De quoi Gaza est-il le nom ?
Par Frank Eskenazi
Edito
On le sait maintenant. Ils sont entrés dans les maisons, ils ont déféqués dans les frigos et dans chacune des pièces. Ils ont bombé sur les murs des phrases humiliantes contre l’Islam, ils ont écrit que Dieu était de leur côté. On le sait maintenant, ils se sont servis des hommes et des femmes comme boucliers humains, les menant devant eux avant d’ouvrir les portes pour qu’ils prennent, le cas échéant, les premières balles. On le sait maintenant, ils ont emmené dans la nuit des hommes jeunes encore et puis des moins jeunes, et ils ne sont jamais réapparus. On le sait maintenant, ils avaient une machine qui envoyait la nuit des messages incessants par téléphone en arabe, disant que leur maison, leur appartement, allaient être bientôt bombardés. Pour les protéger en quelque sorte. Chacune des maisons était leur maison. Gaza tout entier était leur maison. D’ailleurs, après être entrés, ils ont refermé la porte derrière eux. Pour ne pas être dérangés en quelque sorte.
On le sait maintenant : les tunnels reliant à l’Égypte, et qu’il s’agissait de détruire, sont reconstruits. Ils servaient d’abord, ils servent encore à faire rentrer des vivres. Les tirs de Kassam, qu’il s’agissait de rendre impossibles, reprendront demain. On le sait maintenant, quand ils n’ont pas approuvé, quand ils ne sont pas restés silencieux, certains Israéliens montaient le samedi après-midi sur une petite colline d’où l’on avait un bon point de vue sur Gaza sous les bombes. Ils prenaient des photos comme d’autres parfois d’un feu d’artifice. Ils jetaient les boîtes de Coca vides dans les corbeilles. Ils engueulaient leurs enfants si ceux-ci disaient des gros mots. Les amoureux se tenaient par la main.
De quoi Gaza est-il le nom ? De rien. Donner un nom à Gaza serait accepter de lui conférer un sens. Or Gaza n’existe qu’en creux, en négatif. Gaza est un trou noir. Un renoncement. Lui donner du sens serait reconnaître qu’il s’est agit d’autre chose que d’un infernal acte d’oubli de soi. Les gosses envoyés à Gaza ont fait un long voyage, les voilà près d’Oradour, tout près. Rentrés victorieux, ils s’y seront totalement perdus. Il n’y a pas eu de guerre à Gaza, mais le mime de la fi n des Juifs. Il n’y a pas eu de guerre à Gaza, mais des massacres à la fois technologiques et puissamment archaïques. Les drones et la merde. Ceux qui parlent de la « guerre de Gaza » ont un cadavre dans la bouche.