Je ne suis pas un supporter de Sheikh Raed Salah mais j’estime que nous, les Juifs israéliens, avons une énorme responsabilité à nous exprimer haut et fort tant que ce privilège durera. Il implique de s’opposer à toute persécution politique.
Il y a deux ans, Israël mettait hors-la-loi une des associations les plus importantes du pays, en nombre et en popularité, la Branche nord du Mouvement islamique. Dans les jours qui ont suivi, les autorités ont rapidement fermé des douzaines d’associations caritatives, des organisations féminines, divers médias ainsi que des programmes d’enseignement et de protection de l’enfance. Presqu’aucun mot de protestation ne s’est fait entendre du côté de la population juive d’Israël !
Sheikh Raed Salah, le chef de la Branche nord du Mouvement islamique, a été arrêté pour la énième fois cette semaine. Ces dernières années, il était devenu une cible régulière des autorités israéliennes, à tel point que ses arrestations fréquentes ne méritent pratiquement plus de faire l’actualité.
Selon les médias rapportant alors sur ses nombreuses arrestations précédentes, Sheikh Raed Sala a été mis sous le coup d’enquêtes pour avoir fait des déclarations telles que « Al-Aqsa est en danger », « l’occupation cessera » ou encore pour avoir fait des appels pour « libérer les prisonniers palestiniens ». Aucun propos auquel je n’aurais pas moi-même souscris.
Dans ces conditions pourquoi personne, parmi les Juifs israéliens, ne trouve problématiques ces arrestations quasi-routinières d’un des leaders les plus populaires et les plus influents du pays ? C’est parce qu’il est accusé d’incitation à troubler l’ordre et, parce qu’il a été arrêté de nombreuses fois sur ce soupçon, cela semble tout à fait logique à la grande majorité des gens. Un sommet de tautologie.
Les autorités israéliennes comptent sur le fait que le public en viendra à conclure : si Sheikh Raed Salah a été arrêté aussi souvent, c’est qu’il est surement dangereux. C’est le même phénomène de confiance aveugle et d’acceptation qui est en jeu au sujet de la détention administrative : si des détenus administratifs ont été emprisonnés si longtemps, c’est que ce sont sûrement des terroristes 1. Et c’est exactement le raisonnement que tiennent la majorité des Juifs israéliens au sujet des détenus administratifs : ce sont des terroristes. Et ceci en dépit du fait qu’ils n’ont jamais jugés, encore moins accusés ou ayant eu la possibilité de se défendre. C’est un mécanisme bien rodé.
Le vrai problème est que tout ce qui concerne la population arabe d’Israël se trouve dans la ligne de mire de l’establishment. L’État est, de fait, engagé dans une guerre ouverte contre un sur cinq de ses propres citoyens. Concrètement nous, Juifs, pouvons parler relativement librement (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des tentatives de changer cela) mais pour les mêmes mots nos amis palestiniens peuvent se trouver arrêtés en quelques minutes. Il suffit de se rappeler le cas d’Anas Abudaabes 2, arrêté pour un commentaire sarcastique qu’il avait publié sur Facebook pour apprécier les niveaux d’absurdité que cette réalité peut atteindre.
Cette différence de traitement nous pose une énorme responsabilité sur nos épaules, à nous Juifs israéliens : nous devons continuer à la dénoncer pendant que nous en avons encore le privilège.
Je ne suis pas un supporter de Sheikh Raed Salah. Si la Branche nord du Mouvement islamique devait présenter des candidats à la Knesset, je ne serais pas prête à voter pour eux pas plus que pour le parti du Foyer juif. L’utilisation et la manipulation de la religion en politique sont dangereuses et l’État d’Israël y excelle. Mais l’injustice que Sheikh Raed Salah subit doit être publiquement dénoncée parce qu’il s’agit d’une persécution politique sans équivoque et non une action qui serait liée à d’authentiques considérations de sécurité.
Dans un pays où les responsables religieux (payés par l’État) incitent ouvertement à la haine contre les citoyens arabes sans avoir à répondre de leurs mots haineux 3 et violents 4, et où, simultanément, la liberté d’une jeune poétesse 5 peut lui être volée pendant deux ans pour avoir publié sur Facebook, l’arrestation de Sheikh Raed Salah ne peut être vue dans un autre contexte que la persécution politique des citoyens arabes d’Israël. L’enquête pour « raisons de sécurité » sur le parti Balad 6, une des principales composantes de la Liste arabe unie, en est un autre exemple d’une liste sans fin.
Tous les Israéliens honnêtes doivent s’opposer à cette monstruosité, haut et fort, pendant que nous le pouvons encore.
Orly Noy
Lire cet article en hébreu sur le site +972
Traduction M.O. pour l’UJFP
Par Orly Noy | Publié le 15 août 2017. Traduction et notes : Michel O., UJFP
- Lire : https://972mag.com/administrative-detainees-must-have-done-something-wrong/91582/[↩]
- Anas Abudaabes est un Bédouin vivant à Rahat qui avait publié début décembre 2016 sur sa page Facebook (https://www.facebook.com/anas.daabes ) un commentaire sarcastique condamnant ceux qui applaudissaient à la vague d’incendies de forêts qui avait alors touché le nord d’Israël. La police l’a alors immédiatement jeté en prison pour l’interroger et ce n’est que 3 jours plus tard qu’un juge l’a libéré, les policiers reconnaissant alors leur mauvaise interprétation.[↩]
- Lire : https://972mag.com/in-safed-a-community-backs-its-racist-rabbi/5319/ [↩]
- Les auteurs du brulot raciste « La Bible du roi », tous rabbins payés par l’Etat, n’ont jamais été inquiétés. Voir https://972mag.com/case-dropped-against-authors-endorsers-of-gentile-killing-manual/47119/comment-page-2/[↩]
- Il s’agit de Dareen Tatour, de Reineh, près de Nazareth, arrêtée en octobre 2015 pour différentes publications sur Facebook dont principalement son poême « قاوم يا شعبي قاومهم » (Résiste mon peuple, résiste-leurs) qui est désormais sur YouTube à : https://www.youtube.com/watch?v=R1qnlN1WUAA[↩]
- Lire : https://972mag.com/how-israel-is-turning-one-arab-party-into-a-security-threat/122047/[↩]