Uri Avneri est incontestablement aujourd’hui le doyen du mouvement israélien contre l’occupation et la politique de guerre des gouvernements israéliens. Combattant infatigable, et alors qu’il a fêté il y a bientôt deux ans ses quatre-vingt-dix ans, on peut le rencontrer dans les rassemblements militants dont la majorité des participants pourraient être ses arrière-petits-enfants. Uri m’honore aussi de son amitié, et j’en tire une certaine fierté. Nous n’avons pas toujours partagé les mêmes analyses et les mêmes positions, en particulier sur la guerre de 1948, où il a combattu dans l’unité d’élite des Renards de Samson. Si Uri Avneri continue à considérer cette guerre comme une guerre de libération nationale, je suis quant à moi d’avis qu’il s’agissait d’une guerre coloniale d’épuration ethnique de la Palestine. De même, a-t-il appelé en 1967 à la conquête de Damas et quelques mois plus tard votait l’annexion de Jérusalem Est.
Depuis une vingtaine d’années nos points de vue se sont beaucoup rapprochés, et peu nombreux sont les sujets sur lesquels nos opinions divergent. Le positionnement sur la campagne BDS – Boycott, Désinvestissement, Sanctions – est l’un de ces sujets.
Dans une interview sur Arte, Uri explique qu’il est contre le BDS, et que celui-ci pousse les Israéliens modérés dans les bras de la droite. Il y aurait, selon lui, un réflexe d’auto-défense face à des pressions internationales, réflexe qui affaiblirait le mouvement contre l’occupation. Un argument similaire avait été utilisé par certains libéraux blancs en Afrique du Sud, contrecarré par les militants blancs de l’ANC qui ne cessaient de répéter « boycottez-nous! ».
Nous, militants de « Boycott de l’Intérieur » disons également, et sans hésitation aucune, « boycottez-nous! ». Contrairement à ce qu’affirme mon ami Uri Avneri dans le reportage d’Arte, nous pensons que des pressions – politiques, diplomatiques, économiques, sportives et culturelles – ne sont pas seulement un acte moralement juste, mais un moyen qui aide notre combat à nous, Israéliens, pour gagner l’opinion publique israélienne. Le BDS nous permet de montrer que les opinions publiques, voire certains Etats ou entreprises internationales, s’éloignent d’Israël, car celui-ci est devenu un Etat voyou qui ne respecte aucune règle du droit international. BDS nous permet de dire que pour regagner la sympathie du monde, il faut mettre fin à l’occupation coloniale et appliquer l’ensemble des résolutions des Nations Unies sur le conflit en Palestine.
KLP, la plus grand compagnie d’assurances norvégienne, vient d’annoncer qu’elle retirait ses investissements d’entreprises norvégiennes (HeidelbergCement et Cemex) qui participent à la main mise israélienne sur des carrières palestiniennes, violant ainsi la Quatrième Convention de Genève et la Convention de la Haye. Pour Uri Avneri, cette décision est une erreur. Il se trompe: c’est une des meilleures choses qui nous arrivent, à nous Israéliens, pour nous aider à sortir du sentiment d’impunité qui nous pousse inéluctablement vers le mur où nous nous massacrerons nous-mêmes. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre d’écouter les réactions hystériques de Benjamin Netanyahou et de certains de ses ministres.
Michel Warschawski pour le Courrier de Genève
NDLR : lire aussi à ce sujet l’article de Uri Avnery « BDS le nouvel ennemi’ sur le site de l’AFPS