« Les mots sont importants », Palestine et cinéma

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Qui a entendu parler de ce qui s’est passé à la soirée d’ouverture du Festival international du film documentaire d’Amsterdam (IDFA) en novembre dernier ? Dans ce milieu, intellectuel et consensuel, trois militants déploient une banderole « Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre ». Le public et le directeur du festival applaudissent. Fin du premier épisode

Deux jours plus tard, c’est le retour à l’ordre : l’IDFA bredouille des excuses (le directeur n’aurait pas vu le texte auquel il applaudissait), les institutions cinématographiques israéliennes expliquent dans une lettre (qui depuis novembre n’a réuni que 2052 signatures) que « les mots comptent ». Tous, en chœur parlent de valeurs universelles, de tolérance, d’acceptation de tous les points de vue et bien sûr d’antisémitisme… et condamnent l’action des 3 jeunes et le contenu de leur banderole.

Il faut dire que ce slogan, ainsi que d’autres (« Israël, casse-toi ! La Palestine n’est pas à toi », « Palestine vaincra » …etc.) que l’on peut entendre lors des manifestations de soutien au peuple de Gaza sont immédiatement interprétés par ceux qui défendent la politique israélienne comme un appel au nettoyage ethnique et/ou à l’élimination des juifs. Donc un appel antisémite.

Trop facile ! Pour qui réfléchit, connait un peu l’histoire, c’est clairement la dénonciation de la dernière entreprise coloniale du XXe siècle. Baptisée « sionisme » par ses partisans (référence aux nombreuses citations bibliques) on peut la comparer facilement à la colonisation de l’Amérique où des Européens maltraités dans leurs pays à cause de leur foi, chassent les Indiens, justifiant les massacres Bible en main. Ces slogans sont des rappels des faits qui ont conduit à la création d’un Etat, Israël, aux frais d’un peuple, les Palestiniens. Bien entendu, il y aura toujours des imbéciles et des haineux qui l’interprèteront au premier degré. On peut penser que ce n’est pas ce qui a motivé les applaudissements des spectateurs du festival d’Amsterdam et de son directeur !

Pourtant, depuis ce premier « incident », d’autres manifestations dénonçant la politique israélienne, et surtout le génocide en cours à Gaza, ont surgit dans des lieux où on ne les attendait pas – jusqu’à la cérémonie des Oscars !

« Les festivals de cinéma sont des « lieux de mémoire » d’un genre particulier. Ce sont des événements culturels et artistiques, mais ils ont aussi une autorité sociale et politique » écrit Dunja Jankovic dans un article. Dunja est une chercheuse dans le domaine du cinéma documentaire qui écrit parce que ces films « s’appuient sur des images de personnes et d’événements réels, le public interprète souvent le cinéma documentaire comme un miroir de la réalité plutôt que comme une interprétation artistique. D’où l’importance de comprendre quelle version de la « réalité » les festivals de cinéma promeuvent ». La réaction de l’organisation de l’IDFA en est un exemple : elle a clairement choisi de servir le camp auquel elle appartient, l’Occident colonial.

Alors qu’Israël a déjà assassiné plus de 33 000 personnes (dont 1/3 d’enfants !) on peut se demander s’il n’est pas indécent de se réoccuper de cinéma. En effet, c’est déjà la saison des festivals et, à la lumière de la façon dont la guerre en Ukraine conditionne le moindre évènement artistique ou même sportif, on peut se demander comment va être traité le cinéma palestinien. Alors que la France soutient Israël, le grondant pour les horreurs qu’il commet à Gaza tout en lui livrant les armes lui permettant de les commettre, quelles instructions seront dictées aux organisateurs du prochain festival : Cannes ? Le cinéma palestinien sera-t-il interdit ? Devra-t-il se présenter sous un autre nom ? Les exigences artistiques se soumettront-elles aux décisions de nos politiques sous la forme « Cachez ce Palestinien que je ne saurais voir ».

Michel Ouaknine