Vient de paraître – Gaza. D’ici et d’ailleurs

D’urgence : se désenvoûter

Depuis sa création, au printemps 2006, « Ici et Ailleurs, association pour une philosophie nomade », n’a cessé de placer la cause palestinienne au centre de ses préoccupations, que ce soit par le biais des échanges qu’ont pu entretenir ses membres à l’occasion de réunions informelles, des rencontres et universités d’été auxquelles participèrent nombre d’intervenant-e-s occasionnel-le-s venu-e-s de tous les coins du monde, ou des articles publiés sur le présent site.

Cependant que les souffrances innommables du peuple gazaoui, les spoliations imposées par la violence militaire aux habitants de la Cisjordanie illégalement occupée et les injustices subies à Jérusalem-Est par la majorité arabe victime d’une législation d’apartheid étaient progressivement reléguées à l’arrière-plan de l’histoire et invisibilisées des enjeux géopolitiques auxquels il était convenu de s’intéresser, jamais la tragédie de Palestine n’a laissé d’habiter nos pensées, nos inquiétudes, notre colère souvent, notre tristesse aussi.

Ce ne fut donc pas pour nous, mais pour les artisans de cette relégation et de cette invisibilisation, pour tous ceux qui avaient fini par se laisser distraire, et résolu de regarder ailleurs, que le 7 octobre 2023 fut un surgissement à la fois ahurissant et scandaleux. L’opération du Hamas que, résolument et en toute conscience, nous nous gardons bien de qualifier dans les mêmes termes que l’inconditionnelle innocence occidentale blanche, en cette occurrence comme en d’autres, a réussi à graver dans les sillons du disque-ourcourant (Lacan), n’a été, ni plus, ni moins, qu’un retour du refoulé.

« Nous ne sommes pas mort. Malgré vous, nous existons. Nous continuons d’exister, et même plus vivants que jamais. » Voilà une série d’énoncés par quoi se traduit la percée hors des murs de Gaza. C’est le réel qui fait irruption au beau milieu du déni insouciant, de l’imaginaire oublieux, hypnotisé par les rythmes techno, à cinq kilomètres des « portes de l’enfer » (Alain Brossat).

On ne corrige pas un fantasme. L’absence, l’inexistence du peuple palestinien est le fantasme dément sur lequel prospère Israël depuis son origine, et que le 7 octobre est venu pulvériser. La morale provisoire cartésienne préconisait : « Changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde. » La morale définitive d’Israël et de tous les partisans du sionisme, c’est : « Ajuster le monde à notre désir que le peuple palestinien n’ait jamais existé. »

La « direction d’ajustement », comme disent les philosophes du langage ordinaire, du réel au désir, peut s’accomplir de deux manières, et le sionisme excelle dans chacune d’elles, qui loin d’être exclusives, sont parfaitement complémentaires. La première, la plus expéditive, consiste à intervenir effectivement sur un état de choses qui ne convient pas, afin d’établir une correspondance entre ce qui est et ce qui devrait être : par exemple, l’éradication d’hommes, de femmes et d’enfants dont on souhaite s’accaparer les terres. La seconde, c’est le sortilège de la langue, les envoûtements du discours : faire que l’usage des mots soit si spécieux, si fumeux, si antiphrastique, que la perception du monde, gravement obscurcie et désorientée, en vienne, comme dans une camera obscura, à s’inverser et prendre ses rêves pour la réalité.

A défaut d’avoir la moindre prise sur la première manière, les textes que le présent volume réunit, provenant de diverses aires géographiques et culturelles, après une première publication sur le site de notre association, s’attachent, chacun selon sa perspective particulière, à ouvrir une échappatoire aux envoûtements du discours sioniste.

Ce livre, en quelque sorte, est le grigri, dont nous avons toutes et tous plus que jamais besoin.

Cédric Cagnat

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SOMMAIRE

Houria Bouteldja
L’anti-tatarisme des Palestiniens (et des banlieues) n’existe pas. À propos de Miss Provence et de l’antisémitisme (le vrai), 7

Gideon Levy
Les Israéliens paient le prix fort pour l’oppression des Palestiniens dans la bande de Gaza, 15

Alain Brossat
La rave, « les Juifs », la terreur, 19

Alain Naze
Tout se passe comme si les combattants palestiniens avaient voulu produire un effet-miroir de la guerre menée par Israël contre la Palestine, 33

Omar Suleiman
Comment le conflit au Moyen-Orient est-il présenté ?, 37

Thierry Briault
Derrida disait : « Israël est le dernier État colonial », 41

Michèle Sibony
La répression sanglante contre Gaza est largement entamée, 47

Ilan Pappé
Ami·es israélien·nes, voilà pourquoi je soutiens les Palestinien·nes !, 51

Boaventura de Sousa Santos
Gaza, c’est l’Europe d’ici et d’aujourd’hui, 55

Souhail Chichah
Hamas : le Point Aveugle/Hamas : The Blind Spot, 59

Sylvain Jean
La captation du mot « juif » par l’Occident ou la deuxième mort d’un monde, 65

Amanda Gelender
Assimiler l’antisionisme à l’antisémitisme : une gifle aux Juifs comme moi, 75

Bernoussi Saltani
L’Occident et l’enseignement de l’inculture sur la tragédie palestinienne, 83

Hazem Almassry
Vivre derrière le mur : Naviguer dans la vie dans la bande de Gaza, 93

Amel Eid
Identité sous oppression. Est-ce que cela s’applique aux Palestiniens de Gaza ?, 101

Hanh T.L. Nguyen
Représentation de la guerre d’Israël contre Gaza dans les journaux vietnamiens en ligne, 111

Ruba Salih
Le Palestinien peut-il parler ?, 133

Quatrième de couverture

Les auteur.e.s de ce livre collectif ont en commun la colère et l’accablement que leur inspirent tant l’anéantissement de Gaza par l’armée israélienne que la passivité complice des démocraties occidentales face à ce crime d’Etat. Mais ce qui en fait la singularité, rare dans le paysage intellectuel français, est la diversité des perspectives qui s’expriment – l’entrecroisement des regards du Nord global et du Sud global.
À tous égards salutaire, cette confrontation encourage à changer les termes de la conversation à propos de l’abominable destruction de Gaza.

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Date de publication : 20 juin 2024
Broché – format : 13,5 x 21,5 cm • 154 pages
17 €