Le mythe des « balles en caoutchouc » israéliennes

La police israélienne tire en fait sur les manifestants palestiniens des balles d’acier, recouvertes d’une pellicule de caoutchouc et capables d’infliger de graves blessures.

Le mythe des « balles en caoutchouc » israéliennes. Echantillon de « balles en caoutchouc » israéliennes, avec en bas à droite le projectile d’acier dénudé (Walled Off Museum, Bethléem, photo Jean-Pierre Filiu)
Echantillon de « balles en caoutchouc » israéliennes, avec en bas à droite le projectile d’acier dénudé (Walled Off Museum, Bethléem, photo Jean-Pierre Filiu)

Durant le récent cycle de violences à Jérusalem-Est, la presse internationale a régulièrement évoqué le tir par la police israélienne de « balles en caoutchouc » à l’encontre des manifestants palestiniens. Le correspondant du « Monde » sur place est l’un des rares journalistes à rappeler qu’il s’agit en fait de « balles de métal cerné de caoutchouc ». Cette pellicule de caoutchouc, dont la finesse peut être observée sur la photo ci-dessus, amortit à l’évidence l’impact du projectile. Mais, en cas de tir en pleine tête, les blessures peuvent être irréversibles, voire mortelles. C’est pourquoi il est important de démonter le mythe des « balles en caoutchouc » qu’utilisent les forces de sécurité israéliennes à Jérusalem-Est, alors que les balles réelles sont plutôt employées dans le reste des territoires palestiniens occupés.

UN MYTHE DANS LE MYTHE 

Le mythe des « balles en caoutchouc » et de la retenue qui est censée les accompagner est inséparable du mythe d’une Jérusalem-Est qui serait pleinement partie d’Israël. La Ville sainte était divisée par une « ligne verte » de cessez-le-feu, de 1948 à 1967, entre une partie occidentale intégrée à Israël et une partie orientale, avec la vieille ville et ses lieux saints des trois monothéismes, annexée par la Jordanie. Dès juin 1967, Israël a procédé à l’annexion de fait de Jérusalem-Est, au nom de « l’unification administrative » d’une municipalité désormais compétente pour l’ensemble de la ville. Cette annexion a été officialisée, en juillet 1980, par une « loi fondamentale », à valeur constitutionnelle, votée par 69 des 120 députés de la Knesset. Le Conseil de sécurité de l’ONU a alors qualifié cette loi de « nulle et non avenue », déniant à Israël le droit de modifier unilatéralement le statut de ce territoire arabe occupé.

Les Etats-Unis se sont tenus à ce consensus international, jusqu’à la décision de Donald Trump, en décembre 2017, de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et, en mai 2018, d’y déplacer l’ambassade des Etats-Unis. Seuls le Guatemala et le Kossovo ont à ce jour installé leur ambassade à Jérusalem, tous les autres Etats ayant conservé leur ambassade à Tel-Aviv. Le mythe de la Jérusalem « réunifiée » vole en outre en éclats à chaque crise israélo-palestinienne, qui voit la « ligne verte » réapparaître entre, d’une part, Jérusalem-Ouest et ses 365.000 Israéliens et, d’autre part, Jérusalem-Est où 220.000 Israéliens font face à 350.000 Palestiniens. Du point de vue du droit international, ces résidents israéliens de Jérusalem-Est sont des colons au même titre que les 440.000 colons de Cisjordanie, ces deux territoires palestiniens étant occupés depuis 1967. Les Palestiniens de Jérusalem-Est n’ont d’ailleurs pas la nationalité israélienne et ne peuvent participer qu’aux élections municipales, qu’ils boycottent largement pour ne pas légitimer le fait accompli de l’occupation.

DES TIRS PARFOIS MORTELS

Le mythe des « balles en caoutchouc » est intimement lié au mythe de la Jérusalem « réunifiée », puisque la police israélienne y contrôlerait les manifestations avec des munitions non létales, à la différence de l’armée qui quadrille la Cisjordanie. Mais ce mythe-ci ne tient pas plus que celui-là face à la réalité de l’occupation, telle que la vivent au quotidien les Palestiniens de Jérusalem-Est. Alors que les règles d’engagement supposent de ne tirer ces « balles en caoutchouc » qu’en dessous de la ceinture, pour neutraliser un manifestant menaçant, elles sont de manière routinière tirées en pleine tête, sans épargner des victimes collatérales. C’est ainsi qu’en février 2020, un enfant de neuf ans, frappé à la tête par une balle en caoutchouc alors qu’il rentrait de l’école, a perdu son oeil gauche. L’enquête interne à la police israélienne a rejeté toute responsabilité dans ce drame, insinuant même que l’enfant aurait été éborgné « par une pierre, et non une balle en caoutchouc ».

Les forces de sécurité israéliennes mettent régulièrement en cause des lanceurs de pierres palestiniens afin de se disculper. Il faut remonter à 2010 pour que la justice israélienne reconnaisse que c’est  bien une « balle en caoutchouc », et non une pierre, qui a causé, trois ans plus tôt, la mort d’une fillette de 10 ans dans une village de Cisjordanie. A Jérusalem-Est, l’impunité est pratiquement garantie pour les tireurs de ces projectiles d’acier. Parmi les plus de 700 blessés palestiniens de ces derniers jours,  les plus gravement touchés l’ont été au visage et aux yeux par des « balles en caoutchouc », y compris sur l’Esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’Islam. Comme les forces d’occupation interdisent souvent l’évacuation normale des blessés, les Palestiniens ont développé des techniques rudimentaires de premiers soins, allant jusqu’à recoudre les plaies trop ouvertes à la lumière de leurs portables. L’hôpital Maqassed, sur le mont des Oliviers, a ainsi acquis une incontestable expertise dans ce domaine qui relève de la chirurgie de guerre.

Les « balles en caoutchouc » peuvent tuer et, plus fréquemment, infliger des blessures sérieuses et durables. Le mythe de leur innocuité renvoie au mythe de la non-occupation de Jérusalem-Est. Il suffit, dans un cas comme dans l’autre, de gratter la surface pour que la cruelle réalité apparaisse.