Il y a 10 ans, quand l’État d’Israël célébrait son 50eme anniversaire, notre tâche principale était d’expliquer que la création d’Israël était aussi une Nakba palestinienne, et souvent les gens demandaient « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Dans la plupart des cas, la question était le fruit de l’ignorance. De nos jours, celui qui demande « que veut dire Nakba? » n’est pas un ignorant, c’est plutôt un négateur de la Nakba, une sorte de cousin des négateurs du génocide des Juifs qui demanderait « qu’est-ce que c’est que la Shoah ? ». Le concept de Nakba et la réalité de la catastrophe palestinienne sont entrés dans le domaine public.
En plus : tout autour du monde, et pas seulement dans les médias progressistes, toutes les mentions du 60e anniversaire d’Israël ont été suivies de la mention de la Nakba palestinienne, y compris par ceux – et c’est la majorité – pour qui la création d’Israël est un événement qui mérite des fêtes et des célébrations.
Il ne fait pas de doute que cette reconnaissance est une grande victoire pour le peuple palestinien, dont l’histoire tragique a été niée pendant des décennies : la bataille de l’histoire a finalement été gagnée, et le discours sioniste concernant une « terre sans peuple pour un peuple sans terre » et sur les réfugiés palestiniens qui soit n’ont jamais existés (sic), soit ont été forcés à s’enfuir par leur propre direction, se retrouve maintenant dans la poubelle des vieux mensonges propagandistes. Dans sa grande majorité l’opinion publique internationale reconnaît que le prix de la création d’un État juif a été la destruction de la Palestine et la création de centaines de milliers de réfugiés.
En Israël aussi, la tragédie palestinienne est largement reconnue, grâce aux nouveaux historiens qui, il y a 20 ans, ont commencé à démystifier les événements entourant la création d’Israël, et sont presque devenus maintenant les historiens officiels d’Israël. Sans aucun doute, reconnaître le « péché originel » de la naissance d’Israël, c’est une évolution importante, qui permet aux israéliens de regarder leur propre existence avec beaucoup moins d’auto-illusions et de mystifications, et, par conséquent, de mieux comprendre les racines du conflit Israélo-Arabe et le moyen d’en sortir.
On doit cependant, être conscient du simple fait que reconnaître un crime n’est que le premier pas, et en aucun cas le dernier si notre aspiration est la réconciliation entre les peuples. Une condition nécessaire, oui, mais pas suffisante pour finir le conflit.
Ceci peut sembler évident, mais ça ne l’est pas : pendant le processus d’Oslo, il y eut bien des intellectuels de gauche israélien pour argumenter sur la nécessité pour Israël de reconnaître « sa part de responsabilité » et le droit au retour pour les réfugiés, tandis que, en échange, les Palestiniens renonceraient à toute réalisation significative de ce droit. Pas une mauvaise affaire ! On plaide coupable en échange de l’absolution par les victimes et de ne pas réparer ni payer des compensations ! En réalité, cependant, c’est une très mauvaise affaire. D’abord pour les victimes auxquelles on demande de renoncer à ce qui a juste été reconnu comme leurs droits légitimes ; il n’est pas difficile d’imaginer que tant qu’il leur sera interdit de retourner sur leurs terres, de nombreux réfugiés garderont leur colère et leur animosité envers les Israéliens, même après que les Israéliens aient demandé leur pardon.
Mais c’est aussi une mauvaise affaire pour les Israéliens eux-mêmes, qui, par de telles manigances et demi-mesures, ne seront pas capables de se libérer des spectres qui hantent leur existence. Car la violence structurelle et la brutalité israéliennes ne peuvent pas être comprises si l’on est pas conscient de la présence permanente des spectres de la Nakba dans la (in)conscience collective israélienne. Il est bien connu que le déni ne fait pas disparaître les victimes, mais les transforme seulement en spectres
Ce n’est qu’en acceptant pleinement le droit au retour des réfugiés que le peuple israélien peut se libérer de la peur du retour et de la destruction. En effet, accepté de bonne foi, le droit au retour signifie la fin des réfugiés en tant que tels et leur transformation en voisins. Le retour des réfugiés Palestiniens dans leurs foyers n’est pas seulement un droit humain élémentaire et non négociable, c’est aussi la précondition pour la guérison de la société israélienne, sa normalisation, et la porte ouverte vers une vraie réconciliation.
Michel Warschawski
AIC, 27 mai 2008
http://alternativenews.com/