Les dirigeants palestiniens doivent dire clairement que l’État unique existe bel et bien

Les manœuvres de zombies de ces 20 dernières années ou plus et le plaidoyer constant en faveur de négociations pour une solution à deux états depuis longtemps moribonde doivent cesser : la seule question qui vaille est de savoir quel type d’État émergera – laïc ou d’apartheid.

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Richard Falk – Mars 2017 – Photo : Jehan AlFarra/Middle East Monitor

Par Richard Falk. Publié le 7 novembre 2019, sur le site de Chronique de Palestine.

Les processus mentaux qui insufflent une vitalité politique à des géopolitiques de zombie bien après que leur viabilité a expiré sont en partie mystérieux, mais en partie un effort calculé pour nier que la réalité a changé.

Plus concrètement, j’ai à l’esprit l’après-vie de la solution à deux états, longtemps après qu’il est devenu parfaitement limpide qu’elle ne se réaliserait jamais. Je me souviens avoir été intrigué par une déclaration de l’ancien président Barak Obama dans ce sens – à savoir que tout le monde savait qu’elle était la solution mais personne ne savait tout simplement pas comment y parvenir.

C’était une déclaration trompeuse étant donné que la principale partie, Israël, indiquait clairement par ses actes – y compris l’expansion des colonies et l’annexion de Jérusalem – et plus tard par ses propos, via la promesse électorale de 2014 du premier ministre Benjamin Netanyahou, qu’il était hors de question de permettre à un authentique état palestinien de voir le jour. Souvenez-vous que même en 1995 alors que les véritables objectifs du projet sioniste étaient plus obscurs, Yitzhak Rabin fut assassiné pour avoir seulement fait allusion à une telle possibilité.

La seule option

Alors pourquoi la litanie des deux états a-t-elle une telle longévité en géopolitique ? Pour être juste envers le président états-unien Donald Trump, il a abandonné ce type de discours anachronique, et si jamais son « accord du siècle » voit le jour, ce sera la proposition d’un seul état, habillée peut-être de certains atours de deux états. Mais pourquoi les gouvernement scandinaves, J-Street, et même l’Autorité Palestinienne (AP) s’accrochent-ils à l’idée d’une solution à deux états comme charpente d’un futur processus diplomatique censé rechercher la paix ?

Une réponse superficielle consiste à dire qu’elle demeure la seule option, ou plus exactement, la seule option reconnue. Une réponse plus sensible laisse supposer qu’une solution de rechange à celle du consensus en faveur de deux états, de plus en plus probable est celle d’un seul état d’apartheid israélien qui semble pire pour la Palestine aux yeux des progressistes, et même pour Israël à plus long terme.

Une réponse plus approfondie serait l’incompatibilité d’une solution à un seul état avec la réalité d’un état juif, ce qui signifie la fin du projet sioniste tel qu’il s’est développé depuis 1947.

Nous devrions nous souvenir que la Déclaration Balfour colonialiste de 1917 promit au mouvement sioniste un soutien à un « foyer national pour le peuple juif » et rien de plus, évitant délibérément le terme « d’état », sans pour autant exclure une telle possibilité.

Le Cabinet et les dirigeants britanniques étaient divisés sur ces questions. La déclaration promettait également de protéger les droits et la situation des communautés non-juives en Palestine, un vœu pieux et depuis longtemps oublié.

La Déclaration Balfour est, bien sûr, un document historique discrédité, que des évènements ultérieurs ont depuis longtemps supplanté, mais comment et dans quelle mesure demeure une question controversée.

Bifurcations de la route

Que signifie donc la situation actuelle pour ceux qui cherchent à régler la destinée probable et souhaitable de ces deux peuples ? Il semble y avoir deux possibilités : soit la prolongation indéfinie du calvaire existant de domination et de victimisation, soit une sorte d’adoption d’une issue à un seul état.

Dans le deuxième cas, il y a une seconde bifurcation possible : soit un état juif pratiquant l’apartheid, soit un état laïc, ethniquement neutre fondé sur les droits de l’homme et l’égalité pleine et entière de ses différents peuples et de leur religion. L’adoption récente de la Loi Fondamentale du peuple juif, et le rejet par la Knesset d’un projet de loi affirmant l’égalité de tous les peuples vivant en Israël, montrent clairement qu’Israël est déterminé à réaliser la première option.

Il semblerait que les dirigeants israéliens œuvrent à une transition plus ou moins secrète des aléas de l’occupation indéfinie des territoires palestiniens vers leur incorporation territoriale dans l’état juif souverain d’Israël, avec la possibilité cependant de laisser Gaza de côté, pour échapper aux activités de résistance à Gaza et éviter l’embarras d’une majorité démographique palestinienne dans un état juif.

Il semble crucial d’être conscient du résultat assuré d’une telle « solution » israélienne unilatérale et coercitive, l’objectif apparent de l’approche de Trump et du « Victory Caucus » de Daniel Pipes. Si elle était mise en œuvre, une telle vision n’apporterait pas la paix, mais un autre cessez-le-feu, tout au mieux, menant aussi surement que la nuit suit le jour à de nouvelles spirales de résistance palestinienne violente et non violente.

Dans ce climat mondial postcolonial, un peuple réprimé continuera de résister quel que soit le prix à payer, et c’est ce que fait le peuple palestinien depuis plus de 70 ans. Comme la Grande Marche du Retour l’a montré au monde entier ces derniers mois, sa volonté politique en la matière n’a pas faibli, malgré le coût cruel que lui a imposé la violence israélienne impitoyable.

Dissiper l’écran de fumée

En outre, la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et d’autres formes d’expression de solidarité mondiale ont renforcé le poids international des revendications palestiniennes, tandis que le soutien inconditionnel à Israël dans toute la diaspora, et notamment aux EU, a faibli, y compris de façon spectaculaire chez les jeunes juifs américains.

En fin de compte, la seule question qui vaille est la suivante : quel type d’état unique existera dans le territoire de la Palestine administré entre les deux guerres mondiales par le Royaume Uni en tant que mandataire ? Est-ce que ce sera un état juif qui réalise le projet sioniste, ou un état laïc fondé sur les droits de l’homme et mû par un esprit d’égalité ?

Au moins, poser la question en ces termes dissipe l’écran de fumée fourni par les manœuvres de zombie des vingt dernières années ou plus liées au plaidoyer permanent en faveur de négociations autour d’une solution à deux états depuis longtemps moribonde entre l’AP et l’état d’Israël.

Le contexte diplomatique y gagnerait en clarté si le président Mahmoud Abbas et la direction de l’AP à Ramallah pouvaient, même tardivement, montrer la voie en affirmant ce nouveau réalisme. Ce pourrait être le moyen de retrouver leur pertinence pour le bien-être du peuple palestinien et la véritable dynamique de la lutte palestinienne.

* Richard Falk est professeur émérite, détenteur de la chaire Albert G Milbank de droit international à l’université de Princeton et chercheur à Orfalea Center of Global Studies. Il a aussi été rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits de l’homme palestiniens. Pour consulter son blog.

9 janvier 2019 – MiddleEastEye – Traduction: Chronique de Palestine – MJB