Par Les Invités De Mediapart. Blog : Le blog de Les invités de Mediapart. Publié le 30 octobre 2019.
« Jean-Michel Blanquer ne parle pas en notre nom ». Au lendemain du débat au Sénat sur le port du voile pour les mères accompagnatrices de sorties scolaires, un large collectif d’enseignants déplore un « climat de suspicion et de délation ». Ils appellent leurs collègues et l’ensemble de la société à « entrer en résistance » en manifestant « leur refus du racisme, de l’islamophobie et de toute forme de discrimination ».
Ces dernières semaines, une ligne rouge a été franchie. En tant que femmes et hommes, citoyennes et citoyens, et en tant qu’enseignantes, enseignants, et personnels de l’Éducation Nationale, nous pensons qu’il est de notre devoir de prendre position. L’appel à une « société de vigilance » par le président Macron le 8 octobre, suivi par le Ministre de l’Intérieur faisant la liste des « signes qui doivent être relevés » pour repérer une « radicalisation », font entrer la société française dans un climat de suspicion et de délation qui met en danger les musulmanes et les musulmans de notre pays. Déjà, les effets de ces déclarations, qui libèrent des discours et des actes inacceptables, se manifestent :
Le 14 octobre, l’Université de Cergy-Pontoise envoie à ses enseignant·e·s une liste de « signaux faibles de radicalisation » pour qu’ils puissent surveiller leurs étudiant·e·s et leurs collègues. Devant le tollé provoqué par cette fiche qui rappelle les pires heures de notre histoire, cette dernière est retirée, l’Université présente ses excuses.
Le 11 octobre, lors d’une séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un élu du Rassemblement National malmène une mère d’élève qui accompagne son fils en sortie scolaire et qui porte un voile, comme la loi le permet. L’enfant éclate en sanglots, se réfugie dans les bras de sa mère, celle-ci quitte l’assemblée.
Réagissant aux événements du 11 octobre, le Ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, plutôt que de jouer le rôle qui devrait être le sien et de condamner clairement ces propos qui vont à l’encontre de la loi, décide de relancer un débat sur le voile : « Vous avez d’une part ce que dit la loi – elle n’interdit pas aux femmes voilées d’accompagner les enfants – mais c’est certain nous n’avons pas envie d’encourager ce phénomène. » (BFMTV, 13 octobre). Le positionnement de Jean-Michel Blanquer et sa manière d’instrumentaliser le sujet ne sont pas nouveaux :
En février 2019, lors des débats parlementaires sur le projet de loi « pour une école de la confiance », il soutient l’amendement porté par Eric Ciotti visant à interdire « le port de signes ou tenues par lesquels les parents d’élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » lors de sorties scolaires, avant d’être désavoué par son propre camp.
Le 31 août, il déclare : « Aujourd’hui, il y a plus de petites filles que de petits garçons qui ne vont pas à l’école maternelle pour des raisons sociétales. Et puis appelons un chat un chat, le fondamentalisme islamiste dans certains territoires a fait que certaines petites filles vont à l’école le plus tard possible […]. », au mépris de la réalité même des faits établis par les statistiques ministérielles.
Le 24 septembre, il accuse la FCPE de « flatter le communautarisme » pour avoir proposé une affiche parmi d’autres représentant une mère d’élève portant un voile et accompagnant son enfant à une sortie scolaire. En outre, il ne condamne pas le tweet de Laurent Bouvet, membre du Conseil des sages de la laïcité, qui, sous prétexte d’un détournement satirique de cette affiche, remplace la mère voilée par deux djihadistes armés.
Le 13 octobre, Jean-Michel Blanquer donne son interprétation de la « société de vigilance » en appelant les enseignant·e·s à surveiller de près un petit garçon qui refuserait de tenir la main d’une petite fille.
Nous dénonçons fermement tous les racismes et tous les fanatismes.
Cependant, il est bien évident que la question n’est plus ici celle du fanatisme religieux, mais celle de l’instrumentalisation médiatique et politique de ce phénomène. En tant qu’enseignant·e·s et personnels de l’éducation, nous nous inquiétons tout particulièrement de cette instrumentalisation et de ses conséquences sur l’école :
Tout d’abord, nous nous opposons à la manière dont la laïcité est systématiquement détournée pour stigmatiser l’islam. Nous rappelons à notre Ministre que la laïcité garantit pour chacun·e la liberté de croire ou de ne pas croire. Elle impose à l’État la neutralité, c’est-à-dire l’absence d’intervention dans ce domaine, devoir de neutralité que Jean-Michel Blanquer transgresse. L’utilisation discriminante de la laïcité ne peut que produire, dans la société et donc dans l’école, une défiance à l’égard de ce principe fondamental.
