Comme tout le récit biblique, l’histoire de Gedeon a suscité de nombreuses interprétations. La plus récente est l’appellation « Chariots de Gédeon » par l’Etat israélien pour la phase actuelle de la destruction de Gaza.
Ceci plus largement fait partie de l’instrumentalisation de la tradition religieuse juive par la propagande sioniste comme par exemple la promesse divine aux patriarches d’une terre du Nil à l’Euphrate, du souhait de « l’an prochain à Jérusalem » prononcé à chaque Pessah. Nous avons déjà expliqué que cette promesse est conditionnée à une attitude morale exemplaire, que ce souhait signifie simplement « vivement que le messie arrive »
Que dit cette tradition religieuse par rapport à ses « textes sacrés » dont l’ossature est constituée par le Tanah, c’est-à-dire la Torah ( le Pentateuque) et les autres textes comme les Nevihim ( les Prophètes) et les Ketouvim ( les autres écrits) ?
Le judaïsme c’est la discussion autour de ces textes. Les méthodes d’interprétation de la Bible juive classent quatre étapes ou niveaux : P’shat (direct, direct, littéral), Remez (suggestionné), D’rash (interroger, chercher) et Sod (secret, mystérieux) . Ces quatre niveaux sont appelés PaRDeS ( le PaRaDiS ?) 1.
Etant entendu qu’à l’intérieur de ces 4 niveaux, de multiples interprétations sont possibles. Y compris donc l’interprétation sioniste littérale. Or on juge l’arbre à ses fruits. L’interprétation de ces « sacrés textes » comme par exemple la conquète sanglante de « Eretz Israël » par Josué et les récits des guerres génocidaires menés contre les peuplades « idolâtres » à exterminer, que l’on pourrait donc reproduire sans état d’âme envers les Palestiniens maintenant, ne peut mener qu’à la catastrophe en cours. Pourtant, comme le rabbin Gabriel Hagaï l’explique 2, la tradition religieuse juive repose sur 3 piliers , la Vérité ( Emet), la Justice ( Tsedek) et la Paix ( Shalom).
Maintenant reprenons le récit biblique de l’histoire de Gedeon ( Juges 6-8)3. Il vient d’être rappelé brillamment par notre ami Michel Ouaknine 4 que la figure du héros Gédéon est utilisée par les sionistes dans son interprétation littérale et belliqueuse. L’exégèse juive issue du Midrach et du Talmud propose pourtant d’autres modèles moraux à partir du personnage de Gédéon et de son épopée.
Ainsi Gédéon est choisi alors qu’il se considère comme le plus faible et le plus insignifiant de sa famille. Les rabbins soulignent que Dieu choisit souvent les humbles et ceux qui doutent d’eux-mêmes pour accomplir de grandes choses, afin de montrer que la réussite ne vient pas de la force humaine, mais de l’aide divine. L’humilité de Gédéon est vue comme une qualité essentielle du leadership spirituel : il ne cherche pas la gloire personnelle et rappelle constamment que la victoire appartient à Dieu, non à lui ou à ses hommes.
Gédéon demande à Dieu plusieurs signes pour être rassuré dans sa mission. Les rabbins notent que la foi n’exclut pas le doute ou la demande de confirmation, surtout face à une tâche apparemment impossible. Dieu répond à ces demandes, montrant sa patience envers ceux qui cherchent sincèrement à comprendre sa volonté. Ce dialogue entre Gédéon et Dieu illustre que la foi se construit aussi dans le questionnement et la recherche de preuves tangibles.
Dieu ordonne à Gédéon de réduire drastiquement la taille de son armée pour que la victoire ne soit attribuée qu’à l’intervention divine, et non à la puissance humaine. Les rabbins y voient une leçon sur la Providence : Dieu se manifeste souvent lorsque l’homme reconnaît ses limites et s’en remet à Lui.
Avant la victoire militaire, Gédéon doit d’abord détruire l’autel de Baal. Les rabbins insistent sur le fait qu’il ne peut y avoir de délivrance véritable sans retour à la fidélité à Dieu et abandon des cultes étrangers.
La délivrance d’Israël n’est pas seulement militaire, mais aussi spirituelle : elle passe par la repentance et la purification du peuple.
Après sa victoire, Gédéon refuse la royauté que le peuple veut lui confier, rappelant que seul Dieu doit régner sur Israël. Les rabbins voient ici une mise en garde contre la tentation du pouvoir et l’importance de rester un serviteur de Dieu, non un chef autoproclamé.
