Des milliers de bédouins vivent dans une précarité extrême dans des villages non reconnus au sud d’Israël.
De l’envoyé spécial de La Chronique à Beersheeba
C’est une situation humaine lamentable, ubuesque, tragique. Presque ignorée en Israël, et plus encore par la communauté internationale, elle concerne pourtant des dizaines de milliers de personnes dans ce désert du Néguev Niqab au sud du pays, qui est à la fois une zone de développement importante pour l’économie israélienne et aussi un vaste terrain d’entraînement pour l’armée. Depuis 1948, cela ne date pas d’hier, le gouvernement israélien refuse de reconnaître l’existence de plusieurs dizaines de villages arabes, peuplés de Bédouins sédentarisés. Concrètement, ces « villages non reconnus » sont à l’écart des routes, ne bénéficient d’aucun raccordement aux réseaux d’électricité, d’eau et d’assainissement. Il y aurait 35 « villages non reconnus » dans le Néguev, et plus de 70 000 personnes. Il y sévit une misère de bidonville, malgré les efforts d’associations et d’ONG pour parer au plus pressé, entretenir des groupes électrogènes, ouvrir des crèches, organiser vaille que vaille la scolarité des enfants, faciliter la commercialisation de l’artisanat local.
La plupart de ces « villages non reconnus » se situent à quelques kilomètres de Beersheba, énorme mégapole du désert qui abrite la plus importante base aérienne de l’armée (7 000 militaires). C’est de là que décollaient les avions qui bombardaient Gaza, en décembre 2008-janvier 2009 puis l’été 2014. Non loin, la base nucléaire « ultra secrète » de Dimona fait de cette région l’une des plus sécuritaires du pays. L’armée y effectue sans cesse des manœuvres. « Plusieurs villages sont tout près des camps militaires et petit à petit la terre est confisquée pour les besoins de l’armée », explique Helal Alosh, chargé de mission à Amnesty Israël, qui se bat pour le droit à la terre des Bédouins. Mais plus encore que l’expansionnisme de l’armée, le développement de villes juives en lieu et place des villages bédouins entraîne le harcèlement de leurs habitants.
PLANS DE DÉMOLITIONS
Le gouvernement propose des « plans de développement » qui consistent à parquer les familles de Bédouins dans des HLM de townships, et édifier à la place de leurs misérables maisons de planches et de tôle de coquets villages avec écoles, terrains de sports, supermarchés, et bien sûr, tout à l’égout, eau et électricité. « On nous ment sur les plans de développement, poursuit Helal Alosh. Ce sont en fait des plans de démolition des villages bédouins et d’expulsion de leurs habitants, qui refusent de se soumettre à la loi des bulldozers ». Certains de ces villages ont été détruits des dizaines de fois, leurs habitants dispersés, « il y a eu des décisions incroyables de punitions collectives des habitants », s’indigne Helal. Et ce n’est pas fini : en 2015, la cour suprême a autorisé la démolition du village d’Um al Heiran et la création de nouveaux villages juifs sur le site de deux villages bédouins existants promis eux aussi à la démolition.
Une toute petite ONG défend les Bédouins, fédère ceux et celles qui ne veulent pas laisser tomber ces damnés du désert. Ici se concentre en effet la misère, plus de 70 % des 240 000 Bédouins de la région vivent dans une pauvreté absolue, selon les critères israéliens, dont la quasi-totalité des 70 000 habitants des villages « non reconnus ». Le Negev Coalition forum for civil egality les soutient dans leurs démarches judiciaires, tente de faire connaître leur cause dans le pays et au-delà. Présidée et animée par une géographe, Haia Noach, l’ONG est hébergée par la municipalité de Beersheba dans un abri anti-aérien à deux pas de l’université. Ce sous-sol sans lumière abrite une poignée de salariés et sert deux fois par mois de cadre à des soirées culturelles.
Il faut dire que le Negev Coalition Forum ne dispose que d’un très modeste budget de 199 100 dollars en 2014 (soit 175 000 euros), provenant principalement de la Suisse, de l’Union européenne, et de la Fondation Rosa Luxembourg, liée au SPD allemand. Pas même le prix d’un des quatre missiles qui équipent le gros hélicoptère noir tournoyant non loin, lors de notre visite aux alentours de Beersheba. Ici « la réduction de l’espace démocratique voulu par Netanyahou », décrite par Haia Noah, n’est pas un vain mot, sur la terre comme dans le ciel. « Il nous faut beaucoup d’énergie pour continuer à avancer, ajoute-t-elle. On fait de petites choses, très locales, quand même très utiles. Il y a de la considération pour notre travail à l’extérieur du pays, mais du dénigrement à l’intérieur. Et cela ne va pas s’arranger ».
Jean Stern