Nous pensons que le discours de suspicion généralisée est destructeur de la relation pédagogique que nous cherchons à construire avec nos élèves et qui ne peut se fonder que sur la confiance. Pour nous occuper de nos élèves, discuter avec eux, les aider et les accompagner dans leur formation, ce n’est pas d’une liste de « signes de radicalisation » que nous avons besoin : c’est de temps, de moyens, de conditions sereines d’enseignement.
Nous craignons que les discours de nos gouvernant·e·s n’amènent une partie de nos élèves et de leurs parents à se sentir rejeté·e·s par le service public d’éducation. Or, cela risque de détruire tout ce que nous cherchons à construire dans notre travail avec nos élèves.
Enfin, nous nous inquiétons de la violence factuelle et symbolique produite par ces discours, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un mépris plus large et toujours plus assumé de nos gouvernant·e·s à l’égard des plus vulnérables. Cette violence sociale a des conséquences graves auxquelles nous sommes confronté·e·s quotidiennement et devant lesquelles nous sommes de plus en plus démuni·e·s.
Nous ne sommes pas dupes : comme toujours, en temps de crise économique et sociale, les pratiques religieuses d’une partie de la société sont utilisées à des fins politiciennes pour faire diversion. Au moment même où l’action du Ministre Blanquer est fortement remise en question et où le gouvernement prépare une réforme des retraites très contestée, l’obsession islamophobe est de retour.
Nous affirmons donc que Jean-Michel Blanquer ne parle pas en notre nom. Non, nous ne pouvons pas en même temps respecter, défendre, protéger nos élèves et nous associer aux déclarations de ce gouvernement. Nous ne voulons pas arriver au point de non-retour où des blessures irréparables menaceront définitivement la capacité de la société française à vivre ensemble. Nous disons aux parents de nos élèves qu’ils sont les bienvenu.e.s dans la vie de l’école, quelles que soient ou ne soient pas leurs croyances. Nous remercions tous les parents qui nous accompagnent dans nos actions culturelles et nos sorties, et en particulier toutes les mères d’élèves, qu’elles portent un voile ou non.
La violence qui est faite à nos élèves et à leurs familles est faite à chacun·e d’entre nous. Nous exigeons de nos gouvernant·e·s respect pour les principes républicains et responsabilité. Nous appelons nos collègues et l’ensemble de la société à entrer en résistance et à manifester leur refus du racisme, de l’islamophobie et de toute forme de discrimination.
Premiers signataires :
Les 135 premier·e·s signataires de ce texte enseignent et travaillent en école, collège, lycée ou à l’université dans différentes académies.
Thibaut Ackermann, professeur de physique-chimie, 92 ;
Sylvie Amouroux-Ormières Cluzel ;
Céline Agoros-Huet, enseignante du second degré, lycée Joliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Mehtap Ayik ;
Alexandre Bacqueville, 91 ;
Etienne Balibar, philosophe, enseignant du supérieur, Université de Paris-10, Nanterre, 92 ;
Ludivine Bantigny, enseignante du supérieur (histoire), Université de Rouen, 76 ;
Michael Barbut, professeur de SES, lycée Jean Zay, Aulnay-sous-Bois, 93 ;
Henri Baron ;
Anne Bastin, professeure de lettres, lycée Jacques Brel, La Courneuve, 93 ;
Fabrice Bayle, enseignant du second degré, Pantin, 93 ;
Fanny Becvort, enseignante du second degré, 94 ;
Jean-Marc Bedecarrax, professeur de philosophie, Paris ;
Sarah Bedziri, professeure de lettres modernes, Paris ;
Awatef Benarras ;
Manel Ben Boubaker, enseignant du second degré, Lycée Jean Zay, Aulnay-sous-Bois, 93 ;
Khadija Berghoute, professeure d’anglais, 77 ;
Claire Besné, professeure d’histoire-géographie ;