Toutefois, la suite de l’histoire montre que même un chef humble peut commettre des erreurs (l’épisode de l’éphod et la tentation de l’idolâtrie), soulignant la complexité du leadership humain et la vigilance nécessaire face à l’orgueil.
L’histoire de Gédéon pose la question du rôle du peuple dans sa propre délivrance : Dieu initie le salut, mais attend une participation active d’Israël. La tradition rabbinique insiste sur la responsabilité collective et individuelle dans le processus de rédemption5.
De façon plus précise voici quelques commentaires tirés de Rachi, du Talmud et du Midrash :
Juges 6:11 – Gedeon bat du froment au pressoir
Rachi explique que Gedeon agit en cachette pour échapper aux Madianites. Le Midrash (Yalkut Shimoni) dit que Dieu observe les actes courageux mêmes dans le quotidien, et c’est ainsi qu’Il choisit Gedeon. Cela rappelle que la grandeur commence dans les gestes modestes.
Juges 6:13 – ‘Si l’Eternel est avec nous…’
Dans Bereshit Rabbah 32:4, Gedeon est comparé a Abraham qui plaide pour Sodome. Le Talmud (Berakhot 7b) enseigne que les justes peuvent questionner Dieu avec révérence. La tradition admire cette capacite à s’adresser directement a Dieu, non dans le deni mais dans la quête de sens.
Juges 6:14 – ‘Va avec cette force…’
Rachi enseigne que cette ‘force’ est la capacite a défendre Israel. Ramban ajoute que Dieu appelle souvent ceux qui se sentent faibles pour mieux révéler Sa puissance. Cela montre que la ‘force’ spirituelle précède la force militaire.
Juges 6:36-40 – L’épreuve de la toison
Le Midrash Tanhouma defend Gedeon : il ne doute pas par orgueil, mais demande une confirmation sincère. Ramban interprète cela comme un modèle de prudence prophétique. C’est l’idée que même les plus grands peuvent douter, tant que leur doute conduit à une plus grande clarté.
Juges 7:2 – Réduction de l’armée
Rachi explique que Dieu réduit l’armée pour qu’Israël ne s’attribue pas la victoire. Le Talmud (Sota 8b) tire de ce passage que ‘le salut de l’Eternel vient souvent par le petit nombre’. Les rabbins insistent sur l’idée que la foi peut triompher même sans supériorité matérielle.
Juges 8:22-23 – Refus du pouvoir
Le Midrash Shemot Rabbah loue Gedeon pour son refus de la royauté, le comparant a Moise. Rambam (dans le Guide des Egarés) voit dans ce refus une preuve de la pureté du leadership biblique. Le vrai dirigeant sert, il ne se sert pas.
Juges 8:27 – L’ephod et l’idolâtrie Rachi reconnait la bonne intention de Gedeon. Mais le Talmud (Sanhedrin 103b) met en garde contre les conséquences involontaires des actions pieuses. Les rabbins en déduisent qu’il faut non seulement de bonnes intentions, mais aussi une grande vigilance spirituelle.
Résumons : nous sommes bien loin de l’éloge de la force militaire brute et de la virilité.
On y voit une attention aux plus faibles ( Gedeon est un simple paysan) un refus du pouvoir et de la souveraineté humaine, tout le contraire de l’idéologie sioniste.
Rappelons les enseignements bien connus de la tradition rabbinique, comme « Tu ne tueras point » « Tu aimeras ton prochain ( et l’étranger) comme toi-même » et (Zacharie 4:6) « : Ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon esprit, dit l’Éternel »
Enfin, j’ai bien reçu une éducation religieuse, j’ai fait ma Bar Mitzvah, mais il y a bien longtemps et depuis, Hachem me le pardonnera, je n’ai pas poursuivi d’études dans ce sens. Alors pour rédiger cet article, je me suis aidé largement de l’intelligence artificielle. Que les véritables talmudistes m’excusent à l’avance (ainsi que Hachem) si les références évoquées ici ne sont pas tout-à-fait correctes.
Daniel Lévyne
Note-s
- https://www.kabbale.eu/les-quatre-du-pardes/[↩]
- https://www.facebook.com/gabriel.hagai/videos/1171501664429453[↩]
- https://www.biblegateway.com/passage/?search=Juges%206&version=SG21[↩]
- https://ujfp.org/les-chariots-de-gedeon-vus-a-travers-le-texte-biblique-et-les-sources-historiques/[↩]
- https://etzion.org.il/en/tanakh/neviim/sefer-shoftim/chapitres-7-et-8-l%E2%80%99histoire-de-g%C3%A9d%C3%A9on[↩]