Cette nouvelle édition des mémoires du Capitaine Dreyfus est agrémentée d’une préface d’Emmeline Fagot, membre de l’UJFP, dans laquelle elle compare le racisme d’État tel qu’il s’incarne au moment de l’Affaire Dreyfus et dans les formes qu’il revêt actuellement.
Le livre est disponible aux Éditions Laborintus.
Extrait de la préface :
« Si l’on veut lutter efficacement contre le racisme, quelle que soit la forme qu’il revêt, il est fondamental de l’envisager comme un tout indissociable. Depuis de nombreuses années, il est courant d’entendre parler de lutte contre « le racisme et l’antisémitisme » or il s’agit ici d’une aberration dans la mesure où la distinction que l’expression opère semble différencier et finalement hiérarchiser le racisme antijuif et toutes les autres formes de racisme. Pourquoi ? Au nom de quoi ? On retrouve ici le même mécanisme à l’œuvre dans le philosémitisme précédemment abordé. Par conséquent, l’exaspération née d’un sentiment d’injustice, d’un « deux poids, deux mesures », peut alimenter l’antisémitisme. Ce mécanisme exacerbe la concurrence des mémoires et peut faire perdre de vue le vrai combat qui est à mener : celui de la lutte contre le racisme d’État sous toutes ses formes. Rappelons ici que le terme « racisme d’État » ne renvoie pas seulement à des lois qui seraient ouvertement discriminatoires, mais, entre autres, à un ensemble de déclarations de responsables politiques de tous bords identifiant des catégories de la population comme ayant des caractéristiques intrinsèquement négatives et dangereuses pour la nation ou encore à la violence policière qui frappe certaines minorités et demeure dans la quasi-totalité des cas impunie par la justice de ce pays1. Ce racisme est d’autant plus dangereux qu’il vise des minorités particulièrement touchées par la précarité socio-économique.
Par ailleurs, le rôle de relais que jouent la plupart des organes de presse, en reprenant allégrement des stéréotypes islamophobes ou rromophobes, est fondamental et participe de la banalisation d’un climat raciste. Et nous ne pensons même pas, ici, à la presse traditionnellement identifiée comme d’extrême droite. Ces dernières années, Le Point et L’Express, par exemple, ont multiplié les Unes présentant l’islam comme dangereux avec des titres aussi inspirés que « Cet islam sans gêne », « Islam – les vérités qui dérangent » ou encore « L’Occident face à l’islam ». Cette obsession islamophobe s’illustre aussi par des émissions télévisées comme celle intitulée « L’islam est-il soluble dans la République ?2 », formulation dont le style n’est pas sans rappeler les théories raciales prétendument scientifiques du 19e siècle…
Les sorties de certains responsables politiques de premier plan viennent cautionner des stéréotypes haineux en évoquant la présumée incapacité de certaines minorités à vivre en France. Nous n’évoquerons pas ici le cas de l’extrême droite à laquelle le racisme est consubstantiel. Des partis de droite ont quant à eux, depuis un certain nombre d’années, suivi le chemin du Front national en incluant dans leurs analyses et programmes des repères et des prises de position de même ordre. Ainsi, début juin 2015, à peine formés, les Républicains consacraient leur première journée de travail à la question « l’islam en France ou l’islam de France », en présence d’élus de terrain et de spécialistes de la laïcité. Il est intéressant de voir que, si le concept de laïcité, dont l’essence n’est pas le rejet des croyances ni des pratiques, est invoqué à un rythme sans précédent depuis plusieurs années, il l’est de façon quasi systématique en opposition à l’islam. Par exemple, le 17 juin 2015, une conférence était organisée à Sciences Po sur le thème « Université : la laïcité en péril ? » et le dessin qui illustrait l’événement représentait une femme voilée entachant le mot « laïcité », un stylo bleu-blanc-rouge à la main. En somme, on donne à penser que la laïcité n’est menacée que par un seul culte, celui des musulmans ; du moins lorsqu’ils sont issus des classes populaires françaises, car la pratique rigoriste des dirigeants saoudiens ne semble pas déranger. En effet, l’Arabie Saoudite est le premier partenaire commercial de la France dans le Golfe 3.
Même certaines formations politiques dites de gauche se laissent aller à des prises de position racistes. Ainsi, en septembre 2013, alors ministre de l’Intérieur, Manuel Valls déclare, au sujet des Rroms : « ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation » puis « les Rroms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie. » Si nous comparons ces propos à ceux qu’il a tenus, comme Premier ministre en janvier 2015, au sujet des Juifs cette fois « La France sans les Juifs de France n’est plus la France », nous comprenons que les autorités françaises choisissent, parmi les minorités du pays, celles qu’elles acceptent et celles qu’elles rejettent.
Cent vingt et un ans après la première condamnation du capitaine Dreyfus, la France n’en a toujours pas fini avec le racisme d’État. Qu’il s’agisse des musulmans désignés comme ennemis des Juifs ou l’inverse, des Rroms désignés comme inassimilables ou des Noirs ou Arabes dont la mort, lorsque ceux-ci viennent de quartiers populaires, ne méritent pas une condamnation en justice. Les solutions ne seront pas faciles à trouver, mais aucune ne passera par l’affrontement des minorités entre elles. Le racisme est un et indivisible et, en tant que tel, c’est ensemble que nous le combattrons. »
Alfred Dreyfus (Mulhouse 1859 – Paris 1935) : à cause d’une erreur judiciaire, il est arrêté et condamné au bagne à perpétuité pour espionnage. En 1898 Émile Zola publie dans L’Aurore une lettre adressée au Président Faure: « J’accuse ! ». L’Affaire Dreyfus éclate.
Emmeline Fagot est enseignante en Île-de-France et membre de l’Union juive française pour la paix depuis 2008. Le 11 janvier 2015, encore sous le choc de la tuerie de l’Hypercacher elle écrit un court texte de colère sur le modèle du « J’accuse » d’Émile Zola et renvoie ceux qu’elle juge être des pompiers pyromanes à leurs responsabilités.
Alfred Dreyfus Cinq années de ma vie – Prix: 10 euros
- Dans l’actualité récente, cette impunité s’est à nouveau illustrée par la relaxe des deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger, après la mort de Zyed et Bouna, deux jeunes de Clichy-sous-Bois qui s’étaient réfugiés dans un poste électrique pour échapper à une course-poursuite avec la police en 2005.[↩]
- Émission « Hondelatte Dimanche » du 17 février 2013[↩]
- http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/arabie-saoudite/la-france-et-l-arabie-saoudite/ [↩]