Florian Bodart, professeur de lettres modernes, Tourcoing, 59 ;
Jasmine Bonnand ;
Véronique Bontemps, chercheuse, CNRS/EHESS, Paris ;
Cécile Bosc, professeure de lettres modernes, lycée Algoud-Laffemas, Valence, 26 ;
Yannick Bosc, enseignant du supérieur (histoire), Université de Rouen, 76 ;
Céline Boudie, professeure d’histoire-géographie ;
Mohamed Boujemaoui, professeur de mathématiques, 93 ;
Pierre-Laurent Boulanger, professeur de philosophie, lycée Jean Renoir, Bondy, 93 ;
Romain Breton, professeur de philosophie, lycée Jean Renoir, Bondy, 93 ;
Elvis Bruneaux, professeur des écoles, Nanterre, 92 ;
Robert Bussière, professeur de physique-chimie, lycée de Villaroy, 78 ;
Emmanuelle Cambon, professeure des écoles, Paris, 75 ;
Sébastien Canet, professeur de technologie, lycée Livet, Nantes, 44 ;
Camille Chamois, professeure de philosophie, lycée Galilée, Cergy, 95 ;
Marie Chapuis, professeure d’histoire-géographie, lycée Jean Rostand, Villepinte, 93 ;
Kamelia Charaa, professeure de philosophie, 91 ;
Renaud Charasse, professeur de SES, lycée Balzac, Mitry-Mory, 77 ;
Maitane Cocagne, professeure du second degré, La Courneuve, 93 ;
Camille Combes-Lafitte, professeure de philosophie, lycée Balzac, Mitry-Mory, 77 ;
Mathieu Corp, professeur d’espagnol, collège Étienne-Jean Lapassat, Romans-sur-Isère, 26 ;
Graziella Crocetti, professeure de SES ;
Roxane Darlot-Harel, professeure de lettres modernes, lycée Joliot-Curie ;
Véronique Decker, Bobigny, 93 ;
Laurence De Cock, historienne, enseignante du second degré, Paris ;
Nicolas Delyon, professeur de mathématiques, lycée Joliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Guy Deniau, professeur de philosophie, lycée polyvalent Nelson Mandela, Nantes, 44 ;
Anne Detraz, professeure de lettres modernes, lycée Balzac ;
Charlotte Di Maggio, professeure d’espagnol, lycée Joliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Laura Dinopoulos, enseignante du second degré, lycée Joliot-Curie, Nanterre ;
Fredda Dubuis, professeure d’anglais, collège Victor Hugo, Gisors, 27 ;
Bruno Dufour, Choisy le Roi, 94 ;
Aurore Duhamel, enseignante du second degré, lycée Colbert, Tourcoing, 59 ;
Mathilde Eisenberg, professeure des écoles, Nanterre, 92 ;
Laïla El Bahia, professeure d’anglais, Mitry-Mory, 77 ;
Zakia El Gaddari, enseignante du second degré, lycée Jean Zay, Aulnay-sous-Bois, 93 ;
Yassine El Jaouhari ;
Hamid El Mestari, enseignant du second degré, lycée Jacques Brel, Aulnay-sous-Bois, 93;
Julien Favier, enseignant du premier degré, école Poissonniers, Paris ;
Marianne Fischman, professeure de SES, lycée Victor Duruy, Paris ;
Mathieu Forgues ;
Laura Fratoni, professeure de SVT, Asnières-sur-Seine, 92 ;
Thibault Franzinetti, enseignant du second degré, Cachan, 94 ;
Adèle Gaillot, professeure d’histoire-géographie, lycée Angela Davis, Saint-Denis, 93 ;
Julien Garcia, enseignant du second degré, Lycée J.-B. Corot, Savigy-sur-Orge, 91 ;
Lorraine Garnier, professeure d’histoire-géographie, 92 ;
Florence Gauthier, enseignante du second degré, Paris ;
Aurélien Gavois, professeur de lettres classiques, collège Lavoisier, Pantin, 93 ;
Clément Giffard ;
Stéphane Girier, professeur de mathématiques, lycée Lakanal, Sceaux, 92 ;
Enora Gourlaouen, enseignante du second degré, lycée Jolliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Aude Grémy-Domingo, professeure de lettres classiques, Noisy-le-Sec, 93 ;
Philippe Grenier ;
Gabrielle Hardy, professeure d’histoire-géographie, Tourcoing, 59 ;
Amélie Hart-Hutasse, professeure d’histoire-géographie, 21 ;
Liane Henneron, enseignante du second degré, 38 ;
Laure Hermand-Schebat, enseignante du supérieur (latin), Université Jean Moulin Lyon 3, 69 ;
