Les frappes chirurgicales


Dans sa guerre génocidaire à Gaza qui dure depuis un an, Israël a réussi après trois mois de combats à tuer pour la première fois un dirigeant du Hamas (dirigeant politique, pas militaire). Il s’agit de Saleh al-Arouri, qui a été assassiné le 7 janvier 2024 non à Gaza mais à Beyrouth. Commentant la frappe au drone qui lui a ôté la vie, Mark Regev, un conseiller du gouvernement israélien, a décrit ce bombardement comme une « frappe chirurgicale ». Une frappe qui a tué des dizaines de personnes, la plupart des civils libanais. Si c’est ça la chirurgie, je n’aimerais pas être opéré par un médecin aussi imprécis.

Le terme « frappe chirurgicale » a été inventé par George Bush lorsqu’il était président des États-Unis pendant la première guerre du Golfe en 1991. C’était une guerre supposément menée contre Saddam Hussein et les installations militaires de son régime en Irak, mais qui a fait quand même plus de 40 000 morts, la plupart des civils. La chirurgie dans le sens propre du terme aurait été plus utile dans les hôpitaux qui ont soigné les blessés, plutôt que dans les bombes larguées par l’armée de l’air, pas si chirurgicales que ça.

Puisqu’on parle de chirurgie, la majorité des hôpitaux et unités de soins à Gaza a été détruite ou sévèrement endommagée par les frappes de l’armée israélienne. Seuls 17 d’entre eux fonctionnent encore, de façon partielle, pour une population de 2,3 millions de personnes. Dès le mois de décembre 2023, Israël a exhorté les habitants de Gaza à se déplacer (du nord vers le sud, de Rafah vers Khan Younès, de Khan Younès vers un terrain « sécurisé » à quelques kilomètres de là, ainsi de suite). Selon ONU plus de 90 % de la population de l’enclave a été ainsi déplacée. Chaque fois que des civils palestiniens ont quitté leur ville ou village pour avoir la vie sauve, un grand nombre d’entre eux se sont fait bombardés dans des abris réputés « sûrs ». Si c’est ça une frappe « chirurgicale », on peut se passer de la chirurgie à la sauce israélienne.

Le 18 mars, l’artillerie israélienne a complètement détruit l’hôpital Al-Shifa à Gaza, le plus grand centre hospitalier de ce territoire. Elle a annoncé la mort de 200 « terroristes ». Quelques combattants palestiniens ont peut-être perdu la vie dans cette destruction, mais elle a surtout tué des patients, leurs proches et du personnel médical. Notons que de telles frappes sont absolument proscrites par le droit international et le droit de la guerre. On ne bombarde pas des hôpitaux.

Regardons de plus près le sort d’autres victimes civiles cet été :

Lors d’une frappe « chirurgicale » près de Khan Younès dans le sud de la Bande de Gaza, le 13 juillet 2024, l’armée israélienne a tué Mohammed Deif, qu’elle a décrit comme le chef du Hamas qui avait planifié et exécuté l’attaque du 7 octobre 2023 en territoire israélien. Pour une cible militaire, cette frappe a tué plus de 90 Palestiniens, presque exclusivement des civils.

Le 3 août, un missile israélien a frappé un complexe scolaire de l’UNWRA à Gaza-ville qui abritait des personnes déplacées. Le gouvernement Netanyahou a prétendu viser des combattants du Hamas. Dans une école ? C’est un crime de guerre interdit par la 4ᵉ Convention de Genève qui régit la conduite des belligérants dans les conflits armés. Bilan : plus de 30 morts civils dans ce complexe scolaire.

Le 8 août, des forces israéliennes ont tué au moins 40 personnes dans toute la Bande de Gaza. Ont été bombardés un lotissement de maisons dans le camp de réfugiés d’al-Bureij (au moins 15 morts), ainsi qu’un camp de réfugiés de Nouseirat (4 morts), une maison au centre de la ville de Gaza (5 morts), puis dans la ville de Khan Younès (1 mort), puis deux écoles à l’est de la ville de Gaza (15 morts), en l’occurrence les écoles Abdel-Fattah Hamouda et al-Zahra dans le quartier Tuffah. Il est formellement interdit de tirer sur des infrastructures civiles comme des camps de réfugiés, des écoles et des hôpitaux.

