C’est à un étrange procès auquel j’ai assisté cet après-midi du 9 avril 2014 à Bordeaux pendant 4 heures 30.
Je vous livre mes impressions sans pouvoir les confronter aux comptes rendus de presse qui ne manqueront bien évidemment pas d’être plus précis et moins subjectifs, et m’excuse par avance si mes oreilles m’ont trahi (comme parfois celles du Procureur pendant l’audience) et que je n’ai pas tout compris.
Cinq militants ou sympathisants du DAL étaient poursuivis pour avoir au moins du 6 mars au 12 juillet 2013, pénétré par effraction au domicile d’une octogénaire malencontreusement en convalescence près de son fils dans la Manche. Et d’y avoir installé des Arméniens, puis des Bulgares à moins que ce ne soit des Géorgiens, qui réguliers, qui irréguliers.
C’est le 2 ou le 3 juillet que des voisins choqués prévenaient la pauvre dame de cette intrusion, qui alerte alors ses enfants demeurés girondins. Mais c’est le 15 juillet que les policiers procèdent aux expulsions, et le 18 juillet qu’une opération de police à grand spectacle – perquisitions des logements et du local (local commun à plusieurs organisations dont les syndicats Sud Solidaires qui ne pourront pas assister à la dite perquisition!), gardes à vue, saisie du matériel informatique et objets divers – sera menée.
Et il y aura en septembre rebelote de gardes à vue, après que les services auront fait parler les portables, déchiffré les SMS, obtenu la géolocalisation des appels, etc., bref, un déploiement de moyens digne de la prise d’un réseau international de prostitution ou de la recherche du voleur du scooter d’un fils de Président de la République.
Pendant plus de trois heures, la Présidente, le Procureur, la partie civile (le conseil de la dame présentée comme la propriétaire lésée) vont soumettre à la question les cinq militants, tantôt paternalistes, tantôt vindicatifs. « Nous ne faisons pas ici le procès du DAL, dont les buts sont louables » (la formule dix fois répétée parfois sous la forme « les buts peuvent apparaître louables »), mais…
Mais reconnaissez que vous vous êtes plantés, que c’est un ratage, que vous n’auriez jamais dû installer qui que ce soit dans cette maison particulière qui n’était pas abandonnée et qui n’appartenait pas à un gros capitaliste comme ceux que vous prétendez viser pour vos « réquisitions ».
Et puis d’abord, qui c’est le chef chez vous, qui c’est qui décide, qui c’est qui écrit, qui c’est qui… C’est trop facile de dire collégialité. Vous fuyez vos responsabilités. Ah ça ce n’est pas courageux. Personne n’a rien fait, c’est l’autre dont on ne donne pas le nom, mais vous ne vous en tirerez pas comme ça : des témoins vous ont vu, il y avait chez A un traité de crochetage de serrure de 40 pages, madame Michu a reconnu B dans la rue, C a été vue sur place, D avait chez lui le cahier avec les noms, E a envoyé un SMS pour dire qu’elle avait les clés, et, dans un casier à clapets de votre local, on a trouvé, écoutez bien, une serrure et une poignée de porte. Plus extraordinaire encore, les fils de la dame ont retrouvé plus tard une enveloppe timbrée adressée au DAL le 6 mars à l’adresse incriminée, qui justifie de dater l’implication du DAL à partir de cette date, sans que l’on puisse de quelque façon que ce soit comprendre à quel dessein le DAL aurait pu souhaiter se faire adresser du courrier à cette adresse. Ce n’est pas la pièce secrète du procès Dreyfus, mais ça fait flotter un climat franchement bizarre.
Partie civile : je demande 10 000 euros.
Ministère public : ils ne peuvent pas payer sauf un peut-être, ils vivent déjà de la générosité publique par allocation ou RSA (notez l’élégance du procédé), alors, puisque vierges de casier, je demande de la prison avec sursis, 2 à 6 mois suivant les cas.
Les prévenus n’avaient pas flanché. Ils ont même réussi malgré l’agressivité de leurs interlocuteurs et l’interdiction de « faire de la politique » (!) à glisser quelques remarques de bon sens : il y a le droit au logement dans la loi (il y a même le droit au logement opposable), mais il y a des SDF, de sans-abri, des très mal-logés,et ça nous pèse, ça nous insupporte, ça nous scandalise. Et aujourd’hui, ce qui nous donne envie de hurler, c’est de voir que ce qui mobilise police et justice, ce n’est pas d’aider à trouver des solutions pour loger ceux qui ne le sont pas, c’est de s’acharner sur une poignée de militants qui s’y consacrent. Alors désolé pour la dame, mais essayons d’avoir le sens des priorités.
