Issam Younis : « Gaza constitue un test pour l’ordre juridique »

Photo : Une Palestinienne assise dans les décombres d’un bâtiment détruit par une frappe aérienne israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 5 mai 2024. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Le directeur d’Al Mezan, Issam Younis, explique les obstacles et les opportunités que représentent pour la Palestine les récentes interventions importantes des plus hauts tribunaux du monde.

Par Ghousoon Bisharat,  le 24 mai 2024

Au cours d’une semaine mouvementée en termes d’évolutions juridiques internationales, deux des plus hautes juridictions du monde ont pris des mesures historiques pour adresser la question de la guerre à Gaza qui fait rage depuis les attentats du 7 octobre.

Le 20 mai, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé qu’il demandait des mandats d’arrêt contre plusieurs hauts dirigeants israéliens et du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité: le Premier ministre Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense Yoav Gallant, accusés d’avoir intentionnellement affamé, et dirigé des attaques contre, la population palestinienne à Gaza ; et Yahya Sinwar, Mohammed Deif et Ismail Haniyeh, tenus responsables d’avoir dirigé le meurtre et l’enlèvement de civils et civiles israélien.ne ;s le 7 octobre.

Ensuite, le 24 mai, dans le cadre du procès en cours de l’Afrique du Sud qui accuse Israël de génocide, la Cour internationale de Justice (CIJ) a ordonné à Israël de mettre immédiatement fin à son invasion terrestre de Rafah qui durait déjà depuis plusieurs semaines, a exigé qu’Israël rouvre le passage de Rafah avec l’Égypte pour permettre l’entrée de l’aide humanitaire et celle des enquêteurs mandatés par l’ONU, et a réitéré son appel à la libération immédiate de tous les otages israélien.ne.s encore détenu.e.s à Gaza.

Pour comprendre l’importance de ces développements, +972 s’est entretenu avec Issam Younis, directeur du  Centre Al Mezan pour les droits de l’homme  basé à Gaza, et ancien commissaire général de la Commission palestinienne indépendante pour les droits de l’homme. Younis a d’abord été déplacé de Gaza City avec sa famille au début de la guerre, avant de quitter finalement la bande de Gaza pour le Caire, où il réside actuellement.

Dans une interview de grande envergure, Younis a salué la demande de mandats d’arrêt faite par Khan, soulignant la nécessité d’utiliser tous les outils juridiques pour demander des comptes à Israël ; il dit considérer également la décision de la CIJ comme une étape importante vers l’obtention d’un cessez-le-feu permanent à Gaza. Néanmoins, a averti Younis, le système global du droit international se trouve clairement à son point de rupture.

Les Palestiniens et Palestiniennes, a-t-il expliqué, estiment qu’il existe un « antagonisme chronique » entre leur quête de justice et un monde dans lequel les règles du droit international ne sont appliquées que de manière sélective à certains acteurs. Selon Younis, Gaza constitue donc un test pour l’ordre juridique, qui voit les pays du Sud lutter pour faire respecter les préceptes moraux pourtant exprimés par le Nord il y a près de huit décennies.

Younis a en outre soutenu « qu’il était facile » de cibler Netanyahu et Gallant, car ils sont les visages publics impopulaires de la campagne militaire israélienne. Mais il a souligné que la CPI devait aussi s’en prendre à une série d’autres responsables qui ont commis des crimes, y compris ceux qui font l’objet d’un examen par la Cour dans le cadre d’une enquête plus large sur les territoires occupés comme l’expansion des colonies en Cisjordanie.  Younis reste toutefois prudemment optimiste : « La justice ne s’obtient pas par un KO, mais par le total des points », a-t-il déclaré.

Issam Younis, directeur du Centre Al Mezan pour les droits de l’homme (Autorisation d’Issam Younis).

De nombreux Palestiniens et Palestiniennes ont depuis longtemps le sentiment que le droit international n’a pas réussi à les protéger ou à faire avancer leur lutte, avec comme résultat ce que nous voyons aujourd’hui à Gaza. En tant que personne ayant consacré sa vie à ce domaine, qu’avez-vous à dire à vos compatriotes palestinien.ne.s sur les développements juridiques actuels ?

Il y a deux attitudes à avoir devant la demande de mandats d’arrêt faite par Khan. Premièrement, nous sommes optimistes sur le long terme, sur le plan stratégique. Nous ne sommes pas naïfs et nous sommes conscients que le droit international découle de ce que les États acceptent pour eux-mêmes. Mais nous essayons autant que possible de nous servir des outils existants. Comme l’a écrit le poète Al-Tughra’i, « la vie serait bien rétrécie sans un espace pour l’espoir », nous devons donc garder l’espoir vivant. 

