« Un dîner au « caractère incontournable » », c’est ainsi que le CRIF présente cette manifestation sur son site, rappelant que de nombreuses personnalités politiques et intellectuelles se pressent pour être présentes à ce « rendez-vous politique majeur ». Et pour renforcer cet événement, la soirée est enregistrée sur la chaîne « Public-Sénat » dans le cadre de sa participation au débat politique.
En fait derrière cette manifestation « prestigieuse » on peut voir deux préoccupations politiques majeures, d’une part une manifestation pro-israélienne pour amener les personnalités politiques présentes à soutenir la politique israélienne, d’autre part une volonté de confisquer toute parole juive au seul bénéfice du mouvement sioniste.
Et la presse qui rend compte de cette soirée accepte sans discussion que le CRIF représente la parole juive en France.
Manifestation pro-israélienne, il suffit de lire chaque année le discours de Roger Cukierman pour le voir. Il s’agit de montrer que la France a tout intérêt à soutenir Israël, autant sur le plan politique que sur le plan économique, sans oublier le plan moral. Nous ne pouvons rappeler ici l’ensemble du discours de Roger Cukierman, nous contentant de présenter les parties plus significatives. Parmi celles-ci la demande que la France reconnaisse Jérusalem comme la capitale d’Israël, Jérusalem, « la capitale de l’identité juive depuis des millénaires ». Comme on devrait le savoir, les Palestiniens n’ont rien à dire et Roger Cukierman demande que la France reprenne à son compte les exigences israéliennes.
Roger Cukierman s’en prend à la victoire du Hamas, laquelle « a ruiné les espoirs des plus optimistes ». Comme s’il y avait eu des espoirs avant !
Parlant ensuite du Liban qu’Israël a dû détruire par la faute du Hezbollah, cette « organisation infréquentable », Cukierman rappelle aussitôt les années quarante comme pour mieux mettre en regard les ennemis qu’Israël est obligé de combattre et le nazisme d’alors. Amalgame classique pour mieux montrer la voie aux démocraties inconscientes du danger.
Dans la première partie de son exposé, Roger Cukierman avait donné un satisfecit à la France pour sa lutte contre l’antisémitisme, comme pour mieux montrer que lutte contre l’antisémitisme et soutien à Israël sont liés. Mais il est vrai que pour Roger Cukierman et ses amis que lutte contre l’antisémitisme et soutien à Israël sont liés dans la mesure où les Juifs sont, par définition, des alliés indéfectibles d’Israël. Et c’est le second volet de la manifestation du CRIF, cette volonté d’une représentation exclusive des Juifs.
D’une part les Juifs, tous les Juifs sont des inconditionnels d’Israël, d’autre part, pour éviter les voix discordantes, les Juifs doivent se reconnaître derrière leurs représentants que sont les associations juives qui se reconnaissent dans le CRIF. Ainsi le tour est joué et les media s’empressent de reconnaître dans la parole du CRIF la seule parole juive.
De la réponse du premier ministre Dominique de Villepin, nous retiendrons le volet sur Israël. C’est ainsi que Dominique de Villepin explique qu’après une période d’incompréhension, les relations entre la France sont bonnes et rappelle la venue en France de Sharon et ses contacts avec Olmert. Dominique de Villepin rappelle aussi le rôle de la communauté juive de France dans les bonnes relations entre la France et Israël ; mais qui est la communauté juive ? ce ne peut être que la partie des Juifs qui se reconnaît dans le CRIF.
Et Dominique de Villepin termine son intervention en proclamant que « la France sera toujours aux côtés d’Israël, pour réaffirmer notre refus absolu du terrorisme, du fanatisme, de la violence et de l’incohérence ». Rien sur les responsabilités israéliennes dans la destruction du Liban si ce n’est une condamnation du Hezbollah, rien sur la destruction de Gaza et sur l’occupation de la Palestine qu’il présente comme une « situation de tension », seulement un appel à soutenir Mahmoud Abbas et à une réunion du Quartet. Rien de très nouveau.
Dominique de Villepin oublie ainsi le rôle de la politique française dans le chaos actuel qui règne en Palestie. L’Union Européenne savait que la suppression de l’aide à l’Autorité Palestinienne conduirait la Palestine au chaos, ce qui ne pouvait que renforcer la position d’Israël, et le chaos venu l’Union Européenne se déclare prête à aider Mahmoud Abbas, moins pour mettre en place un Etat palestinien que pour lutter contre le Hamas et mettre fin à la lutte des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits nationaux.
Soutien à Israël !
Volonté de confiscation de la parole juive au seul profit du sionisme !
Le dîner du CRIF a ces deux objectifs et le CRIF sait qu’aujourd’hui le dîner annuel est devenu l’une des grandes manifestations du spectacle politique français.
Le CRIF sait qu’il joue sur un amalgame qui fonctionne bien en Europe et particulièrement en France : toute critique d’Israël est un acte antisémite. Et une grande partie de ceux qui viennent se montrer au dîner du CRIF ont à cœur de montrer qu’ils ne sont pas antisémites.
Et pourtant cet empressement à montrer patte blanche a de drôles de relents. D’une part, il semble ignorer les autres formes de racisme, ce dont se satisfont ceux qui considèrent que l’antisémitisme est la faute suprême, d’autre part, ce philosémitisme est encore une façon de mettre les Juifs à part.
On comprend alors combien le CRIF et ses amis ont besoin de faire taire les autres paroles juives. Que des Juifs soient antisionistes ou seulement critiques envers la politique israélienne remet en cause ce bel équilibre que quelques notables juifs ont construit et qui semble plaire aux politiques et aux médias.
A l’époque où l’on dénonce, avec raison, les communautarismes, le dîner du CRIF apparaît comme la manifestation d’un communautarisme fort, renforcé par le fait que ce sont les politiques, prêts à dénoncer toute manifestation communautaire, qui soutiennent par leur seule présence une telle manifestation communautariste.
D’autant qu’une telle manifestation tend à conforter ceux qui dénoncent l’influence d’un lobby juif qui s’insinuerait partout. Ce qui ne semble pas déplaire aux communautaristes du CRIF.
Il ne faut pas oublier que le sionisme, s’il est né en réaction contre l’antisémitisme européen, en choisissant de construire l’Etat juif aux dépens des habitants de la Palestine, s’est retrouvé moins dans la mouvance des mouvements de libération nationale que comme partie prenante du colonialisme européen. Quoi de mieux alors pour que le sionisme continue d’apparaître comme le mouvement de libération qu’il n’est pas ou qu’il n’est plus, que d’en appeler à l’ennemi commun représenté par l’antisémitisme pour d’une part renforcer son emprise sur les Juifs et d’autre part exiger des politiques qu’ils viennent donner des gages de lutte contre l’antisémitisme et de soutien à Israël.
Rudolf Bkouche