Le 11 août, 93 réfugiés, surtout des femmes et des enfants, ont été massacrés dans encore une autre école à Gaza-ville située dans une zone humanitaire protégée. Ce massacre a créé un tollé international.
Un deuxième chef politique du Hamas a été tué le 31 août. Pas à Gaza, ni à Beyrouth, mais à… Téhéran. Il s’agit de Ismaïl Haniyeh, ancien Premier ministre palestinien dans la Bande de Gaza. Cette frappe dans la capitale de l’Iran a suivi une autre attaque de Tsahal datant du 25 juin, qui n’a pas atteint Haniyeh mais qui a tué 10 membres de sa famille dans la ville de Gaza. Cette dernière frappe était elle-même précédé d’une autre sur le camp de réfugiés de Chati, qui a tué trois fils et quatre petits-enfants de Haniyeh. Aucune de ces victimes n’était un dirigeant, ni politique, ni militaire, de la résistance palestinienne. Environ 60 membres de la famille de Haniyeh ont été tués depuis le début de la guerre en octobre 2023. Beaucoup de sang pour une seule cible visée.

Le 11 septembre, Israël a bombardé une école dans le camp de réfugiés de Nouseirat, au centre de la Bande de Gaza, faisant 18 morts, dont 6 employés de l’ONU. Le tout strictement interdit par les lois de la guerre. Le même jour, une frappe aérienne s’est abattue contre encore une autre école servant d’abri, faisait 14 morts.

Le 26 septembre, 15 personnes ont été tuées par une frappe « chirurgicale » dans une école de personnes déplacées dans le camp de réfugiés de Jabaliya, au nord de la Bande de Gaza. Qui plus est, le même jour, le bilan monte à près de 700 personnes – majoritairement des civils – massacrés au Liban. Netanyahou ne se contente pas de mener une seule guerre à la fois. Il en mène désormais deux, voire trois : Gaza, Liban et Iran, sans parler d’une frappe en Syrie et des menaces contre le Jordanie. Il met le feu à la poudrière.
Quant à Gaza, le bilan se chiffre à plus de 41 000 morts, la plupart des civils, dont de nombreuses femmes et plus de 17 000 enfants. Outre les opérations militaires proprement dit, le refus de laisser entrer à Gaza des quantités significatives d’aide humanitaire (nourriture, eau, médicaments, carburant) a provoqué une malnutrition endémique et l’irruption d’épidémies. Les morts civils attribuables à ces privations ont fait, selon certaines estimations, autant de victimes que les morts par balles et bombardements. Ce territoire palestinien est bien et bel « frappé », mais il n’y a rien de trop « chirurgical » dans ces frappes.

Sur la frontière nord d’Israël, les provocations répétées de Tel-Aviv contre le Hezbollah se sont muées en une guerre dont on peut dater le début au 17-18 septembre (les jours des attentats au bipeurs et walkie-talkies). Certes, ces appareils de communication vendus dans le commerce sont utilisés par des cadres du Hezbollah mais également par de nombreux civils. Outre les combattants qui ont péri dans ces attentats spectaculaires, 12 civils ont péri, sans compter les 3 458 blessés. Dans ces opérations Israël ne fait aucune distinction entre combattants et civils.

Quant à l’assassinat du chef du Parti de Dieu à Beyrouth, Hassan Nasrallah, le 27 septembre, plusieurs centaines de civils libanais ont trouvé la mort avec lui. Car pour attendre son bunker creusé dans le sous-sol, les bombardiers israéliens avaient préalablement nivelé plusieurs tours résidentielles. Des familles entières ont été annihilées. Bombarder des zones urbaines densément peuplées est formellement interdit dans les règles de la guerre, écrites en toutes lettres dans les Conventions de Genève. Sans parler de plus d’un million de civils déplacés vers le nord et l’est du Liban, quand ce n’est pas dans la Syrie voisine. Israël a exhorté les Libanais à fuir les zones de combats, comme il l’a fait pour les Palestiniens à Gaza. Ce qui ne leur a pas épargné de nouveaux bombardements dans les zones désignées comme « sûres ».

Morale de l’histoire, il faut laisser la chirurgie aux médecins, surtout pas aux militaires ! Toute notre solidarité va aux victimes civiles de ces carnages. Des sanctions contre Israël sont plus que jamais nécessaires afin d’arrêter ces guerres qui ne sont que l’extension de l’occupation, du blocus, de la colonisation et de l’apartheid israéliens.

Richard Wagman le 4 octobre 2024