La deuxième attitude dépend de ce que nous comprenions du système juridique international. Les Nations Unies, les Conventions de Genève et d’autres régimes et institutions d’après-guerre, ont été créés par les vainqueurs : pour protéger la paix et la sécurité internationales, maintenir l’ordre mondial et faciliter la coopération entre Etats. Ces règles sont devenues trop étroites pour remédier aux injustices existantes dans le monde, à tel point que le droit international ne s’applique désormais qu’à certains pays et à certains êtres humains, mais pas à tous. Comment expliquer autrement une telle immoralité [dans la réponse des pays occidentaux à Gaza] ?

Bien entendu, le statu quo [l’application sélective du droit international] est dangereux. Cela témoigne d’une crise dans l’ensemble du système. Le génocide à Gaza confirme que cet ordre international a vieilli; les règles de 1945 ne sont plus viables de nos jours. Mais nous, le peuple palestinien, ne connaissons que ce système et en faisons partie. Si nous pouvons obtenir justice grâce à ces développements récents, tant mieux ; si nous n’y parvenons pas, c’est l’occasion de renforcer notre engagement politique et juridique, et de mettre en évidence l’absence de justice dont nous pâtissons.

Le Conseil de sécurité de l’ONU, le 18 décembre 2015. (Photo : Nations Unies)

Le peuple palestinien– que ce soit en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem, dans la diaspora ou en Israël – a le sentiment qu’il existe un antagonisme chronique entre la justice et la réalité du monde. L’assaut contre Gaza, en tant que dégradation la plus brutale et la plus criminelle concevable des valeurs morales et juridiques, a placé [l’absence de justice] en tête de l’agenda mondial.

Pourtant, aux Palestiniens et aux Palestiniennes, je dis : aussi brutale et criminelle que soit la situation, la justice prévaudra. Les gens ont beau s’habituer à la vue du sang et de la mort – la situation reste anormale. Ce n’est pas bien, et un jour les choses changeront. La justice ne s’obtient pas par KO, mais par total de points, et la victime doit toujours faire bon usage des outils dont elle dispose.

Les choses bougent partout dans le monde : des protestations massives ont lieu dans les rues et sur les campus. La guerre à Gaza ne perturbe pas seulement l’ordre mondial, elle révèle également une nouvelle relation entre le Nord et le Sud. Le fait que l’Afrique du Sud ait porté l’accusation de génocide devant la CIJ n’était pas seulement symbolique ; le soutien des États du Sud sur ce dossier, qu’il soit déclaré ou non, est essentiel.

« L’autre monde », les Européen.ne.s blancs et blanches du Nord, doivent se rendre compte que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient. L’ordre juridique international doit être réparé, et cela comprend Gaza. Nous pensions que, malgré le fossé entre le Sud et le Nord, nous partagions certaines valeurs avec l’ensemble de la communauté internationale — pour découvrir que, finalement, même sur les concepts [les plus fondamentaux]il n’y a pas consensus. 

La preuve de cette immoralité est que la guerre contre Gaza, malgré huit mois de combats, continue et que le meurtre de [plus de 15 000] enfants peut faire objet de débat ! Aussi longtemps que le monde n’intervient pas et continue à envoyer des livraisons d’armes et à apporter un soutien politique, cela signifie que le monde accepte le meurtre d’enfants — à condition que l’enfant n’ait pas la peau blanche– et persiste à croire que chaque Palestinien ou Palestinienne est soit un bouclier humain, soit un terroriste ou un obstacle sur le chemin vers un nouveau Moyen-Orient.  

Des employés de la municipalité de Bethléem installent un drapeau sud-africain pour soutenir le procès sud-africain contre Israël à la Cour internationale de Justice (CIJ), dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie, le 16 janvier 2024. (Wisam Hashlamoun/Flash90)

Que pensez-vous de la décision rendue aujourd’hui par la CIJ ?

Il s’agit d’un développement très significatif – une étape cruciale [non seulement] pour mettre fin au génocide à Gaza, mais aussi pour ouvrir la voie à ce qu’Israël soit tenu responsable du crime de génocide.

