Le terrorisme juif ne sera en aucune façon vaincu s’il n’est pas mis fin à l’occupation

Pour ce qui est de l’extrême-droite, la violence contre les civils palestiniens n’est pas seulement le résultat du racisme – elle est d’abord et avant tout, une forme de contrôle.

La grande majorité des colons ne sont pas violents, bien que différents niveaux de violence envers la population civile des territoires occupés soient allés de pair avec l’entreprise coloniale depuis son commencement. Ces actes de violence ne sont jamais une aberration, mais davantage la conséquence directe de la situation en Cisjordanie.

Le grand public ferme les yeux à ce fait à chaque fois que ces évènements ont lieu. Les réponses au meurtre du bébé Ali Dawabshe, âgé de 18 mois, indiquent que nous allons continuer à ignorer la situation dans son ensemble.

Des membres de la Police des Frontières Israélienne devant la maison endommagée de la famille Dawabsha, qui a incendiée selon ce que l’on rapporte, par les colons israéliens, en tuant le Palestinien Ali Saad Dawabsha âge de 18 mois, dans le village de Duma en Cisjordanie, le 31 juillet 2015

La caractéristique essentielle de l’occupation est qu’elle englobe deux populations civiles aux côtés l’une de l’autre, qui sont soumises à deux systèmes juridiques différents. Les Palestiniens vivent sous un régime militaire, tandis que tout-e Israélien-ne qui vit dans une colonie ou qui même se rend dans les colonies “apporte” avec elle/lui le droit israélien, comprenant toutes les protections juridiques qui lui sont garanties, à elle ou à lui.

La seconde caractéristique fondamentale de l’occupation est la volonté des Israéliens d’accroître progressivement le territoire et les ressources pour la population juive, tout en diminuant peu à peu le territoire des Palestiniens. Ce mélange – d’un régime militaire et de la colonisation civile – est ce qui fait que l’occupation ressemble beaucoup au colonialisme et à l’apartheid, même s’il n’y a pas une concordance exacte. Ceci est l’essence du régime, indépendamment de la question de savoir si ceci est ou n’est pas le pays de nos ancêtres, ou de savoir qui était là en premier.

Le colonialisme va toujours de pair avec le racisme et le racisme extrême est toujours accompagné de violence. Même si la motivation initiale qui a entraîné une situation coloniale n’est pas raciste, à un certain moment le groupe prédominant doit en quelque sorte justifier ses propres privilèges, ce qui mène inévitablement à une vision du monde raciste. Par exemple que la population sous occupation n’est pas “prête” à disposer de tous ses droits, ou qu’elle est de façon inhérente faible et violente, qu’elle n’apprécie pas la vie comme nous le faisons, qu’elle préfère vivre dans des quartiers denses et sales, etc. Le combat contre le racisme en Israël – au degré où il existe – échouera aussi longtemps que l’occupation existera, puisque nous avons toujours besoin du racisme pour justifier l’occupation.

Mais le racisme ne peut pas expliquer complètement la violence envers les civils palestiniens. Certaines des plus infâmes tentatives de nuire aux Palestiniens – le Mouvement clandestin juif, qui a effectué une attaque meurtrière contre un séminaire à Hébron et qui a cherché à faire sauter cinq bus palestiniens, a été la plus connue de celles-ci – n’étaient pas exceptionnellement racistes. Les buts du Mouvement clandestin juif étaient d’abord et avant tout politiques : empêcher l’éventuelle évacuation des colonies tout en renforçant la domination juive sur la population locale , par la peur, l’intimidation et la “punition” des personnalités dirigeantes, comme cela a été le cas lors de leurs attaques contre les maires palestiniens. L’excuse est toujours la “faiblesse” du pouvoir central – qui est perçue comme une hésitation à mettre en oeuvre la souveraineté israélienne sur la population palestinienne. La violence est et demeure une forme de contrôle.

Benzi Gopstein, un colon militant bien connu et dirigeant de l’association d’extrême-droite Levaha, interrompt la récolte des olives à Hébron

L’histoire du colonialisme est pleine de tels exemples. Un des plus célèbres de ceux-ci a été l’Organisation de l’Armée Secrète, un groupe para-militaire d’extrême-droite qui a utilisé le terrorisme pour essayer d’empêcher l’indépendance de l’Algérie par rapport au pouvoir colonial français. A un moment donné le groupe a commencé à viser les citoyens français, tels que Sartre – partisans de la fin de la domination française – et même le Président De Gaulle lui-même.

