Par Théophile Kouamouo.
Je m’appelle Théophile Kouamouo, j’ai 41 ans. Je suis un journaliste furieux contre une partie de mes confrères. Et je suis un citoyen français inquiet pour son pays.
Inquiet parce qu’en France, en 2018, l’on peut accuser des journalistes non-Blancs de “racisme anti-blanc” dans les journaux pendant des semaines sans jamais avoir besoin d’apporter la moindre preuve de ses allégations. Sans se voir demander d’étayer en quoi que ce soit des propos aussi graves. Pire : on peut réussir à imposer ce type de propos sans fondement comme un fait, et susciter ainsi des débats sur les plateaux TV au sujet de ce qui n’existe pas.
Ce que je dénonce, j’en suis victime. Comme plusieurs journalistes exerçant au sein de l’entreprise de presse Le Média, secouée par une crise interne qui s’est malheureusement transformée en feuilleton de l’été. J’éviterai de rentrer dans les détails de cette crise pour ne pas brouiller mon propos.
Il se trouve que Sophia Chikirou, cofondatrice et ancienne dirigeante du Média, et ses proches, ont décidé de politiser un conflit qui, à la base, ne l’était nullement. En fabriquant de toutes pièces un clivage idéologique imaginaire au sein de la rédaction entre pseudo-républicains et pseudo-communautaristes. Clivage rendu semble-t-il plausible, à leurs yeux, par les caractéristiques ethniques de certains de ses contradicteurs.
La première salve publique est lancée le 12 août dernier sur Twitter par Romain Spychala, bras droit de ladite Sophia Chikirou durant la saison 1 du Média. Pour lui, « ce sont les moins républicains » qui sont à la manœuvre aux côtés d’Aude Lancelin, nouvelle présidente de l’entreprise de presse. A plusieurs reprises, je lui demande de préciser ses accusations. Il s’y refuse, évidemment. Et pour cause: aucun élément, aucun incident, aucun contenu publié sur le Média, ne peut venir étayer un tel propos. Le 15 août, le journaliste Serge Faubert, proche de Sophia Chikirou, va plus loin. Cité par Le Monde, il évoque une « chasse aux sorcières » qui fait « curieusement écho à des tentatives communautaires ou identitaires au sein de la rédaction ». S’engageant dans une périlleuse comptabilité ethnique, il affirme : « Nous sommes quatre Blancs, quinquagénaires, et cela semble poser un problème à certains ». Il s’agit d’une accusation très grave de racisme. Mais à aucun moment, le journaliste François Bougon qui relaie ses propos ne cite d’éventuels éléments factuels à l’appui desdits propos. A aucun moment, il ne contacte les journalistes — qu’on imagine « non Blancs » — coupables de cette supposée cabale raciste, pour leur demander de s’expliquer.
Cette parole univoque et non sourcée est-elle acceptable ? Serait-il acceptable que Le Monde relaie des accusations de viol ou d’homophobie sans jamais solliciter de preuves de la part de celui qui les émet, et sans jamais donner l’occasion aux mis en cause de réfuter quoi que ce soit ?
Sur Twitter, je demande inlassablement à Serge Faubert de prouver ses graves allégations. Il ne répond pas. Mais ce n’est pas fini. La diffamation continue à cheminer, dans des termes toujours plus accusateurs et plus violents. Dans une interview accordée à Marianne le 23 août dernier, Sophia Chikirou évoque carrément « deux nouveaux journalistes qui défendaient ouvertement des thèses racialistes ». Elle ne donne pas plus de précisions. Et les journalistes gravement mis en cause ne sont pas contactés par Marianne. Le 1er septembre dans Le Monde, elle enfonce le clou : « Il y a bien un conflit entre ceux que j’appelle les « différentialistes » ou « racialistes », qui se disent « racisés », et les « républicains » comme moi ». Eléments de preuve ? Nada.
Le lendemain, sur BFM, Nicolas Domenach se saisit de ce storytelling absolument mensonger et interroge Jean-Luc Mélenchon sur le prétendu « communautarisme » qui règne au Média.
Jusqu’ici, aucun commencement de preuve n’a été apporté.
Jusqu’ici, aucune enquête sérieuse sur ces accusations n’a été menée.
Jusqu’ici, aucun propos de ces journalistes fantômes « racisés », sans nom et sans visage, n’a été entendu sur le sujet.
Je me suis porté volontaire pour une confrontation sur le plateau de Arrêt sur Images, mais aucun de ces accusateurs n’a accepté d’y participer, invoquant une peur des représailles. Alors que bon nombre de ceux-ci ne sont plus liés par contrat au Média, et ne risquent que le ridicule.
Et pourtant, les enjeux sont grands. Si des journalistes parvenaient à démontrer que ce clivage « républicains »/ « racialistes » a été fabriqué pour des besoins de com, cela signifierait que Sophia Chikirou et ses hommes ont joué de la prédisposition d’une partie de l’opinion (et peut-être des journalistes) à se méfier d’emblée d’une partie de la population, et à créditer sans réfléchir un certain type d’accusations.
Nous sommes en France, en 2018. En juillet dernier, Libé se demandait dans un article si sa rédaction était « blanche », faisant écho à des débats vieux de vingt ans sur la faible représentation des « minorités visibles » dans les médias de notre pays. Ce qui se joue est donc capital : de quoi s’agit-il dans le cas qui nous concerne ? Cela ressemble fortement à une construction idéologique qui conduira certains à considérer, en dehors d’éléments factuels, des journalistes « non-Blancs » comme potentiellement communautaristes, racialistes, antirépublicains. Comme des ennemis intérieurs, pour tout dire.
C’est pour cela qu’il est urgent d’enquêter sur cette séquence dont l’intérêt dépasse de loin Le Média. Cela permettrait de déconstruire un système de pensée qui opère de discrets mouvements de bascule entre l’extrême-droite et une partie de la gauche, notamment via des passerelles telles que le fameux Printemps républicain.