La CIJ appelle Israël à « mettre immédiatement fin à son offensive militaire, et à toute autre action dans le gouvernorat de Rafah, qui pourrait infliger à la population palestinienne de Gaza des conditions de vie susceptibles d’entraîner sa destruction physique, en tout ou en partie ». Je comprends ce texte comme un appel au cessez-le-feu : la CIJ ordonne à Israël de cesser son opération militaire dans l’ensemble de la bande de Gaza, puis ajoute une virgule très importante, suivie de « toute autre action dans le gouvernorat de Rafah ».

À mon avis, on doit y entendre que la CIJ ordonne à Israël de mettre totalement fin à sa guerre, même si je m’attendais à ce que la Cour soit plus claire [dans sa formulation].

Que pensent les Palestiniens et Palestiniennes de Gaza de ces développements à la CPI et à la CIJ ?

Les habitants de Gaza sont extrêmement en colère contre l’ordre mondial dans son ensemble et contre les institutions judiciaires existantes. Le temps se mesure à l’aune des cadavres, et celles et ceux qui restent en vie ne le sont que par chance. Ils se sentent abandonnés et sentent que le monde est complice de ce qui leur arrive. Tant que vous n’arrêtez pas cette guerre, vous en faites partie. 

Des ONG palestiniennes comme Al Mezan se sont engagées auprès de la CPI pour enquêter sur des cas remontant à la guerre de 2014. Que pensez-vous de la lenteur de ces enquêtes qui n’ont pas encore abouti à des accusations, et de la rapidité de celles menées en rapport à la guerre actuelle ?

L’histoire a son origine dans la guerre de Gaza de 2008-2009. Nous sommes allés voir le procureur de la CPI de l’époque, M. Luis Moreno Ocampo, et lui avons demandé d’enquêter sur [la conduite d’Israël dans la guerre] en tant que violation du Statut de Rome. Trois ans plus tard, Ocampo est revenu vers nous pour nous dire que le statut juridique de l’État de Palestine n’était pas clair pour les trois principales parties – l’Assemblée générale des Nations Unies, le Conseil de sécurité de l’ONU et les États parties au Statut de Rome – et qu’il ne pouvait donc pas ouvrir une enquête. 

Lorsque la Palestine est devenue un État observateur non membre de l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 2012, nous avons vu une nouvelle opportunité: la Palestine avait désormais le « caractère » d’un État pouvant signer le Statut de Rome, et elle est ainsi devenue l’une des 124 pays adhérents à la CPI. 

Huit ans plus tard, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a décidé que l’affaire était fondée , et la Chambre préliminaire [après avoir confirmé le statut de la Palestine en tant qu’État] a autorisé l’ouverture d’une enquête en 2021. Depuis lors, l’enquête s’est poursuivie mais n’a pas progressé d’un iota, malgré plusieurs guerres lancées contre Gaza, la poursuite du blocus et d’autres crimes commis dans l’intérim. 

Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI), s’adresse aux journalistes après avoir briefé le Conseil de sécurité lors d’une réunion de celui-ci sur la situation en Libye. 26 mai 2016. (Photo ONU/Loey Felipe)

Je pense donc que la récente décision de Khan suggère qu’il ne peut rester silencieux face à cette sauvagerie. Cela montre aussi l’ampleur de la pression exercée sur le tribunal.

La demande de Khan visant à émettre des mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant – deux personnalités politiques impopulaires et indésirables pour beaucoup de pays, y compris les États-Unis – était l’acte la plus facile à accomplir. Le monde a pris connaissance, quoique tardivement, que Netanyahu constituait un obstacle. Et quant à Gallant, ses déclarations « Nous combattons les animaux humains » et « J’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant » sont de claires démonstrations de brutalité politique. Le procureur ne pouvait pas rester neutre.

Ce choix de la facilité explique pourquoi il n’y a pas de mandat d’arrêt demandé contre ceux qui ont exécuté et ordonné ces crimes : les officiers militaires et de la sécurité, et tous les autres membres du cabinet de guerre israélien. Le criminel, selon le Statut de Rome, est celui qui a ordonné, exécuté, aidé et même toléré le crime. Il est donc inconcevable de ne pas mettre en cause les autres personnes directement responsables. 

Pourquoi le procureur a-t-il demandé des mandats d’arrêt liés uniquement aux crimes commis depuis le 7 octobre ?

J’espère qu’il ne s’agit là que d’une première étape. Le devoir du procureur est d’examiner tous les crimes qui menacent la paix et la sécurité internationales et d’examiner l’ensemble du dossier, sans se montrer sélectif et partial.