Une évolution analogue a pris corps ici. L’idée centrale qui sous-tend les soi-disantes attaques du “prix à payer” est politique –visant à renforcer le contrôle sur les Palestiniens par le “châtiment” (d’innocents), soit en tant que réponse aux attaques contre les Juifs, soit à ce qui est considéré comme un affaiblissement de l’emprise juive sur la Cisjordanie, habituellement après la démolition de constructions dans les avant-postes ou les colonies. Le moindre harcèlement contre les Palestiniens s’accompagne habituellement de propos sur “le besoin de leur donner une leçon”, “de leur apprendre le respect”, et ainsi de suite.

Pendant mon service militaire dans les territoires occupés, j’ai souvent rencontré ce type de discours, particulièrement à Hébron, où les tensions entre Juifs et Palestiniens étaient et demeurent les plus intenses. Cela aboutissait souvent à casser les vitres d’une voiture ou les réservoirs d’eau chauffée par le soleil au-dessus des maisons palestiniennes. Dans d’autres cas c’était une gifle au visage d’un passant ou un crachat dirigé vers lui. A Gaza et dans la région de Naplouse les incidents avaient habituellement lieu près des postes de contrôle. Je me souviens de quelques exemples dans lesquels les colons armés sortaient de leur voiture (particulièrement quand il y avait une longue file, ou lorsque le carrefour était bloqué pour une certaine raison), vilipendaient et menaçaient les Palestiniens avec toujours le même ton hautain. Il est difficile d’envisager le même citoyen israélien, quittant sa voiture dans un embouteillage à Haïfa, agitant son arme vers les autres conducteurs et hurlant à la police de faire son travail, sans que cela ne se termine au moins par son arrestation. Pourquoi la même personne agit-elle différemment de l’autre côté de la Ligne verte ? La différence tient à l’occupation et toute personne concernée le sait.

Des colons israéliens tiennent leur défilé annuel de Purim dans la Rue Shuhada d’Hébron. La rue est fermée depuis plusieurs années aux passage des Palestiniens, 24 février 2014

Bien sûr des Palestiniens essayent aussi de nuire aux Juifs dans les territoires occupés – mais la différence est qu’il y a tout un système qui fonctionne pour s’occuper de la violence palestinienne. Il le fait avec vigueur et en utilisant des moyens qui sont inacceptables dans le système juridique israélien : arrestations collectives sans jugement, perquisitions sans mandat (même dans les maisons de personnes non suspectes), tortures, punitions collectives (en annulant les permis d’entrer à des Palestiniens dont un membre de la famille a été impliqué dans des actes de terrorisme), assassinats ciblés, etc.

Après le meurtre abominable de la famille Fogel en 2011, l’armée a placé le village palestinien d’Hawara sous couvre-feu, est entrée par effraction dans les maisons et a pris de force des échantillons d’ADN de tous les hommes du village.

Tout Palestinien qui a écrit un manifeste meurtrier analogue à celui publié (en hébreu) par Moshe Auerbach – qui a expliqué comment chercher des maisons palestiniennes pour y mettre le feu tout en bloquant l’entrée de la maison de façon à ce que les victimes ne puissent s’échapper- serait enfermé pendant plusieurs années, ou au moins placé en détention administrative. Mais Auerbach lui-même a été relâché, en raison d’une erreur de procédure commise par l’accusation.

Des soldats des FDI empêchent des Palestiniens de labourer leur terres

Quand j’ai fiat mon service militaire, les FDI (Forces de Défense Israéliennes) avaient encore pour but d’assurer la sécurité de tous les habitants des territoires occupés. Aujourd’hui, toutefois, il est dit clairement dans les consignes que le but premier est de protéger les Juifs et l’idée, que tous les Palestiniens – même les “non-combattants”– sont des ennemis, fait des progrès.

C’est une situation inimaginable. Nous poursuivons notre vie avec l’impression que la loi nous protège. La plupart du temps ce système fonctionne et quand ce n’est pas le cas nous nous mettons en colère et à juste titre. Mais la population palestinienne est exposée à l’arbitraire, au harcèlement, soit des soldats, soit des colons.

