagnait du terrain, malgré les dizaines de millions de dollars de subsides du gouvernement israélien et la formation de tout un ministère gouvernemental concentré uniquement sur le combat contre BDS.
Prenant la parole lors d’une conférence anti-BDS à New York, l’ambassadeur d’Israël Danny Danon déclarait que « le mouvement BDS est toujours actif et puissant. Chaque jour, des groupes universitaires et religieux, des syndicats d’étudiants et des sociétés d’investissement deviennent la proie des appels au boycott ».
« Notre moment Afrique du Sud est proche »
Au moment où les stratèges et représentants israéliens s’inquiétaient grandement de leur incapacité à endiguer la marée BDS, des sondages au Royaume-Uni, au Canada et aux États-Unis révélaient tous que le soutien du grand public au boycott et aux sanctions contre Israël gagnait en intensité.
En Californie, le chapitre du Parti démocrate de l’État a approuvé une résolution – sans qu’il y ait eu de débat – qui condamnait les implantations illégales d’Israël en Cisjordanie occupée ainsi que le refus d’accès opposé par Israël aux activistes qui critiquaient l’État.
Cette résolution faisait également état, et c’est remarquable, de son soutien aux organisateurs qui s’engagent dans le mouvement BDS et qui sont confrontés sur les campus à une répression croissante de la part des autorités de l’État et des autorités fédérales.
En décembre, au Royaume-Uni, la responsable du développement au sein du Parti travailliste, Kate Osamor, une solide alliée du leader de l’opposition Jeremy Corbyn, tweetait explicitement son approbation à propos de BDS.
En été, la Haute Cour de Londres a décrété que le gouvernement conservateur avait agi illégalement en essayant d’empêcher des conseils locaux du Royaume-Uni de désinvestir de firmes impliquées dans l’occupation militaire israélienne, ce qui a porté un vilain coup aux représentants d’Israël cherchant à criminaliser le mouvement BDS.
Pendant ce temps, confronté aux tentatives manifestes d’Israël de le réduire au silence et de saper la popularité de BDS, Omar Barghouti, le cofondateur du mouvement BDS, a invité instamment les gens du monde entier à intensifier les campagnes de boycott en disant que c’était la meilleure façon de soutenir le peuple palestinien.
Barghouti s’est vu décerner le prix Gandhi de la paix pour son travail en tant que défenseur des droits de l’homme. L’an dernier, il a été frappé par Israël d’une interdiction de voyage et a reçu des menaces ouvertes de la part des principaux ministres de l’État.
En mars, Barghouti encensait un rapport – qu’on peut qualifier d’historique – publié par les Nations unies et qui concluait qu’Israël est coupable du crime d’apartheid. Ce rapport s’attirait les louanges des Palestiniens et la colère d’Israël et de ses alliés.
Barghouti déclarait que le rapport de l’ONU était un signe pour les Palestiniens de ce que « notre moment Afrique du Sud est proche », et il ajoutait que le rapport était « un indicateur solide de ce que l’apartheid israélien est destiné à disparaître, comme ce fut le cas en Afrique du Sud ».
Il faisait en outre remarquer que le rapport « peut très bien constituer le premier rayon de lumière menant à des sanctions contre le régime israélien de l’occupation, du colonialisme d’implantation et de l’apartheid ».
Voici quelques-unes des autres victoires du mouvement BDS en 2017, telles que les rapporte The Electronic Intifada.
Athlètes, écrivains, chefs cuisiniers et artistes ont laissé tomber Israël
En février, des footballeurs professionnels américains ont annulé une tournée de propagande en Israël. Parmi ces footballeurs, le joueur des Seattle Seahawks, Michael Bennett, a annoncé qu’il « ne se laisserait pas utiliser » par le gouvernement israélien pour blanchir les violations par ce dernier des droits palestiniens.
« Je veux être une « voix des sans-voix » , a ajouté Bennett, « et je ne puis l’être en accomplissant ce genre de voyage en Israël. »
En été, un groupe de cinéastes, d’artistes et de présentateurs ont annulé leurs apparitions prévues à TLVFest, le plus important festival du film LGBTQ d’Israël, à Tel-Aviv, suite à des appels à le faire émanant d’activistes palestiniens gays et de supporters du boycott.
Ces annulations très en vue en guise de soutien de la campagne BDS ont incité The Jerusalem Post à admettre que, si le festival « se déroule depuis plus d’une décennie, il n’a toutefois jamais dû faire face à une campagne aussi efficace ».
Plus tard, en automne, certains des chefs cuisiniers les plus connus de la planète ont annulé les « Tables rondes », une initiative de propagande sponsorisée par le gouvernement israélien et qui recourt à la cuisine internationale pour redorer le blason d’Israël.
