Ce vendredi 17 avril, dans la matinée, le Premier Ministre Manuel Valls s’est rendu à Créteil pour annoncer un vaste plan contre le racisme et l’antisémitisme.
L’enveloppe budgétaire devrait avoisiner les 100 millions d’euros. Autant dire que l’enjeu est important.
Nous déplorons que l’urgence à lutter contre l’islamophobie, dans un contexte d’explosion du nombre d’actes islamophobes, à l’écoute du discours de Manuel Valls, soit purement ignorée. Le Premier Ministre, fidèle à lui-même, n’a même pas consenti à prononcer le terme d’ « islamophobie », alors même que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme a réitéré l’emploi du terme le 9 avril dernier, après l’avoir consacré dans son rapport annuel 2013.
Pourtant, des mesures impératives doivent être mises en place pour lutter efficacement contre l’islamophobie.
Lutte contre l’islamophobie : les chantiers à mettre en place
Le plan de Manuel Valls comporte trois volets majeurs : un volet sécuritaire et juridique, un volet numérique, et enfin un volet pédagogique. Dans chacun de ces chantiers évoqués par Manuel Valls, ce dernier omet que le premier discriminant des actes islamophobes est l’Etat via ses administrations. Manuel Valls se dédouane ainsi de toute responsabilité en faisant croire que le racisme ordinaire des gens est la racine dominante de ce racisme qui s’exprime en France.
Pourtant, en 2014, 71,6% de nos recensements des actes islamophobes étaient le fait des institutions.
En ce sens, il aurait été indispensable qu’une enveloppe budgétaire soit allouée pour assurer la formation et la sensibilisation des fonctionnaires sur le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme. Sur le terrain, nous constatons une difficulté des fonctionnaires de police à retenir la circonstance aggravante du caractère racial des faits ou des propos dénoncés par les plaignants, et ce quand bien même des éléments abondent en ce sens.
Parfois, même des policiers refusent purement et simplement l’enregistrement de plaintes concernant les discriminations et les agressions islamophobes , ce qui est intolérable. Nul besoin aussi de s’étendre sur l’ignorance de bon nombre de services publics qui croient bon d’appliquer une conception dévoyée de la laïcité, bien éloignée des dispositions de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905…
Sur le plan juridique, une activation plus ambitieuse et rigoureuse de l’arsenal juridique existant doit être mise en place pour s’assurer que les auteurs de discours de haine, de contenu haineux sur Internet, de tags sur les mosquées (ou ailleurs), d’agressions racistes soient condamnés systématiquement et avec fermeté.
Pour l’école, le Premier Ministre a balayé d’une main la triste réalité des nombreux dérapages racistes en provenance des institutions scolaires . Pour M. Valls, le racisme à l’école ne s’exprime que par la bouche des élèves, et celui-ci doit trouver « des réponses systématiques », notamment en perfectionnant les dispositifs de signalement de ces incidents.
Alors que certains enseignants, certains chefs d’établissements ont pu tenir des propos à caractère racial, et adopté des agissements discriminatoires, notamment en raison de la seule appartenance religieuse des élèves , le personnel de l’Education nationale doit être sensibilisé et mieux formé à la lutte contre les discriminations, mais aussi sévèrement sanctionné, lorsqu’il déroge au principe de non-discrimination.
Au vu de ce que nous avons déjà observé dans le cas d’enfants accusés d’apologie du terrorisme , nous craignons qu’un tel arsenal laisse le champ libre à davantage de dérapages judiciaires. Les enfants sont les héritiers de la République. L’urgence convient de les protéger contre le racisme des institutions et de la société. Pour ce faire, il aurait été indispensable de donner des moyens financiers à l’école pour développer des opérations de sensibilisation contre le racisme, en partenariat avec les organisations de la société civile.
Enfin, dans la lutte contre le racisme, nous rejoignons le Premier Ministre : une campagne nationale de sensibilisation contre le racisme doit être menée. Toutefois, pour que celle-ci porte ses fruits, il convient d’inclure les associations luttant contre tous les racismes, sans hiérarchie aucune, dans la production d’une telle campagne. Or, à l’écoute du discours de M. Valls, nous exprimons de sérieux doutes quant à l’inexistence d’une telle hiérarchie entre les racismes dans sa façon de concevoir la société française.
La lutte contre l’islamophobie est une nécessité dans la lutte contre tous les racismes.
Il est évident qu’omettre la réalité des actes islamophobes revient à accentuer les sentiments de frustrations de ceux qui sont mis au banc des racismes considérés comme inacceptables. Lutter contre l’islamophobie participe à la lutte de tous les racismes. Après l’explosion des actes islamophobes suite aux événements des 6,7 et 8 janvier, cette vérité est d’autant plus criante.
Ce que Manuel Valls feint d’oublier en plus de minimiser le fléau islamophobe, c’est qu’il est primordial de lutter d’abord contre le racisme institutionnel. Celui-ci est de nature à empoisonner la société française dans son ensemble et à diffuser des préjugés racistes, exacerbés par le sentiment d’une hiérarchisation des racismes dans l’esprit des institutions françaises.
Une fois que cette triste réalité sera entendue par ceux-là même qui sont les premiers à discriminer, alors la lutte contre le racisme pourra s’avérer efficace.
Car ne l’oublions pas, ce sont les discours des représentants des institutions et des médias qui font le lit d’un racisme qui s’exprime, de plus en plus violemment, dans la société française. Il est grand temps que le gouvernement prenne ses responsabilités. Un premier geste fort en ce sens serait le rejet de la proposition de loi visant à étendre l’obligation de neutralité religieuse « au service privé de l’enfance » , qui sera discutée à l’assemblée nationale le 13 mai prochain.
Source : CCIF