Par Pierre Stambul. Publié dans le numéro de janvier 2018 du mensuel CQFD.
Les fondateurs du sionisme n’étaient pas religieux. Herzl était agnostique et Ben Gourion était athée, considérant les rabbins comme des arriérés.
Mais ces braves gens ont utilisé la Bible comme un livre de conquête coloniale, croyant ou feignant de croire à l’historicité de la Bible.
« Dieu n’existe pas, mais il a donné cette terre au peuple juif » auraient-ils pu dire.
L’histoire est têtue
Aujourd’hui, les archéologues et les historiens sont arrivés à un consensus. L’épisode d’Abraham est légendaire. Les Hébreux ne sont pas arrivés de Mésopotamie, il n’y a pas la moindre trace d’un tel déplacement.
Les Hébreux ne sont ni rentrés ni sortis d’Égypte. Moïse et son berceau sur le Nil ou Joseph « ministre du pharaon », c’est une légende. Le Sinaï était alors une province égyptienne truffée de garnisons et le passage d’un peuple dans cette région aurait forcément laissé des traces. Or la première preuve historique de l’existence d’un peuple « d’Israël » est postérieure : c’est la stèle du pharaon Mérenptah (1207 av JC) qui parle d’un peuple vassal.
La conquête sanglante de Canaan par Josué n’a pas eu lieu. Les trompettes n’ont pas sonné à Jéricho. Les Hébreux sont un peuple autochtone et ils ne se sont pas conquis eux-mêmes. Dommage pour les colons qui affirment que « Dieu a donné cette terre au peuple juif » et qui veulent imiter contre les Palestiniens le nettoyage ethnique sanglant de Josué contre les « peuples impies ».
Le royaume unifié de David et Salomon n’a probablement jamais existé. À l’époque présumée de David et Salomon, Jérusalem était un petit village de l’âge de fer. Tant pis pour le « grand temple de Salomon » dont les collégiens de ma génération devaient apprendre le plan par cœur. Et tant pis pour la reine de Saba qui nous a fait rêver. Il y a bien une stèle postérieure de quelques siècles qui parle d’un roi David mais ce n’est pas celui de la Bible. Si celui-ci a existé, il avait un troupeau un peu plus grand que ceux des autres bergers. Les deux royaumes d’Israël (détruit par les Assyriens) et de Judée (détruit par les Babyloniens) ont une existence historique avérée. Avant, on est dans la légende.
Ces faits sont connus depuis longtemps. Dans « La Bible dévoilée » (2001), deux Israéliens (l’archéologue Israël Finkelstein et l’historien et archéologue Neil Asher Silberman) racontent l’évolution du savoir. Depuis, Shlomo Sand ou l’archéologue français Jean-Baptiste Humbert ont confirmé, voire amplifié le caractère légendaire du récit biblique. La Bible a largement été écrite pendant l’exil des Juifs à Babylone au VIe siècle avant JC.
Une tentative pitoyable
Pour les autorités israéliennes, ce savoir historique fait désordre. Nétanyahou est souvent affublé par ses partisans du sobriquet de « roi d’Israël » ressuscitant le prétendu royaume unifié de l’Antiquité. Les principaux rites et les principales fêtes juives sont liés à l’épisode égyptien et à l’esclavage dont les Juifs se seraient libérés. Et le roi David est censé avoir combattu les Philistins qui ont donné leur nom à la Palestine. La référence à l’ennemi héréditaire est un enjeu.
Du coup, les autorités israéliennes ont multiplié les fouilles pour prouver que les archéologues s’étaient trompés. Hélas, l’histoire est têtue. Tout ce qu’on avait attribué à Salomon et David est soit antérieur (les ruines de Megiddo), soit postérieur (les ruines d’Hatzor), soit n’a rien à voir avec les rois légendaires (les mines dites « du roi Salomon » sont clairement égyptiennes). Quant aux fouilles menées à coup de tunnels sous l’esplanade des mosquées au risque de provoquer une révolte généralisée, elles n’ont rien donné.
Grande histoire et petite histoire
Dans les universités israéliennes, il y a deux départements d’histoire. Il y a l’histoire classique, celle qui produit des articles et des thèses. Dans ce département, un étudiant qui voudrait faire une thèse sur l’historicité de David et Salomon serait traité comme un charlatan, un peu comme un étudiant français qui voudrait faire une thèse sur le créationnisme.
Mais il y a aussi un département « d’histoire juive ». C’est ce département qui fabrique les programmes et qui définit le « roman national » sioniste. Dans ce département, le récit biblique est sacré. Parfois, il faut même broder autour de ce récit. Les autorités israéliennes ont donc décidé que le roi David avait vécu à Silwan.
Nettoyage ethnique biblique
Silwan, c’est un des quartiers qui a été incorporé dans Jérusalem Est, en contrebas de la vieille ville. Il y a 50 000 habitants. Depuis des années, les colons envahissent ce quartier, réquisitionnant des maisons et expulsant les habitants. Le gouvernement israélien travaille avec l’association de colons « Ateret Cohanim » pour faciliter le nettoyage ethnique en cours.
Il y a une tente de la solidarité au centre du quartier. Les habitants s’organisent, racontent les incursions des colons et de l’armée. Les écoliers disent que, quand ils rentrent de l’école, ils ne sont pas sûrs que leur maison ne soit pas occupée. Il y a déjà 2800 colons installés dans le quartier.
« Justification » des autorités coloniales : elles construisent à Silwan le musée du roi David, la maison du roi David et surtout le Parc du roi David. C’est connu, ce brave roi était un précurseur de l’écologie.
Comme la vieille ville de Jérusalem est appelée par les Israéliens « cité du roi David », comme il y a déjà un « parc national » du roi David, comme on peut bien sûr visiter le « tombeau du roi David » sur le mont Sion à Jérusalem Est, le tour est joué. Les autochtones n’ont plus qu’à déménager.
Pierre Stambul