Lucile Hermay, professeure d’histoire-géographie, lycée Joliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Magali Jacquemin, professeure des écoles, Paris ;
Ines Jebli, enseignante du second degré ;
Célestine Jonquet, professeure des écoles, Orly, 94 ;
Pénélope Khiat ;
Gladys Kostyrka, professeure de philosophie, Tourcoing, 59 ;
Thibaud L’huillier, professeur d’histoire-géographie, lycée Jacques Brel, La Courneuve, 93 ;
Leila Laabad, professeure de lettres modernes, lycée Jean Renoir, Bondy, 93 ;
Alexis Lacroix, professeur de physique-chimie, Paris, 75 ;
Eva Lakehal, professeure des écoles, Paris, 75 ;
Mathilde Larrère, enseignante du supérieur (histoire), UPEM, Paris, 75 ;
Isabel Lasla, 93 ;
Virginie Leconte, enseignante du premier degré, EEPU Estérençuby, Estérençuby, 64 ;
Olivier Le Cour Grandmaison, enseignant du supérieur (sciences politiques) ;
Natacha Le Grand, professeure des écoles, 92 ;
Claude Lelièvre, historien, enseignant du supérieur, Université de Paris-5, Paris ;
Daphné Le Roux, professeure de philosophie, lycée Paul Émile Victor, Osny, 95 ;
Françoise Lepoan ;
Alain Leveneur, enseignant du second degré, 75 ;
Clémence Longchal, professeure de SES, militante syndicale SNES, Saint Denis, 93 ;
Maxime Louis-Nigen ;
Corinne Manchio, Université Paris-8, Saint-Denis ;
Jimmy Markoum, professeur d’histoire, militant syndical SNES, lycée Angela Davis, Saint Denis, 93 ;
Julie Maurice, professeure d’histoire-géographie, 92 ;
Adrien Mazières-Vaysse, professeur de SES, lycée Jacques Brel, La Courneuve, 93 ;
Miriem Meghaizerou, professeure de lettres modernes, Paris, 75 ;
Fanny Monbeig, professeure de lettres modernes, Toulouse, 31 ;
Lucile Mons, professeure de philosophie, 93 ;
Alexandre Moya, professeur d’anglais, 93 ;
Vanina Mozziconacci, enseignante du supérieur, Montpellier ;
Gérard Noiriel, historien, enseignant du supérieur et directeur d’études à l’EHESS, Paris ;
Joëlle Oliveira, professeure des écoles, école Voltaire, Nanterre ;
Sabrina Ouazene, professeure des écoles, école Paul Bert, Aubervilliers, 93 ;
Julie Pagis, enseignante du supérieur (science politique), CNRS, Paris, 75 ;
Ugo Palheta, enseignant du supérieur (sciences de l’éducation), Université de Lille, Lille, 59 ;
Émilie Pastor Pons, professeure d’histoire-géographie, Pantin, 93 ;
Willy Pelletier, sociologue, enseignant du supérieur, Université de Picardie, Amiens, 80 ;
Étienne Penissat, chercheur, CNRS ;
Edgar Petitier, Paris ;
Adèle Pichon, professeure d’histoire-géographie ;
David Pijoan, professeur de mathématiques, lycée Maupassant, Colombes, 92 ;
Karine Prevot, professeure du second degré ;
Yann Renoult, professeur de mathématiques, collège Jean Moulin, Aubervilliers, 93 ;
Eugenio Renzi, professeur de philosophie ;
Laurence Restrat, enseignante du second degré, Lille, 59 ;
Rosita Ricciuti ;
Sarah Richit, enseignante du premier degré ;
Stephane Rio, professeur d’histoire-géographie, lycée Saint-Charles, Marseille, 13 ;
Frédéric Salvy, CPE, lycée Victor Hugo, Marseille, 13 ;
Marion Schumm, professeure de philosophie ;
Fabien Segur, professeur d’économie-gestion, La Courneuve, 93 ;
Julien Solle, professeur de SES, lycée Maurice Ravel, Paris, 75 ;
Kai Terada, professeur de mathématiques, lycée Joliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Jean-Baptiste Tondu, professeur d’histoire-géographie, lycée Saint-Exupéry, Mantes-la-Jolie, 78 ;
Dacha Tran ;
Gwenaelle Vauzelle, enseignante du second degré, 93 ;
Rebecca Wakim, professeure des écoles, Paris, 75 ;
Clémentine War, AESH, 92 ;
Nicolas Webanck, professeur des écoles, Bobigny, 93 ;
Monia Zaida, professeure d’anglais, lycée Joliot-Curie, Nanterre, 92 ;
Élise Zeniter.
Cette tribune est désormais ouverte comme pétition à signer individuellement ici, ou collectivement (en tant qu’AG, collectif ou organisation).