Mais il semble qu’il soit sous pression et qu’il ne puisse aller au-delà du 7 octobre. S’il le faisait, cela signifierait ouvrir le dossier des implantations [en Cisjordanie]. Pour la population palestinienne, l’existence des colonies est tout aussi dangereuse que la guerre actuelle, car avec elles s’évanouit toute possibilité d’existence pour le peuple palestinien. Le transfert d’une population vers un territoire occupé constitue un crime sérieux au regard du Statut de Rome et des Conventions de Genève. J’attendais que cela fasse partie de l’affaire actuelle devant la CPI, mais il semblerait que Khan, pour l’instant, ne puisse faire plus. 

La pression exercée sur lui explique également pourquoi il a choisi de demander des mandats d’arrêt contre trois membres du Hamas et contre seulement deux Israéliens. En outre, les Palestiniens sont accusés de huit crimes, les Israéliens de sept chefs d’accusation, et seuls les Palestiniens sont accusés de torture, de mauvais traitements, etc., alors que les crimes d’enlèvement, de disparition et de détention de Palestinien.ne.s dans les prisons militaires israéliennes ne sont pas même pas mentionnés. Je travaille dans ce domaine depuis 35 ans et je n’ai jamais vu une telle brutalité [contre les prisonniers] : 27 Palestiniens ont été tués dans les prisons israéliennes, non pas des « combattants illégaux » mais des travailleurs qui se trouvaient sur leur lieu de travail lorsque le Hamas a lancé son attaque et dont tous avaient passé les contrôles de sécurité et possédaient des permis pour travailler en Israël. 

Le procureur a également choisi de ne pas évoquer le crime de génocide. Pourtant, ce qui se passe actuellement est un génocide dans tous les sens du terme, et des preuves fiables ont été présentées par l’équipe juridique sud-africaine devant la CIJ.

Les bureaux détruits du centre Al Mezan, Gaza, 2024. (Autorisation d’Issam Younis)

Une question clé concernant l’intervention de la CPI est celle de sa complémentarité (avec une enquête menée par Israël lui-même). Quelle a été l’expérience d’Al Mezan avec le système judiciaire israélien lorsqu’il s’agit de situer les responsabilités ?

En tant qu’institution des droits humains, nous traitons avec l’autorité existante dans la mesure où elle respecte, au moins dans une certaine mesure, les droits humains des citoyen.ne.s. Parmi les parties avec lesquelles nous nous sommes engagés, par exemple, figure le Corps de l’avocat général militaire israélien (Corps MAG). Durant la guerre de 2014 et avant, nous avons soumis des centaines de demandes concernant les crimes les plus graves. La grande majorité des cas n’ont fait l’objet d’aucune enquête, à l’exception de ceux qui relevaient de la discipline militaire, comme le cas d’un soldat volant une carte de crédit. Aucune enquête n’a été menée sur les meurtres de familles entières effacées des registres de l’état civil ou sur la destruction d’un hôpital. Mais nous nous devons d’épuiser, face à la puissance occupante, tous les moyens de recours au niveau national.

Israël est presque le seul pays au monde où le pouvoir judiciaire boycotte la victime. Ceci est souligné dans l’ amendement de 2012 à la loi sur la responsabilité de l’État [No. 8 ]. Dans de nombreux pays, ce sont les victimes qui boycottent le système judiciaire parce qu’elles le considèrent comme manquant d’indépendance, d’impartialité ou de neutralité.

Notre approche était la suivante : « Nous sommes de Gaza et les juges israéliens doivent nous rendre justice », mais, sur les plans juridique et politique, ils couvrent toujours [l’État]. Une victime [que nous représentions] a perdu sa maison en 2008 et l’a reconstruite ; en 2012, un membre de sa famille a été tué ; et en 2014, l’armée a de nouveau détruit sa maison. Aucun tribunal israélien ne lui a rendu justice. Alors, vers qui ou quoi peut-il se tourner? Le principe de complémentarité est fondamental, mais dans le cas d’Israël, son système judiciaire est incapable de rendre justice aux Palestinien.ne.s.

Comment voyez-vous la réaction des États-Unis aux nouvelles de la CPI ?

