Les Palestiniens victimes de vives expressions de haine en ligne émanant d’Israéliens

Par Jonathan Cook. Publié dans Middle East Eye, le 6 mars 2017.

Des avocats palestiniens réclament une enquête sur le ministre en charge des services de police alors qu’une étude révèle une augmentation fulgurante des discours anti-arabes diffusés en hébreu sur les réseaux sociaux.

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Des Israéliens brandissent une banderole portant le nom du soldat israélien Elor Azaria en hébreu, à Tel Aviv, le 4 janvier 2017 (AFP)

NAZARETH, Israël – Les 1,7 million de citoyens palestiniens d’Israël font face à un raz de marée de propos incitatifs et haineux sur les réseaux sociaux, y compris en provenance de ministres du gouvernement, ont prévenu des dirigeants de la communauté.

Selon ces derniers, le climat politique de plus en plus hostile en Israël alimente la violence de la police et des gangs de rue et a jeté les bases d’une récente série de propositions législatives que de nombreux Palestiniens jugent racistes.

L’alerte est donnée alors qu’un groupe d’avocats palestiniens réclame que le procureur général d’Israël ouvre une enquête sur Gilad Erdan, le ministre de la Sécurité intérieure, pour des allégations d’incitation au racisme.

Adalah, un groupe juridique agissant en faveur de la minorité palestinienne d’Israël, a mis en évidence des propos d’Erdan, qui a accusé les citoyens palestiniens d’avoir commis des actes de « terrorisme incendiaire » en novembre dernier lorsque des feux de forêt ont balayé le pays, bien qu’il n’y ait pas eu de poursuites.

« Israël a été victime d’un terrorisme incendiaire et je ne laisserai personne balayer ce fait sous le tapis, a-t-il écrit sur Facebook en décembre. Pourquoi est-il irréaliste d’imaginer les Arabes tenter de nuire aux juifs ? »

Adalah a soutenu que les propos d’Erdan s’inscrivaient dans une stratégie gouvernementale plus large visant à représenter les citoyens palestiniens, qui constituent environ 20 % de la population d’Israël, comme une « cinquième colonne ».

Bien que d’autres ministres du gouvernement se soient également rendus coupables d’incitation à la haine, les propos d’Erdan ont été particulièrement nuisibles en raison de son rôle de surveillance à la tête de la police, selon le groupe.

D’après Adalah, Erdan a soutenu une culture policière qui traitait déjà les citoyens palestiniens comme un « ennemi de intérieur ».

« Les propos incitatifs d’Erdan sont dangereux parce qu’ils renforcent et approuvent les préjugés existants au sein de la police », a déclaré à Middle East Eye Nadeem Shehadeh, avocat auprès d’Adalah.

« En conséquence, la police est susceptible d’avoir la gâchette encore plus facile. »

Les inquiétudes concernant les effets des propos incitatifs formulés par des dirigeants politiques ont été soulignées par une enquête publiée le mois dernier, qui a révélé une montée en flèche des abus commis en ligne par des juifs israéliens contre les Palestiniens.

7amleh, une organisation qui défend les droits des Palestiniens sur les réseaux sociaux, a identifié l’année dernière 675 000 publications en hébreu exprimant du racisme ou de la haine envers les Palestiniens – soit une toutes les 46 secondes et plus du double du chiffre de l’année précédente.

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« Il y a un niveau terrifiant de propos haineux publiés en ligne par des juifs israéliens, a déclaré à MEE Nadim Nashif, directeur de 7amleh. Personne en Israël – que ce soient les responsables politiques, la police, les tribunaux et les sociétés de médias sociaux – n’a affiché un intérêt à l’idée de faire quelque chose. »

« Mais c’est pire que cela. Les responsables politiques alimentent le problème. Il est devenu tout à fait normal en Israël de tenir des propos incitatifs à l’encontre des Palestiniens. Vous en trouvez partout. C’est totalement courant. »

Les recherches ont permis d’identifier plus de 50 000 délinquants récidivistes hébréophones sur les médias sociaux, en particulier sur Facebook, a indiqué Nashif. Les pics d’abus en ligne sont corrélés aux propos incitatifs formulés par les responsables politiques et les médias israéliens, a-t-il ajouté.

Les abus les plus répandus comprenaient des menaces de meurtre, de viol, de brûlure, d’expulsion et d’agression contre les Palestiniens.

