Élections israéliennes
« Nous sommes allés trop loin (dans l’apartheid),
nous ne pouvons plus reculer »
Les derniers sondages avaient laissé espérer une Knesset ingouvernable, ce qui aurait été la moins mauvaise issue pour les Palestiniens. Il n’en a rien été. Avec 67 sièges sur 120, la coalition d’extrême droite dirigée par Benyamin Nétanyahou a les mains libres pour gouverner.
L’échec d’Obama
Les grands battus, ce sont les travaillistes alliés à Tzipi Livni (24 sièges et 40 avec les alliés potentiels). Faut-il avoir des « regrets » ? Non. Il n’y a pas un seul crime contre le peuple palestinien dans lequel la pseudo « gauche sioniste » ne soit pas impliquée : la Nakba en 1948, la colonisation après 1967, le massacre de « Plomb Durci » à Gaza ou la construction du mur de l’apartheid. Le dirigeant travailliste Herzog a d’ailleurs fait campagne en affichant sur les murs : « avec Nétanyahou et Bennet, vous allez vivre avec les Arabes , nous on vous garantit la séparation ». L’alliée des travaillistes, Tzipi Livni est une ancienne du Mossad, spécialiste des assassinats ciblés et elle dirigeait le pays au moment du massacre de « Plomb Durci » (2008-2009, 1400 mort-e-s). Le militant palestinien Ali Abunimah rappelle que si le tandem Herzog-Livni l’avait emporté, les Palestiniens auraient été entraînés dans des pseudo négociations qui, comme toujours, auraient été des exigences de capitulation. Avec Nétanyahou qui a affirmé « il n’y aura pas d’État palestinien et aucun retrait de Cisjordanie» et qui multiplie les nouvelles constructions dans les colonies, il n’y aura pas de négociations. Pour Obama qui avait été plusieurs fois humilié par Nétanyahou, cette issue est une mauvaise nouvelle. Sa volonté de faire pression sur la direction sioniste sans jamais recourir aux sanctions est un échec. Obama a donné plus de 3 milliards de dollars d’aide militaire à Israël en 2014, permettant ainsi à l’agresseur de renouveler son stock de munitions. Au final, cela a conforté les électeurs israéliens dans l’idée que tout leur était permis.
Comment Nétanyahou a-t-il réussi à rallier les hésitants ?
« Les Israéliens ont peur de ne plus avoir peur ». Pourtant, il a peu été question de la Palestine pendant la campagne électorale. À quoi bon ? La colonisation, l’extension des colonies et les nouvelles constructions semblent faire consensus. Pourquoi changer de politique puisque le pays, non sanctionné, n’en subit pas les conséquences ? L’occupation a tué toutes les solutions politiques : deux États, c’est impossible. La ligne verte (la frontière internationalement reconnue) n’existe plus. Un État où les droits seraient égaux, c’est impossible avec le sionisme. Alors les Israéliens qui sont entrés de plus en plus consciemment dans l’apartheid institutionnel ne voient plus comment changer de politique. Ils espèrent toujours qu’à terme, les Palestiniens deviendront les « Indiens » du Proche-Orient, parqués dans leurs réserves ou « transférés » au-delà du Jourdain. Ils imaginent que le fait accompli colonial sera légalisé. Nétanyahou a réussi à faire peur à un électorat raciste en expliquant que ses opposants ne pourraient pas gouverner sans l’appui des « Arabes ».
Nétanyahou n’a pas seulement eu les voix des colons et de l’extrême droite. Il a rallié une bonne partie des voix des Juifs orientaux qui sont pourtant les premières victimes de sa politique ultra-libérale. La proportion des Juifs israéliens vivant sous le seuil de pauvreté est montée à 21%.
Un vote à rebours de l’évolution géopolitique.
Nétanyahou a vécu aux États-Unis. Il est lié à la droite républicaine. Il considère Obama comme une anomalie et il agit comme si, éternellement, Israël allait bénéficier du parapluie américain et être un porte-avion occidental au Proche-Orient. Mais le monde bouge. Nétanyahou a toujours fait campagne en diabolisant l’Iran et en prônant une « guerre préventive » qui mettrait à feu la région et ferait oublier la question palestinienne. Les gesticulations de Nétanyahou sont d’autant plus indécentes quand il accuse l’Iran de vouloir fabriquer la bombe atomique que le pays de la région qui possède notoirement de nombreuses têtes nucléaires, tout en ayant énergiquement refusé de signer le moindre traité international sur cette question, c’est Israël.
Le rapprochement entre l’Iran et les États-Unis qui s’esquisse semble irréversible parce qu’il y a un ennemi commun (Daesh). Du coup le pari de Nétanyahou qui consiste à continuer de faire plier la direction américaine, devient risqué.
Dans les mois qui ont précédé le vote, Nétanyahou s’est alarmé du BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). Ce mouvement continue de remporter des succès. Ainsi, la société française Poma qui avait été pressentie pour la construction d’un téléphérique à Jérusalem, s’est très vite désistée. L’adhésion de la Palestine à la Cour Pénale Internationale annonce peut-être des poursuites contre les dirigeants israéliens. Il est bien téméraire dans ces conditions de s’opposer au protecteur américain.
Un espoir : la liste commune
Dans la fragmentation de la Palestine réalisée par des décennies d’occupation, de violences et d’apartheid, on oublie souvent les Palestiniens d’Israël qui représentent plus de 20% de la population et subissent, « légalement », de très nombreuses discriminations dans un État qui se définit comme « juif ». Jusque-là, ils s’abstenaient massivement ou se présentaient en ordre dispersé. Le fasciste Lieberman, pour les éliminer de la Knesset, avait eu l’idée de porter à 3,25% le seuil pour avoir des députés.
Du coup, les partis palestiniens se sont unis. La liste commune qu’ils ont présentée, comportait aussi 3 candidats juifs. Avec 14 sièges, elle devient la troisième force du pays. Elle a fait reculer l’abstention et a permis une unité palestinienne jamais réalisée jusque-là. Parmi les élu-e-s, la militante Haneen Zoabi, présente sur le Mavi Marmara et victime de menaces et de violences en plein parlement. Seul point noir : la faiblesse du vote juif pour cette liste. La rupture avec le sionisme reste la question clé pour une paix fondée sur l’égalité des droits.
Pierre Stambul