Les États-Unis font partie du problème, pas de la solution. Les États-Unis ont fait pression sur le tribunal et lorsque l’ancienne procureure Fatou Bensouda a ouvert une enquête, elle a été punie : l’administration Trump a révoqué les visas de Bensouda et d’autres collaborateurs, et a pris des mesures supplémentaires de rétorsion. Sous l’administration Bush, les États-Unis ont également signé des accords avec la plupart des États parties au Statut de Rome, s’engageant à ni extrader ni détenir tout citoyen américain accusé de crimes de guerre, et accordant ainsi l’immunité à leurs soldats. Cette semaine, des élu.e.s du Sénat étasunien ont signé des déclarations menaçantes contre le tribunal. C’est sans précédent.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu rencontre le président américain Joe Biden à Tel Aviv, le 18 octobre 2023. (Miriam Alster/Flash90)

Que peut-on attendre d’un pays qui pense et agit de cette façon ? Si les États-Unis voulaient mettre fin à la guerre, ils auraient pu le faire en cinq minutes, avec un seul appel téléphonique de Biden. Pour les États-Unis, le tribunal est excellent tant qu’il décide d’arrêter Poutine, mais devient problématique lorsqu’il traite d’autres cas impliquant les proches alliés de l’US. Les États-Unis sont en cours d’entraîner le monde vers des situations dangereuses, voire catastrophiques. 

Que signifient ces mandats pour les obligations de la Palestine en tant que signataire du Statut de Rome – Sinwar et Deif se trouvant, par exemple, en territoire palestinien ?

Nous sommes d’accord, n’est-ce pas, que l’État de Palestine n’exerce aucune sorte de souveraineté et est un État sous occupation. C’est un état virtuel. Si le président lui-même veut se déplacer d’un endroit à un autre en Cisjordanie ou en dehors, il a besoin de l’approbation des Israéliens. Le monde est conscient que l’Autorité palestinienne n’a aucun pouvoir pour arrêter qui que ce soit. Il voudrait bien remplir ses obligations légales en tant qu’État indépendant, mais il n’en a pas la possibilité.

[En ce qui concerne le Hamas], ce n’est pas nous qui fixons le droit international, mais il y a des règles qui s’appliquent à tout le monde, et que chacun doit respecter. La résistance et la lutte font partie de la nature humaine et cherchent à mettre l’accent sur la moralité et les lois humanitaires que le monde civilisé a fait siens. Il est toujours nécessaire de réfléchir aux moyens de résistance et ce qu’elle peut mettre en œuvre pour obtenir les meilleurs résultats possibles. La résistance a toujours besoin d’être revue et corrigée, mais cela n’enlève rien à l’existence d’une occupation à laquelle il faut résister.

La question la plus importante est de savoir comment le peuple palestinien peut y parvenir alors qu’il est soumis à une telle sauvagerie, à une agression d’une telle envergure. En fin de compte, l’arbre de vie a beau rester toujours vert — la théorie est bien grise. 

Ce conflit doit cesser et, à la fin, le peuple palestinien doit jouir de toutes les ressources morales, juridiques et humanitaires nécessaires pour exercer son droit à l’autodétermination. Et, je tiens à ajouter, il ne s’agit pas seulement de son droit à un État ; je m’insurge contre l’idée que le problème du peuple palestinien est qu’il n’a pas d’État. En fait, le peuple palestinien revendique le droit à l’autodétermination pour pouvoir enfin décider nous-mêmes de notre sort. Et si, en fin de compte, nous ne voulons pas d’État ?

C’est la première fois que des dirigeants palestiniens sont formellement accusés de crimes de guerre internationaux. Qu’est-ce que cela signifie pour la lutte et la résistance palestinienne ? La décision de la CPI signifie-t-elle également qu’il existe des lignes rouges pour la résistance ?

En tant qu’institutions des droits humains, nous pensons que quiconque viole le Statut de Rome, quelle que soit sa nationalité, doit être traduit en justice et assumer la responsabilité de ses actes.

Le chef du Hamas Yahya Sinwar aperçu lors d’un rassemblement à Beit Lahiya, dans la bande de Gaza, le 30 mai 2021. (Atia Mohammed/Flash90)

Je suis d’avis que même si cette décision de demander des mandats d’arrêt contre Sinwar, Deif et Haniyeh est inacceptable pour certain.e.s Palestinien.ne.s, cela représente tout de même une opportunité pour tout accusé de se présenter devant le tribunal, de défendre son récit, de replacer les choses dans leur contexte et de présenter des preuves. En fin de compte, même si des mandats d’arrêt sont émis, les personnes inculpées restent innocentes jusqu’à preuve du contraire.

Ce n’est pas nous qui décidons de ce qu’est un crime de guerre : en fin de compte, c’est le tribunal qui décidera. Mais la Cour elle-même doit être hautement crédible et ne pas politiser la question, surtout aujourd’hui lorsque le système international est mis si rudement à l’épreuve. Et nous continuons à demander haut et fort : « Qui commet un génocide ?