« Le festival des Tables rondes a lieu dans le même temps que l’armée et les colons israéliens vivant illégalement sur les terres volées aux Palestiniens agressent les Palestiniens pendant leur récolte annuelle des olives », a expliqué Zaid Shoaibi, du PACBI, la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël.
Et l’association littéraire PEN America a révélé posément qu’elle n’acceptait plus de fonds du gouvernement israélien pour son festival annuel des Voix du monde, suite à des appels émanant de plus de 250 écrivains, poètes et éditeurs connus.
L’association avait essuyé de sévères critiques pour s’être servie de fonds en provenance du gouvernement israélien, lequel emprisonne des journalistes et écrivains palestiniens en Israël et en Cisjordanie occupée en raison de leur travail.
BDS est appliqué par des villes, des églises, des groupes politiques et des syndicats
En mai, la plus grande et la plus influente des organisations syndicales norvégiennes a appelé au boycott total d‘Israël, quelques jours à peine après que la municipalité norvégienne de Lillehammer avait adopté une résolution de boycott des produits israéliens en provenance des colonies.
Lillehammer est devenue la troisième ville de Norvège à appeler au boycott des colonies, après Tronheim et Tromsø.
En avril, le conseil municipal de Barcelone a voté le maintien du droit de boycotter Israël, il a condamné l’occupation des terres palestiniennes par Israël, il a réclamé la fin du blocus de Gaza et il a promis de faire en sorte que la politique d’achat de la ville exclurait les sociétés qui tirent profit des violations des droits de l’homme par Israël.
En juillet, la secte de l’Église mennonite des États-Unis, forte de 95 000 membres, a rallié le nombre sans cesse croissant de congrégations chrétiennes ayant entrepris des dernières années des actions de soutien aux droits de l’homme des Palestiniens.
Dans une résolution approuvée par 98 pour 100 des délégués lors de sa convention de Floride, l’Église mennonite a voté la condamnation de l’occupation militaire israélienne et le soutien au désinvestissement des sociétés tirant profit des violations des droits palestiniens.
Le 7 juillet, la Communion mondiale d’Églises réformées a appelé les plus de 80 millions de fidèles de ses congrégations membres à examiner leurs investissements concernés par la situation en Palestine.
Un mois plus tard, les Socialistes démocrates de l’Amérique (DSA) ont voté massivement pour un soutien à l’appel BDS.
« De la même façon que nous avons répondu à l’appel au boycott de l’Afrique du Sud durant l’apartheid, nous sommes solidaires avec le peuple palestinien », a déclaré le vice-directeur national des DSA.
Les DSA, qui sont la plus importante organisation socialiste démocratique des États-Unis, avec plus de 25 000 membres, ont vu le nombre de leurs affiliés multiplié par quatre suite à la résurgence de la politique de gauche aux États-Unis et en Europe, et tout particulièrement depuis la campagne présidentielle du sénateur Bernie Sanders, en 2016.
Au Royaume-Uni, les membres juifs du Parti travailliste ont fondé un nouveau groupe – Jewish Voice for Labour (une voix juive pour le Labour) – qui se présente comme un défi au groupe de pression existant en faveur d’Israël, lequel se prétend le représentant des membres juifs du parti.
Le document de fondation de Jewish Voice for Labour défend fermement « le droit des partisans de la justice pour les Palestiniens de s’engager dans des activités de solidarité telles que le boycott, le désinvestissement et les sanctions ».
Toujours au Royaume-Uni, le principal syndicat des enseignants du pays a lancé une action de boycott de HP en raison du rôle du géant de la technologie dans l’occupation israélienne.
G4S continue à être mis au ban
La première société de sécurité privée du monde, G4S, a continué à subir de lourdes pertes financières dans le monde entier depuis qu’on s’est davantage penché sur le fait qu’elle tire profit des violations des droits de l’homme.
G4S a contribué à faire fonctionner les prisons israéliennes où l’on torture des prisonniers palestiniens et elle a équipé des prisons, centres de détention et installations de déportation pour jeunes tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni.
La société a également été impliquée dans des violations concernant le travail et les droits de l’homme en Afrique et dans des installations à l’étranger où l‘Australie enferme des réfugiés et des demandeurs d’asile.
Un institut de recherche équatorien a annoncé en février qu’il avait laissé tomber son contrat avec G4S après avoir rencontré des activistes.
Suite à une campagne menée par BDS Jordanie, les Femmes de l’ONU en Jordanie ont résilié leur contrat avec G4S en octobre, et c’est la cinquième agence des Nations unies à procéder de la sorte dans ce pays.