Les groupes Adalah et 7amleh ont tous deux indiqué que les propos incitatifs formulés par des juifs israéliens faisaient rarement l’objet d’enquêtes ou de poursuites. En revanche, les Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés ont vu leurs comptes clôturés ou ont été arrêtés et emprisonnés pour des activités en ligne moins graves.

7amleh a indiqué que ses recherches ont montré que le plus gros des abus en ligne étaient dirigés contre les principales personnalités politiques palestiniennes d’Israël.

Les cibles les plus courantes étaient Haneen Zoabi, l’une des deux seules femmes palestiniennes au parlement, et Ahmed Tibi, un ancien conseiller de l’ancien chef palestinien Yasser Arafat, a précisé 7amleh. Zoabi et Tibi ont tous deux fait état de menaces de mort régulières.

Selon l’enquête, ces personnes concernées par l’étude ont subi plus d’abus en ligne que le chef de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, Mahmoud Abbas.

« Quand ce sont nous qui sommes visés plutôt que les dirigeants palestiniens dans les territoires occupés, un message clair est envoyé au public [juif], selon lequel nous n’avons pas notre place au parlement et ceux que nous représentons n’ont pas le droit d’être citoyens », a déclaré Zoabi à MEE.

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Le climat d’incitation a eu des effets très concrets, a déclaré Zoabi : « Cela donne le feu vert à la violence policière. Cela se convertit en fusillades et en morts. »

Elle a expliqué que des dizaines de citoyens palestiniens étaient morts dans des circonstances inexpliquées entre les mains de la police au cours des quinze dernières années.

Zoabi a également souligné que de plus en plus de rapports faisaient état de slogans tels que « Mort aux Arabes ! » entonnés par des gangs dans les villes israéliennes et à Jérusalem, ainsi que d’agressions de plus en plus fréquentes dans la rue.

Les sondages ont montré des niveaux élevés de préjugés raciaux auprès des juifs israéliens. Une enquête réalisée l’année dernière a permis de révéler que 49 % des personnes interrogées ne souhaitaient pas vivre dans le même immeuble qu’un citoyen palestinien.

D’après une autre étude, un nombre semblable de jeunes de 16 et 17 ans refusaient le droit de vote aux citoyens palestiniens.

Selon Adalah, l’incitation à la haine constante exercée par les responsables politiques du gouvernement a rendu possible la rédaction d’une législation toujours plus discriminatoire et antidémocratique.

Shehadeh a noté que les lois récentes ont permis au parlement d’expulser les législateurs de la minorité en raison de leur opinion et ont entravé le travail des groupes de défense des droits de l’homme qui viennent en aide aux Palestiniens.

Zoabi a partagé cet avis. « Chaque semaine, nous voyons l’introduction de nouveaux projets de loi, comme une interdiction de l’appel à la prière des mosquées ou des démarches visant à intensifier les démolitions d’habitations dans les communautés palestiniennes. La culture politique approuve toujours plus la violence par le biais de la législation. »

Nashif a indiqué qu’un tournant dans le développement de l’incitation à la violence pouvait remonter aux propos du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors des dernières élections générales, début 2015. Netanyahou avait publié une vidéo sur Facebook dans laquelle il expliquait au public juif qu’il était vital qu’ils aillent voter parce que « les électeurs arabes se rend[aient] en masse vers les bureaux de vote ».

« Quand le Premier ministre s’exprime de la sorte, tout le monde comprend alors qu’il est acceptable de faire de même », a poursuivi Nashif.

L’enquête réalisée par 7amleh a permis de révéler un pic significatif des propos incitatifs et haineux en ligne observé en novembre dernier, lorsque des centaines d’incendies ont éclaté à travers Israël et les territoires occupés, déclenchés par une sécheresse prolongée et des vents violents.

Malgré les conditions météorologiques exceptionnelles, Erdan a poussé les ministres à accuser les Palestiniens, en particulier ceux résidant en Israël, d’être à l’origine des incendies.

Adalah a cité la publication Facebook d’Erdan datant de début décembre. Plusieurs dizaines de citoyens palestiniens ont été arrêtés par la police, mais aucun d’entre eux n’a été inculpé pour « crimes nationalistes » suite aux incendies.