Ce qu’ils ont réussi à faire entendre par bribes, et qui sera repris (je dois dire de façon magistrale) par les avocats des prévenus dans la quatrième heure, c’est que tout l’échafaudage de l’instruction est bâti sur du vent.
D’abord, le dossier de la dame est tout sauf limpide. Le journal Sud-Ouest et l’adjoint de Juppé ont voulu faire pleurer dans les chaumières sur son sort, provoquant même sur « les réseaux sociaux » (qui peuvent être très anti-sociaux) des appels explicites à la violence contre les occupants du logement et ceux qui les soutiennent. Mais peut-on parler du domicile de quelqu’un quand la personne qui est l’usufruitière de son défunt mari habite dans la Manche un logement qu’elle loue, et a résilié pour son domicile bordelais les abonnements au téléphone, à l’eau et à l’électricité, où il n’y a plus un seul effet personnel ni une seule photo ?
La maison est-elle même assurée, et si oui comment expliquer que ce n’est pas l’assurance qui présente la note des travaux à effectuer ?
Et quand dans un premier temps le fils de la dite usufruitière le 3 juillet reconnait qu’il est difficile d’expulser les habitants et leur accorde un délai de plusieurs semaines, comment justice et police peuvent-elles parler d’intervention en flagrance le 15 juillet, pour justifier une procédure totalement cavalière ? Bon, j’espère que je suis clair, et que je ne vous ennuie pas trop.
Le plus énorme n’est pas là. Ce que la défense a bien montré, c’est que la justice a péniblement réuni quelques faisceaux de présomption que le DAL Gironde s’était intéressé à cette affaire, qu’il était arrivé à certains de ses membres d’être présents, qu’ils avaient préparé un communiqué et une vidéo montrant qu’ils assumaient la défense de ces personnes habitant la maison,…
Mais si, comme cela a été répété à l’envi, ce n’est pas le procès du DAL qui est instruit, c’est la culpabilité individuelle des prévenus en rapport avec l’acte d’accusation qui doit être démontrée. Et là on ne trouve rien. Ni fait matériel, ni témoignage précis, ni aveu circonstancié : aucun des cinq n’a été convaincu d’avoir pénétré par effraction, ni même d’avoir introduit personnellement qui que ce soit dans les lieux.
Alors que peut-on en conclure ?
Commençons par positiver, que diable. La France n’est pas aujourd’hui un État fasciste. Le dossier monté en neige contre les militants du DAL n’a pas pour conclusion la dissolution du DAL par le Ministère de l’Intérieur ou le gouvernement.
Les 150 ou 200 militantes et militants venus très pacifiquement apporter leur soutien sur le parvis des droits de l’homme au pied du Tribunal de Grande Instance n’ont même pas été dispersés à coups de crosse ou de flash ball par les forces du désordre établi.
Mais nous devons être vigilants. Police et Ministère Public ont poursuivi un objectif finalement très limpide : à défaut de pouvoir obliger le DAL à mettre la clé sous la porte (si j’ose dire), intimider les militants, si possible faire peser au dessus de leur tête la menace d’une résiliation d’un sursis pour les convaincre de réduire leur activité, décourager ceux qui en approuvent les objectifs de les rejoindre dans l’action. Et c’est pour cela qu’il faudra être attentif au jugement qui devrait être rendu le 14 mai. Toute condamnation même légère entrerait dans la catégorie criminalisation de la résistance sociale.
Puisque je ne suis plus dans l’enceinte du tribunal, je me hasarde à un commentaire politique. Il y a déjà des millions de gens qui perçoivent le pouvoir actuel comme illégitime, qui protège le fort et écrase le faible, qui laisse « le renard libre dans le poulailler libre ». C’est un sentiment fort qui ne peut être que conforté par des procès tels que celui d’aujourd’hui à Bordeaux. Malheureusement, cela ne débouche pas automatiquement sur une mobilisation citoyenne démocratique et sociale. Nous n’avons pas d’autre choix que d’essayer.
André Rosevègue