De même, le conseil des transports de Sacramento, en Californie, s’est décidé à résilier son contrat de sécurité avec G4S, suite au travail des activistes BDS afin de mettre en lumière le rôle de la société dans les violations des droits en Palestine et aux États-Unis.
L’an dernier, G4S a annoncé qu’il laissait tomber toute une série d’affaires controversées, y compris sa filiale en Israël et ses activités dans la détention de jeunes aux États-Unis.
The Financial Times a décrit cette mesure comme une tentative de G4S de se distancier de « services susceptibles de nuire à sa réputation ».
Mais les activistes du monde entier ont exprimé le désir de maintenir la pression sur la société aussi longtemps qu’elle resterait complice des violations des droits de l’homme des Palestiniens.
Des étudiants se sont battus
Partout aux États-Unis, des étudiants universitaires ont continué à mobiliser en faveur des droits des Palestiniens en dépit de la répression croissante appliquée par les administrations et les groupes de pression pro-israéliens à l’étranger.
Des résolutions de désinvestissement ont été passées à l’Université Tufts de Boston, à l’Université du Michigan, à l’Université de l’État de Californie – Long Beach et au Collège communautaire de De Anza, en Californie.
Une résolution adoptée par des étudiants de l’Université de Wisconsin-Madison a été votée à l’unanimité en vue de soutenir une autre résolution de masse appelant l’université à laisser tomber ses liens avec des sociétés tirant profit des incarcérations massives, du vol de terres indigènes, de la violence policière, du mur frontière entre les États-Unis et le Mexique, des injustices économiques à l’encontre des personnes de couleur et des violations des droits humains des Palestiniens par Israël.
À New York, des étudiants de l’Université Fordham ont argué de violations de leurs droits pour s’organiser et se réunir en un tribunal, défiant ainsi la décision d’un administrateur d’interdire l’association Students for Justice in Palestine (Étudiants pour la Justice en Palestine).
Et, au Royaume-Uni, la Semaine de l’apartheid en Israël, une série d’événements mondiaux annuels censés conscientiser autour de la politique d’apartheid d’Israël, a eu lieu sur plus de 30 campus universitaires à travers tout le pays, malgré une campagne de répression soutenue par le gouvernement.
Des défis à la législation anti-BDS
Deux procès au niveau fédéral ont été intentés par l’American Civil Liberties Union (ACLU – Union américaine des libertés civiles), en vue de contester la constitutionnalité fondamentale des lois anti-BDS des États à titre individuel et de la fédération des États.
Les groupes de pression pro-israéliens ont intensifié leur promotion des législations visant à museler la liberté d’expression et à créer une liste noire des partisans des droits palestiniens. Au 23 décembre, 23 États avaient adopté des lois anti-BDS.
Un projet de loi – contre le boycott d’Israël – est également en attente au Congrès et pourrait infliger d’importantes amendes et de longues peines de prison aux sociétés et à leur personnel si on juge qu’ils abondent dans le sens d’un boycott d’Israël ou de ses colonies réclamé par une organisation internationale.
En octobre, un procès a été intenté contre l’État du Kansas au nom d’une professeure de mathématiques de l’enseignement supérieur, Esther Koontz, qui participe au boycott de la consommation de produits israéliens.
Koontz est membre de l’Église mennonite des États-Unis, qui a fait passer une résolution de désinvestissement des sociétés qui tirent profit des violations des droits palestiniens.
En décembre, selon l’ACLU, un autre procès a été intenté contre l’État de l’Arizona au nom d’un homme de loi ayant un contrat avec le gouvernement afin de fournir des conseils juridiques à des personnes emprisonnées. L’homme participe au boycott d‘Israël.
En Oregon, trois projets de loi séparés visant le mouvement BDS n’ont pas bénéficié d’une audition, suite à des pressions constantes des activistes des droits de l’homme et des dirigeants religieux de l’État.
Les projets étaient soutenus par des groupes communautaires juifs qui s’organisent dans tout le pays pour combattre le mouvement en faveur des droits palestiniens.
Des activistes déclarent que l’échec de ces projets de loi devrait encourager les participants aux campagnes à riposter à d’autres mesures anti-BDS des autorités des États et du Congrès américain.
Nora Barrows-Friedman est corédactrice en chef de The Electronic Intifada, et elle est l’auteure de In Our Power : US Students Organize for Justice in Palestine (En notre pouvoir : Des étudiants américains s’organisent pour la justice en Palestine) (Just World Books, 2014).
Par Nora Barrows-Friedman. Publié le 4 janvier 2018.
Source : The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal pour Plateforme Charleroi Palestine