Cette chronique est probablement inutile aux yeux (et surtout aux oreilles) de nos cher.e.s auditeurs et auditrices, car beaucoup d’entre vous auront pu lire Un cow-boy dans le coton, une aventure de Lucky Luke, personnage repris par Achdé et Jul, soit avant de l’offrir à un neveu, soit parce qu’un de vos enfants l’aura reçu.
Ils ont fait fort. C’est un Lucky Luke plutôt égal à lui-même, un Jolly Jumper toujours ironique, Averel Dalton toujours aussi boulimique, Joe toujours aussi colérique. Ce n’est pas par là que l’on est déstabilisé.
Mais qu’une admiratrice du Sud profond sans descendance fasse de Lucky Luke son légataire d’une grande plantation de coton, et que le convoyage des Dalton soit confié à son ami Bass, le premier marshal adjoint noir nommé à l’ouest du Mississipi en 1875, et on entre dans une grande histoire.
L’épisode est situé après la guerre de Sécession, dans un Sud où certes l’esclavage est officiellement aboli, mais où le Klan règne en maître.
Lucky Luke va accepter l’héritage, mais avec l’objectif de donner ses terres aux Noirs qui les travaillent. Il est surpris que la réaction soit plus que réservée : manque de confiance dans la parole du Blanc, inquiétude sur les réactions de l’entourage de la plantation (peut-on faire une réforme agraire dans une seule plantation?).
Face à lui, la meneuse est Angela, l’institutrice noire qui crée l’école à laquelle maintenant les enfants ont droit, mais qui veut d’abord que les salaires soient payés, et ne croit pas à l’évangile selon Saint Lucky Luke. Elle sait que l’abolition n’a pas supprimé l’exploitation et la discrimination.
La réception donnée par le propriétaire de la plantation voisine, QQ, Quincy Quaterhouse, nous ramène à « Autant en emporte le vent », mais les réflexions racistes des dames et gentilshommes présent.e.s sont sensiblement plus franches. Lucky Luke ne s’y compromettra pas longtemps.
Lucky Luke apparaît dans cet épisode comme très radical : à QQ qui pour se présenter annonce « Nous possédons la plantation voisine de la vôtre depuis deux cents ans, Lucky Luke lui répond « vous faites plus jeune » – ce que l’on peut interpréter comme une remise en cause de l’héritage ! Il réussit même à y être conscient du problème du changement climatique, mais je ne vous dévoilerai pas comment.
Comme dans de nombreux albums, la dernière page est une page documentaire historique. Je vous la recopie :
« Bass REEVES (1838-1910)
« C’était le secret le mieux gardé du Far West, et jusqu’à récemment personne n’y avait vraiment réfléchi : 25 % des cow-boys étaient noirs (et une grande partie de leurs collègues étaient hispaniques) ! Les westerns d’Hollywood ont toujours masqué cette histoire en bâtissant la légende du cow-boy blond aux yeux bleus, alors qu’avec 1$ de salaire par jour en moyenne ce métier difficile recrutait parmi les moins favorisés des Américains…
« Parmi les grandes figures oubliées, Bass Reeves occupe une place unique : premier marshal adjoint noir nommé à l’ouest du Mississipi en 1875, issu d’une famille d’esclaves, il arrêtera tout au long de sa carrière héroïque plus de 3000 hors-la-loi. Tireur hors pair, incorruptible défenseur de la loi, il incarne tout ce que le Far West a produit de plus mythique. »
Bref, quand on fera la liste des ouvrages sortis dans cette année 2020 de lutte « Black lives matter », il ne faudra pas oublier « un cow-boy dans le coton ». Et c’est une bande dessinée qui mérite d’être dans votre bibliothèque à côté du Black Face des tuniques bleues déjà présenté.
Je sais que certains vont y voir de la part des auteurs une forme d’opportunisme. Et bien tant mieux si aujourd’hui pour être dans le vent il faut être radicalement antiraciste.
Au fait, je ne vous ai pas dit comment Lucky Luke et Angela, l’institutrice noire devenue son alliée, se tireront du piège dans lequel le Klan les a fait tomber, comment les Dalton joueront à contre emploi, ni ce que, en définitive, deviendra la plantation.
Eh bien, je ne vous le dirai pas, bien sûr.
André Rosevègue
Un cow-boy dans le coton, dessin de ACHDE, scénario de Jul d’après Morris, Lucky Luke Comics, 2020, 48 p., 10,95 euros.