Quant au choix entre résister et négocier [avec Israël], à mon avis, les deux sont problématiques tant que la solution retenue ne recueille pas le consensus du peuple. Nous paierons un prix pour l’une ou l’autre option, mais nous sommes prêts à le payer. Le problème de fond est que malgré la justesse de notre cause et notre désir fervent de voir cesser l’occupation, il existe un effort organisé et systématique pour qualifier chacune de nos actions d’immorale.

Êtes-vous convaincu que le monde respectera les mandats d’arrêt ?

Nous continuons de croire que le maintien de la sécurité, de la stabilité et de la paix internationales est le devoir du monde entier. Il est intéressant qu’un pays qui couvre le génocide, comme l’Allemagne, affirme que les décisions de justice doivent être respectées. Si ces décisions ne sont pas mises en œuvre, cela signifierait que le monde a oublié l’État de droit et se dirige vers la loi de la jungle.

Comment la poursuite des mandats d’arrêt par la CPI pourrait-elle influencer le procès de la CIJ ?

Ce sont deux espaces différents et chaque tribunal jouit d’une totale indépendance sans relation officielle avec l’autre. Mais le fait que la CIJ discute de l’affaire du génocide, cela peut aider le procureur de la CPI à inculper les Israéliens accusés. Sans aucun doute, l’affaire de la CIJ contribue à créer un environnement favorable [aux actions de la CPI]. La CIJ a accepté la demande de l’Afrique du Sud, ce qui légitime cette affirmation. C’est à la Cour de décider sur le fond, mais d’un point de vue procédural, le procureur de la CPI n’aurait pas dû craindre de porter des accusations de génocide contre des individus israéliens.

Le bâtiment détruit du fils d’Issam Younis à Gaza, mai 2024. (Autorisation d’Issam Younis)

Vous et votre famille avez quitté Gaza en décembre et vous êtes maintenant au Caire. Qu’est-ce que vous ressentez en ce moment ?

Le hasard a fait que nous sommes encore en vie mais nous oscillons encore entre la vie et la mort. La chose la plus importante pour moi est de rester fort et de soutenir ma femme et mes enfants. Je suis au Caire mais mon cœur et mon esprit sont avec ma famille, mes voisin.e.s, mes collègues et mes ami.e.s à Gaza.  

Nous avons perdu nos maisons et nos biens. J’ai été forcé de quitter ma maison dans le quartier d’Al-Rimal, à Gaza City, le 13 octobre. Ma maison et mon bureau ont été gravement endommagés et le bâtiment où habitait mon fils a été totalement détruit par un missile. Nous avons été déplacés à Rafah pendant quelques mois, contrairement à beaucoup d’autres qui ont été tués lorsque leurs maisons ont été prises pour cible, et avons quitté Gaza le 3 décembre. 

Ce que nous avons vécu à Gaza est indescriptible. Je n’oublierai jamais la peur panique lors des « fire belt bombings » (une série de bombes lourdes larguées en continu sur un seul endroit). Essayez d’imaginer le bruit des coups de feu d’un fusil automatique ; imaginez maintenant la même chose depuis des avions en vol. Les bombes sont lâchées à vitesse égale, à quelques secondes d’intervalle, sur un quartier résidentiel peuplé d’enfants et de femmes. L’état de terreur est indescriptible. J’ai perdu de nombreux membres de ma famille et beaucoup d’ami.e.s. J’essaie de ne pas écouter les informations, car les informations citent toujours les noms des personnes qui ont été tuées.

Retournerez-vous à Gaza ?

Oui bien sûr. Quand la guerre prendra fin, je veux y retourner et contribuer à la reconstruction de Gaza. On ne trouve sa vraie dignité que dans son propre pays. Je veux rentrer, mais ma famille ne reviendra peut-être pas étant donné qu’il n’y a plus de maisons, d’hôpitaux, d’écoles ou d’universités. 

Je comprends ceux qui disent qu’ils ne peuvent pas rentrer, car tout ce qui est nécessaire à la vie a été complètement détruit. Je comprends les jeunes qui ont réussi à s’en sortir et qui ne veulent pas rentrer. Mais, moi, je reviendrai pour reconstruire Gaza pour la jeune génération, pour mes enfants et petits-enfants.

Ghousoon Bisharat est la rédactrice en chef du magazine +972

Traduction BM pour Agence média Palestine

Source: +972

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