Liliane Cordova Kaczerginski 26 août 2013
Entretien effectué à Madrid en 2012 avec Liliane Cordova Kaczerginski, membre fondatrice du Réseau Juif Antisioniste (IJAN).
Fille de survivants de la IIe Guerre Mondiale, Liliane Cordova Kaczerginski mène une lutte intense, tant sur le plan théorique de la recherche que dans la pratique, pour démasquer la véritable nature coloniale et excluante du projet sioniste de l’Etat d’Israël.
Sionisme, judaïsme, Israël… Ce sont des concepts qui sont souvent mélangés, est-ce par intérêt ?
Liliane Cordova Kaczerginski : Certains ne distinguent pas facilement ces concepts vu que le projet sioniste a été conçu et réalisé par des personnes juives. Mais le sionisme est une doctrine politique, tandis que le judaïsme est une religion, une culture et/ou une identité.
Comme de nombreuses autres doctrines, le sionisme se veut hégémonique et dans son cas cela concerne la communauté juive. En outre, dès que fut proclamé l’Etat d’Israël, ses dirigeants ont commencé à utiliser ces concepts de manière interchangeable. Ils parlent, par exemple, au nom de l’ensemble du peuple juif du monde alors qu’ils sont le gouvernement d’Israël, élu par les citoyens de ce dernier. La communauté juive en dehors d’Israël est bien plus importante et elle ne désigne ses représentants dans ce pays.
Parler au nom de tant de gens partout dans le monde, en soulignant leur lien ethnique avec les anciens hébreux – sans aucun fondement scientifique, comme le prouvent les historiens et les archéologues – en véhiculant ainsi une histoire vernaculaire qui remonte jusqu’à l’Ancien Testament, leur permet de construire un récit qui donne une légitimité au projet sioniste.
Pourquoi est-il nécessaire que les personnes juives se positionnent dans un groupe spécifique contre le sionisme, comme le fait le Réseau Juif Antisioniste (IJAN, pour ses sigles en anglais) au lieu de s’intégrer dans des organisations pro-palestiniennes déjà formées ?
Ce n’est pas nécessaire, mais c’est adéquat. Il y a des personnes juives qui ressentent la nécessité d’exprimer leur identité et qui sont horrifiées qu’on les confonde avec les criminels sionistes.
Le mouvement de solidarité s’enrichit quand il est pluriel. Il y a maintenant par exemple un collectif de jeunes arabes pour la Palestine qui s’est formé en France. En outre, l’apparent oxymore « juif antisioniste » a une charge puissante qui nous plaît.
Dans les années 1960, vous avez voyagé en Israël et pris conscience de la réalité de l’occupation et vous vous êtes positionnée contre le sionisme. Comment s’est passée cette expérience de rupture ?
Ce ne fut pas facile. Mettre en évidence la tromperie du récit sioniste, résumée par le slogan « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », fut traumatique. Je me suis sentie victime d’une manipulation, d’un abus.
La rupture sociale était inévitable, bien qu’heureusement je n’aie pas eu à souffrir d’une rupture familiale. Ce fut une période de dépouillement jusqu’à ce que je retrouve de nouvelles références et de nouveaux liens correspondants à une autre vision.
L’Holocauste est le grand alibi pour l’impunité d’Israël. Vous avez une lecture différente, comme vous l’avez exprimé dans un texte récent où vous comparez le soulèvement du Ghetto de Varsovie et le blocus de la Bande de Gaza.
Je préfère le terme plus large de « génocide » plutôt que « Holocauste », non pas pour adoucir sa nature atroce mais pour considérer également à leur juste place les génocides gitan, arménien, indo-américain et le lent génocide de la population palestinienne. Le génocide juif ne doit pas être isolé des autres génocides de l’histoire. L’éducation sioniste veut lui donner à tout prix une caractéristique spécifique afin qu’on ne le compare à rien d’autre du fait de sa cruauté et extension.
De cette manière, on culpabilise pour ce crime inégalable le monde entier, les arabes et, surtout, le peuple palestinien. Comme membres de l’IJAN, nous dénonçons le « plus jamais ça » seulement pour les nôtres et nous soutenons le « plus jamais ça » pour personne. En tous les cas, je dirais que le plus grand crime contre l’humanité a été la traite des esclaves africains qui duré pendant trois siècles et où près de la moitié de ces personnes mourraient avant d’arriver à destination.
Est-ce l’IJAN a une position définie sur le débat territorial de la Palestine : deux Etats, un israélien et l’autre palestinien ; un Etat binational ; un Etat unique… ?
En tant que groupe intégrant le mouvement international Boycott, Désinvestissements et Sanctions (BDS) contre l’Etat d’Israël, l’IJAN soutien les revendications du Comité National Palestinien pour le Boycott : le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et le respect du droit international.
En accord avec cela, Israël doit mettre fin à l’occupation et à la colonisation de toutes les terres arabes et démanteler le Mur ; il doit reconnaître les droits fondamentaux et l’égalité absolue des Palestiniens avec les Israéliens et, finalement, il doit respecter, protéger et favoriser le droit au retour des réfugiés palestiniens, comme l’établi la résolution n°194 des Nations Unies.
Quant à la perspective étatique, il n’y a pas une position unanime entre nous, mis à part que les droits inaliénables soient respectés. Ma vision personnelle est que l’autodétermination palestinienne ne peut être obtenue qu’avec le démantèlement de l’Etat sioniste israélien.
Quel rôle peut jouer un rôle spécifiquement juif comme l’IJAN dans la Campagne BDS contre Israël, surtout dans sa promotion parmi les personnes et les entreprises juives ?
Mon objectif politique n’est pas de « convertir » des personnes juives, en les « baptisant » aux droits humains universels, mais bien d’établir un débat afin de rendre visible les contradictions entre l’éthique et le régime colonial. Si ces personnes adhèrent en masse à la campagne BDS, à travers l’IJAN ou tout autre groupe, qu’il soit juif ou pas, cela voudra dire que nous serions déjà face à un mouvement massif intégré par des activistes de multiples origines qui sont indignés par le système oppressif qui nous régit au niveau global.
Près de huit ans après son lancement, où en est la Campagne BDS ?
Je suis impliquée dans cette campagne depuis ses débuts, en 2004, avec l’appel de la Campagne Palestinienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (PACBI), pour mener à bien un boycott universitaire. Nous sommes à une étape dans laquelle le mouvement commence à acquérir une légitimité face à l’évidente impunité d’Israël qui sabote depuis 20 ans les négociations avec l’OLP.
« L’heure sud-africaine » a sonné pour le mouvement de libération palestinien. La résistance populaire va à nouveau jouer un rôle primordial, ensemble avec les printemps arabes, contre les projets de normalisation du régime sioniste et de l’impérialisme destructeurs de l’unité régionale. L’isolement international du système institutionnel raciste d’Israël est un complément fondamental pour l’émancipation des peuples du contrôle colonial.
Source : https://www.diagonalperiodico.net/global/la-hora-sudafricana-ha-sonado-para-movimiento-liberacion-palestino.html
Traduction pour Avanti4.be : Ataulfo Riera