Alors que l’Autorité Palestinienne consacre 25% de son budget à la sécurité, son principal rôle est d’assurer la sécurité des Israéliens et non des Palestiniens (ce seul fait devrait avoir mis fin à la sempiternelle question de savoir si oui ou non Israël contrôle encore les Palestiniens). Un policier palestinien ne peut pas arrêter une colon, même si une agression devait avoir lieu sous ses propres yeux. Les Palestiniens par conséquent dépendent du bon vouloir de l’armée, de la police ou du Shin Bet, et ces entités n’accordent pas une grande importance à la protection de la vie des Palestiniens, à part pour quelques cas exceptionnels.

Ajoutez à ceci le fait la majorité des civils palestiniens tués en Cisjordanie sont tués par l’armée elle-même. En comparaison des FDI, la violence de l’extrême-droite est encore marginale. Et la violence des FDI est traitée de façon de loin plus indulgente que les attaques des tagueurs du “prix à payer”. Même dans les cas les plus extrêmes, où il y a une suspicion évidente de meurtre par des soldats israéliens, la réaction du système est de le dissimuler. Quand une enquête est menée, elle est faite longtemps après que l’incident ait eu lieu et avec des moyens limités (+972 a publié une série d’informations précises sur des soldats qui avaient tué des Palestiniens et qui s’en sont tirés sans conséquences). La sanction est presque inexistante, hormis quelques cas particuliers (qui sont entièrement symboliques).

En fait, la principale raison des enquêtes de l’armée sur ces cas est le besoin de renforcer la discipline sur ses troupes, en même temps que la volonté de protéger le commandement militaire de la Cour Pénale Internationale (un mécanisme fonctionnel interne pour enquêter sur de tels crimes est une des protections juridiques contre ce genre de procès criminels internationaux).

Le problème commence aux plus hauts rangs : l’Officier Général Commandant le Commandement Central des FDI lui-même, qui est responsable du maintien de la sécurité des Palestiniens, a été impliqué dans l’assassinat d’un Palestinien désarmé (en hébreu). Le commandant de la Brigade Régionale Binyamin a abattu un Palestinien qui jetait des pierres, alors que celui-ci s’ éloignait en courant ; une video qui a été divulguée après l’incident, a révélé que la version des FDI des évènements était pour le moins erronée. Ces évènements qui se produisent régulièrement illustrent l’absurdité dissimulée derrière l’idée que l’armée protègera les civils palestiniens.

Cependant, je ne soutiens pas les récents appels à utiliser tous les moyens disponibles des FDI et du Shin Bet – qui sont chaque jour utilisés à l’encontre des Palestiniens – contre les extrémistes juifs de droite. Cette approche ne fera qu’augmenter le nombre des violations des droits de l’homme par l’occupant. Personne ne projette, et à juste raison, de mettre une colonie sous couvre-feu ou d’en emmener tous les hommes pour des tests d’ADN. Comme je l’ai écrit précédemment, la violence est inséparable de la réalité coloniale dans les territoires occupés – sans mettre un terme à cette réalité, il n’y aucune possibilité de faire face véritablement au problème de la violence. Même si les choses se calment temporairement, la situation à long terme ne fera qu’empirer. La seule solution est l’évacuation des colonies ou des droits égaux pour tous.

Il y a eu des gens de gauche qui ont déclaré ces derniers jours que le Premier Ministre Netanyahu et le Ministre de l’Education Naftali Benett sont responsables du meurtre d’Ali Dawabshe. Mais à mes yeux, leur responsabilité n’est pas plus grande que celle des centristes qui croient que l’occupation est tolérable, ou qu’il n’y a “aucun partenaire” et “aucune alternative” et que donc le statu quo dans les territoires occupés doit rester pour l’instant en application.L’occupation et les colonies créent la violence. Il est vrai que la guerre contre le terrorisme juif ne doit pas attendre la fin du gouvernement militaire – mais sans combattre l’occupation, il n’y a aucune possibilité de gagner la bataille contre le terrorisme juif.

Noam Sheizaf, 972 Mag, jeudi 6 août 2015

Cet article a d’abord été publié en Hébreu sur Appel Local. Lisez-le ici.

(traduit de l’anglais par Y. Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers)


Note de la rédaction : article en anglais sur le site 972 mag