La présence des colons, en plus de rendre impossible la naissance d’un État palestinien viable, représente un coût élevé pour l’économie de l’État d’Israël. L’augmentation continuelle du nombre de colons devient un fardeau insoutenable pour les finances du pays.
Shir Hever, économiste du Centre d’information alternative de Jérusalem, nous informe qu’en 1967 au début de l’occupation, celle-ci était une source de revenus pour Israël. Et cela grâce à l’exploitation de la main-d’œuvre palestinienne (des bas salaires pour les travailleurs arabes), la vente de produits israéliens dans les territoires occupés, le contrôle des sources d’eau potable et l’octroi des terres les plus fertiles aux colons. Ceci correspond aux critères classiques de l’exploitation coloniale, par la métropole, des terres conquises.
Mais aujourd’hui, cette même occupation est devenue un puits sans fond qui draine de sommes énormes du budget national. Exactement 6,1 milliards d’euros (9 milliards de dollars US) par an. Et ce chiffre va croître avec l’augmentation annuelle du nombre de colons, à la hauteur de 5,8 % (de loin supérieur au taux de croissance « naturelle » de cette population, estimé à 1,8 %). Shir Hever estime que d’ici 2015, l’État dépensera le double pour ses colons. Dans 20 ans, le coût de l’occupation sera la principale poste de dépense de l’État, loin devant celle de l’éducation, de la santé, ou d’autres services publics pour les Israéliens à l’intérieur de la frontière de 1967. D’une source d’enrichissement, l’occupation est donc devenue, 40 plus tard, une cause d’endettement sans fin.
Comment expliquer cette évolution ? Elle est due principalement à la résistance palestinienne qui, depuis la première Intifada (1987), qui a su opérer ce retournement de situation. En regardant les chiffres, rappelons d’abord qu’avec ses 6 millions d’habitants, la population israélienne est 10 fois moindre que la population française. Aujourd’hui, plus de 2 milliards d’euros d’argent public sont gaspillés en privilèges accordés aux colons (exonérations fiscales, subventions pour des écoles, achat de maisons par l’État, frais de transport, etc.). Ensuite, trois fois ce montant (plus de 4 milliards d’euros) sont dépensés pour assurer la sécurité des colons (infrastructure militaire et mobilisation de divisions entières de l’armée).
Pour garder ce niveau de dépenses, Tel-Aviv opère un choix politique qui en dit long sur ses vraies priorités : coupes claires dans les budgets sociaux et privatisation rapide de pans entiers de l’économie nationale. Certes, cette économie en sursis est soutenue artificiellement par l’aide américaine mais cette dernière a été réduite de plus de 2 milliards d’euros (3 milliards de dollars) à seulement 1,9 milliards d’euros (2,8 milliards de dollars) par an. Qui plus est, le dollar ne vaut plus autant si bien que cette aide, déjà restreinte, vaut moins. L’argent manquant est donc fourni par les contribuables israéliens, déjà lourdement taxés. Depuis 1973, le produit intérieur brut est au dessous de la moyenne des pays avec lesquels Israël est habituellement comparé. Bien que le PIB (un indice de croissance) soit soutenu par la guerre, cela n’implique pas une amélioration des conditions de vie des habitants. Shir Hever précise : « Le chômage diminue mais les chômeurs ont perdu leurs subventions » et « les taux de pauvreté ont augmenté. »
L’armée et les colons ont un appétit insatiable. Sans l’aide américaine, Israël aurait une économie comparable à celle des pays arabes voisins, comme la Jordanie ou l’Egypte. Si, par contre, l’aide américaine depuis 40 ans avait été versée à l’OLP et à l’Autorité palestinienne, la Palestine serait aujourd’hui la Suisse du Proche-Orient. Quant à l’État hébreu, avec sa population dont la plus grande composante est sépharade (Juifs originaires du monde arabe), il serait un pays arabe comme les autres, tant sur le plan économique que culturel. Ainsi, aujourd’hui, la différence essentielle entre la prospérité israélienne et la misère palestinienne, provient-t-elle d’une combinaison entre d’argent américain, l’occupation et les effets dévastateurs de cette dernière.
Cependant rien n’est inéluctable. Un changement de politique peut entraîner un changement substantiel de la situation sur le terrain. Les privilégiés d’aujourd’hui peuvent devenir les défavorisés de demain et vice versa.
Pour une interview révélatrice avec Shir Hever dans le quotidien italien Il Manifesto, voir « Le coût de l’occupation » (textes divers).
– Richard Wagman