Néanmoins, Netanyahou a continué d’émettre des accusations semblables, déclarant notamment le mois dernier : « Le fait que nous ne puissions pas le prouver [que les incendies étaient terroristes] ne signifie pas que ce n’est pas ce qui s’est passé. »

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« Ces déclarations incitatives recueillent beaucoup d’attention de la part des médias et nos recherches montrent que celles-ci ont un impact puissant dans le façonnage des attitudes du public, a déclaré Nashif. Mais lorsqu’elles s’avèrent être fondées sur des mensonges ou de la désinformation, peu de gens le remarquent. »

Adalah a également cité les commentaires d’Erdan qui justifiaient le meurtre de Yacoub Abou al-Qiyan, abattu par la police le mois dernier lors d’une opération de démolition à Umm al-Hiran, une communauté bédouine dans le sud d’Israël.

Une vidéo de la police et un rapport d’autopsie ont révélé qu’Abou al-Qiyan avait perdu le contrôle de sa voiture après avoir reçu des tirs et fait un écart en direction d’un groupe de policiers, tuant l’un d’entre eux.

D’après les médias israéliens, un rapport du ministère de la Justice – devant être publié le mois prochain – n’a trouvé aucune preuve qu’Abou al-Qiyan était en train de perpétrer un attentat ou appartenait à une organisation extrémiste.

Néanmoins, a déclaré Shehadeh, Erdan ainsi que d’autres ministres du gouvernement ont accusé à plusieurs reprises Abou al-Qiyan d’être un terroriste de l’État islamique, sans fournir de preuves.

Quelques heures après les deux décès, Erdan a tweeté : « Le terroriste a tourné brusquement et accéléré rapidement afin de renverser un groupe de policiers. »

Le bureau de Netanyahou a également décrit l’incident comme un « attentat à la voiture-bélier ». Insinuant qu’Abou al-Qiyan faisait partie de la tendance mondiale du terrorisme islamique, Netanyahou a déclaré qu’Israël et le monde « lutt[aient] contre ce phénomène meurtrier ».

Dans sa lettre au procureur général, Adalah a également souligné qu’Erdan avait attribué à plusieurs reprises la responsabilité des événements d’Umm al-Hiran aux législateurs palestiniens qui s’y trouvaient pour protester contre les démolitions. Erdan a ciblé Ayman Odeh, le chef de la Liste unifiée, la coalition palestinienne au parlement.

Il a ainsi déclaré aux médias : « À Ayman Odeh et au reste des membres de la Knesset de la Liste arabe [sic] qui sont venus enflammer les esprits ce matin : vous avez aussi ce sang sur les mains. […] Vous êtes une honte pour l’État d’Israël. »

À Umm al-Hiran, Odeh a lui-même été blessé à deux reprises, notamment à la tête, par des balles à pointe molle tirées par la police.

Nashif a critiqué Facebook, où la plupart des propos haineux en ligne ont été trouvés, et a accusé le réseau social de contribuer au problème.

L’été dernier, Facebook a accepté de réprimer ce qu’Israël a considéré comme des contenus incitatifs provenant de Palestiniens. Paradoxalement, le ministre qui a rencontré les sociétés de technologie était Erdan.

Selon des rapports, dans la première moitié de l’année 2016, un dixième de l’ensemble des restrictions de contenu imposées par Facebook à l’échelle mondiale ont été effectuées à la demande du gouvernement israélien.

Comment résoudre un problème appelé Facebook

Nashif a affirmé qu’aucune mesure n’était prise pour faire face aux propos incitatifs et haineux du public juif.

« Il n’est pas raisonnable qu’un grand nombre de Palestiniens aient vu leurs comptes être clôturés ou aient été arrêtés et emprisonnés pour des propos haineux publiés en ligne, alors que les juifs israéliens peuvent se livrer à des activités identiques voire pires sans qu’il y ait de conséquences », a-t-il déclaré.

Ni le ministère de la Justice, ni le ministère en charge des services de police n’étaient disponibles pour formuler des commentaires.

D’après 7amleh, le pic le plus important en matière d’abus en ligne a suivi l’arrestation en mars dernier du médecin militaire Elor Azaria. Il a été filmé en train d’exécuter un Palestinien grièvement blessé, Abdel Fattah al-Sharif. Il a récemment été condamné à dix-huit mois d’emprisonnement pour homicide.

Plusieurs ministres, dont Netanyahou, ont exprimé leur vif soutien à Azaria.

L’enquête a montré une autre explosion des abus en ligne suite aux attaques lancées en septembre dernier par la ministre de la Culture, Miri Regev, contre deux icônes culturelles palestiniennes.

Regev avait décrit le poète palestinien aujourd’hui décédé Mahmoud Darwich comme le « chef de file de l’industrie palestinienne des mensonges » et accusé un rappeur populaire, Tamer Nafar, de donner « de la légitimité au terrorisme ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation