Le fou dit : « Je suis un pacifiste israélien… tout ce que dit l’UJFP est mensonger »

Je me suis rendue vendredi soir au rassemblement protestataire à Opéra contre la « punition collective » qui sévit actuellement en Cisjordanie et à Gaza.

Pas une seule personne, au fait du « conflit », n’est trompée par, une fois de plus, la désolante propagande du terrorisme. Même sur RFI (!), j’ai entendu dire ouvertement dans un flash que l’opération israélienne visait à faire imploser le gouvernement d’union nationale Hamas-Fatah.
Dans l’appel au rassemblement, la liste des signataires était longue comme un jour sans pain. Bien. Associations et partis de gauche. Parfait. La dernière fois que j’étais venue sur cette place, la foule occupait toutes les marches, toute la largeur du trottoir entre la fin des marches et la rue, tout l’espace de la rue entre les deux trottoirs et toute l’esplanade centrale entourant la bouche d’entrée de la station de métro. C’était pas grand-chose bien sûr, mais visuellement ça bloquait la moitié de la place, et physiquement aussi puisque la foule était compacte. J’avais ce repère en tête comme type de mobilisation que je m’attendais à trouver. Je ne sais pas évaluer le nombre de personnes présentes sur un lieu, mais en sortant du métro j’ai dû chercher des yeux autour de moi pour voir où pouvait se trouver un rassemblement. La petite réunion de personnes en présence se résumait à occuper un bout de l’esplanade entre la bouche de métro et le premier trottoir. On n’en occupait à peine la largeur. La rue était libre à toute circulation automobile, le grand trottoir devant les marches de l’Opéra et les marches elles-mêmes, disponibles aux prises de vues des touristes.

C’était déprimant. Heureusement que je ne suis ni une communicante ni une porte-parole : j’aurais pas porté haut les cœurs si j’avais dû intervenir… !
J’étais venue pour tenir la banderole. C’est à peu près une des seules choses pour lesquelles je peux être utile, alors c’est ce que je viens faire. Un monsieur assez âgé tenait un des montants, je lui ai proposé de le remplacer, on a entamé une conversation, il parlait espagnol donc on a poursuivi dans sa langue. De parents et d’oncles républicains espagnols, il s’appelait García, était né en 37, arrivé en France en 61, cégétiste de toujours et en quelques petites minutes son besoin non différable de me parler de la Guerra Civil, del Partido communista, de la seguridad social en Francia, etc., avait pris ses quartiers. Je connais, comment dire… déjà tout ça, et puis je n’étais pas à mon maximum en termes de « mood-conversationnel-à-sens-unique-avec-personne-âgée ». Le nombre que nous étions ici m’affectait vraiment, et je commençais à avoir envie d’un peu de triste solitude.

On en était à son effarement que je ne sois pas au parti, avec des parents et des grands-parents communistes (j’ai failli avoir peur de ne plus pouvoir quitter les lieux sans avoir pris la carte), quand un type d’une quarantaine d’années s’est approché de la banderole, a lu l’intitulé et m’a demandé :
« Vous êtes juive ?

– Pourquoi ?

– Vous faites partie de cette association ?

– Oui !

– Je ne suis pas d’accord.

– ???

– Je suis israélien, et ce que vous dites est faux, tout ce que je lis sur votre site est mensonger, moi je suis vraiment prêt à en discuter avec vous, je suis pacifiste, j’aimerais qu’on dialogue, parce que vous ne connaissez pas la réalité, ça n’est pas ça la réalité, ça n’est pas ce que vous écrivez. »

Là… je palpite. Non seulement je suis dans l’incapacité, en général, de débattre avec qui que ce soit (quand je vous dis que ce que je peux faire c’est tenir la banderole je vous raconte pas des craques), mais en, plus je m’y refuse absolument. Et alors, surtout là quoi. Bref : vite vite appeler quelqu’un qui peut prendre en charge la situation, « répondre » au monsieur, « argumenter » pour « démonter » l’arsenal propagandiste, etc. En urgence, j’appelle P. à mon secours et lui fais part de l’intention du sieur qui souhaite dialoguer avec, semble-t-il, des « Juifs » en priorité, nous dire qu’il n’est pas d’accord parce que nous écrivons des mensonges. Le type demande alors directement à P. : « Vous êtes juive ? », P. répond « Oui Monsieur ! » et un échange s’engage entre eux…

Auquel je ne distingue rien car mon García est en train de me chanter El paso del Ebro (¡Ay, Carmela!) intégralement, couplet après couplet, la main sur mon épaule et à une distance de mon oreille peu recommandable entre deux inconnus. J’essaie de me concentrer sur ce qui se raconte entre l’israélien pacifiste et la juive de l’UJFP, pour apprendre, savoir ce qu’elle peut bien avoir « … Rumba la rumba la rumba bam bam… » à lui dire et je tente sans paraître trop impolie avec l’abuelo de lui faire comprendre que je suis très intéressée par la conversation « … El furor de los traidores… » qui se tient à un mètre de nous et que bon, quand même « Ay Carmela, ay Carmela ! » je suis de l’UJFP, tu vois, là c’est très important par rapport à mon association « … Rumba la rumba la rumba bam bam… » c’est un sujet primordial donc « (début du 4e couplet) » heu, por favor, faudrait que vous arrêtiez, là. Mais García m’a chanté le Ay Carmela, ay Carmela ! jusqu’au bout, et j’ai juste suivi de loin ce qu’il se passait avec le petit groupe en train d’entourer l’ami venu de la vérité.

Habillé en costard de bureau, le visage bonhomme, ce type était affable, souriant, et s’amusait de notre groupe l’encerclant, qui montions la voix. Il était là pour nous dire que ça ne se passait pas comme nous le disions et le pensions. P. lui a demandé de tenir un instant un des drapeaux de l’UJFP, il a refusé : « Je suis votre ami mais pas à ce point-là, je ne vais pas tenir ce drapeau puisque je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais j’aimerais qu’on discute. » Je me suis approchée à un moment du groupe, et ai dit sur un ton énervé que s’il vivait en Israël, il pouvait aller discuter avec Warschawski. J’avais parlé en même temps que d’autres personnes, et il gardait son calme amusé en nous disant de ne pas parler tous à la fois, qu’il était là pour dialogue et échanger mais qu’il fallait pour cela que nous prenions la parole les uns après les autres. Je savais que je n’aurais pas dû tenter quoi que ce soit, dire quoi que ce soit. Il a continué inlassablement de proposer à P. et à moi-même d’échanger nos coordonnés pour nous voir et discuter : « Je suis pour l’échange, moi je suis prêt à dialoguer avec vous ! ».

En repartant, je tente d’y voir clair. Qui était ce type ?! Qu’est-ce qu’il voulait, qu’est-ce qu’il foutait, qu’est-ce qu’il avait en tête ? Et moi, alors : à qui dois-je demander conseil pour savoir quoi faire, quoi dire face à ça ? Je pense aux responsables de l’UJFP, rompu-e-s à l’exercice. Qu’auraient-ils/elles dit, comment auraient-ils/elles réagi, qu’en pensent-ils/elles ?
Je me dis que cet homme n’a pas pu venir seul, comme ça, au milieu d’une (minuscule) foule (mais majoritaire face à lui) uniquement dans l’objectif de faire de la propagande. Il nous a donné son numéro de téléphone… Nous n’étions pas sur un forum Internet où les paroles sont anonymes, et où les trolls servent à annuler un débat, il s’agissait ici d’un rassemblement de militants, d’activistes BDS ! Qu’est-ce qu’il cherchait, quel était son besoin ? Mais enfin, surtout, qu’est-ce que j’en pense moi, de ce qu’il y a à répondre à ce genre de situation, à cette personne qui vient « s’adresser » à moi ?

Nous nous réclamons des « Juifs », d’une parole qui permet de dire, en tant que juifs, qu’Israël mène une politique raciste, colonisatrice, de nettoyage ethnique, d’apartheid, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité. Mais pour un homme, une femme, qui ne peut pas accepter, psychiquement, que les « Juifs » (en réalité : des « Juifs ») se comportent en barbare, entendre dire ça par d’autres que par les barbares eux-mêmes – les Arabes, les Palestiniens donc –, et précisément par des « Juifs », c’est impossible. Je veux dire, dans un sens clinique. En réaction, c’est le cerveau qui bloque : ça ne peut pas être vrai. Pour être plus exacte, c’est le cerveau qui débloque. Si ce monsieur avait été un propagandiste, un radical nourri aux plus purs éléments de langage sioniste, je ne le vois pas s’offrir à « la discussion » avec des gens au beau milieu d’un rassemblement pro-palestinien.

Donc j’ai réfléchi, et voilà ce que je crois que j’aurais pu répondre, tranquillement à ce pauvre homme juif au cerveau en perdition : « Monsieur, je comprends que vous ayez besoin d’aide et de soin, mais je ne suis pas médecin. Je ne peux pas répondre à votre sollicitation, vous criez à l’aide, je le vois bien mais je suis désolée, même si je voulais faire quelque chose pour vous, je ne le pourrais pas. Ce n’est pas à moi qu’il faut vous adresser. Faites-vous aider, trouvez un bon psychiatre, cherchez à vous faire soigner, vraiment. Bon courage. »


Le fou dit : « Je suis un pacifiste israélien. Tout ce qui est écrit sur le site de l’UJFP est mensonger. Je vis en Israël, je vous dis que ça n’est pas la réalité. »

Le médecin psychiatre répond : « Mais bien sûr Monsieur », et l’invite à suivre les infirmiers de l’HP qui l’attendent à la porte pour le raccompagner à sa chambre.

L’UJFP soupire, et dans un fiévreux espoir rêve que la psychiatrie trouve le remède, enfin, à cette pathologie dont le monde entier porte la responsabilité de l’étendue.

Addendum :

Mon cher viejo, j’espère te voir au prochain rassemblement car, sans toi, nous aurions été encore une personne de moins ! Et si je ne prends pas la carte du parti, j’ai en tête le poing levé et ta chanson en bandoulière.

Mais les bombes ne peuvent rien

Rum bala rum bala rum ba la !

Là où il y a plus de cœur qu’il n’en faut

Ay Carmela, ay Carmela.