L’apartheid israélien perfectionné et durable

L’affirmation selon laquelle Israël pratique l’apartheid en Palestine occupée est combattue dans certains milieux sud-africains au motif que le système était unique à ce pays. Ils affirment que suggérer que l’apartheid pourrait être pratiqué ailleurs, c’est dénigrer la lutte des Sud-Africains contre cette politique pernicieuse.

Les arguments contre la description de l’occupation de la Palestine par Israël comme une forme d’apartheid sont également soulevés en Israël et dans les États-Unis de Trump pour des raisons très différentes.

À bien des égards, ces arguments sont similaires à ceux qui sont avancés contre le crime de génocide. De nombreux Juifs soutiennent que le génocide était propre à l’Holocauste et que cette tragédie est minimisée en appliquant le crime de génocide à d’autres situations.

Les arguments de ce type ne tiennent pas compte de l’évolution du droit international. Le génocide a été reconnu comme un crime international en 1948 dans la Convention sur le génocide qui stipule que le génocide doit être puni où qu’il se produise. L’apartheid a été reconnu comme un crime international en 1973 par la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, vigoureusement promue par l’ANC. En 1998, quatre ans après que l’Afrique du Sud soit devenue une démocratie, l’apartheid a été reconnu comme un crime international par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), avec le soutien actif du gouvernement Mandela.

Ainsi, l’apartheid est aujourd’hui reconnu comme un crime international défini comme la pratique d’actes inhumains par un groupe racial contre un autre groupe racial dans le but de maintenir la domination sur ce groupe et de l’opprimer systématiquement. La CPI examine aujourd’hui la pratique de ce crime par Israël, qui résulte de l’établissement d’un régime de colons israéliens en Palestine occupée et de ses politiques d’expulsion forcée des Palestiniens de leurs terres, de démolition de maisons, de torture, d’emprisonnement arbitraire, de refus de la liberté de circulation et autres. Il y a très peu de doute parmi les juristes du droit international que les actions d’Israël en Palestine occupée répondent aux exigences du crime d’apartheid.

Cette évaluation juridique ne satisfera ni les Sud-Africains qui croient que l’occupation par Israël de la Palestine est en deçà de la brutalité de l’apartheid en Afrique du Sud ni les critiques en Israël et aux États-Unis qui partagent ce point de vue, bien que pour des raisons différentes.

Inévitablement, la crédibilité de quiconque soutient que l’apartheid israélien rivalise avec celui de l’Afrique du Sud en termes d’intention discriminatoire et de brutalité sera remise en question. Pour ma défense, permettez-moi de dire que j’ai vécu l’apartheid dans les deux sociétés. En Afrique du Sud, j’ai dirigé le Centre d’études juridiques appliquées de l’Université du Witwatersrand, qui s’est engagé dans des activités de plaidoyer et de litige contre les lois de l’apartheid. J’ai été témoin direct du racisme et je suis intervenu en tant qu’avocat dans de nombreux procès d’opposants à l’apartheid. Plus tard, j’ai participé à la rédaction de la Déclaration des droits, qui a abouti à la Constitution de 1996.

Au cours des 40 dernières années, j’ai suivi les événements en Palestine, en tant que rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés pendant sept ans et en présidant deux enquêtes internationales sur la violation des droits humains dans ce pays. J’ai beaucoup voyagé en Palestine dans le cadre de missions des Nations unies.

24 février 2020 : De la fumée et des flammes s’élèvent dans le ciel nocturne après que des avions à réaction israéliens aient effectué des frappes aériennes sur Gaza. (Photographie d’Ali Jadallah/ Agence Anadolu via Getty Images)

Bien sûr, il y a des différences entre l’apartheid en Afrique du Sud et en Palestine. La plus grande différence et celle qui est le plus souvent invoquée par les apologistes d’Israël est que l’Afrique du Sud était un territoire où une minorité blanche opprimait une majorité noire. La Palestine, d’autre part, est un territoire séparé d’Israël – même s’il est occupé par l’armée israélienne. Ils poursuivent en affirmant qu’Israël ne revendique aucune souveraineté (sauf sur Jérusalem-Est) et que la terre sera rendue à la Palestine après un accord de paix satisfaisant. En vérité, cette description de la situation ne tient pas compte du fait que cette occupation, vieille de 53 ans, est à toutes fins utiles permanente.

Israël ne montre aucune intention de quitter le territoire et a de facto annexé une grande partie de la Cisjordanie pour construire des colonies israéliennes et maintenir des zones militaires. L’occupation est devenue une feuille de vigne pour la colonisation et l’apartheid, nombre de ses politiques et pratiques ressemblent à celles du régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. Ces similitudes montrent clairement que l’on a affaire au même crime – l’apartheid.

L’une des caractéristiques cardinales de l’apartheid sud-africain était la fragmentation territoriale, avec quatre États bantoustans supposés indépendants et six territoires non indépendants mais autonomes. La Palestine est également fragmentée sur le plan territorial. Le territoire est divisé en trois parties : Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est. La Cisjordanie est en outre divisée en trois zones, les forces d’occupation israéliennes se voyant attribuer des pouvoirs étendus mais variables sur chacune d’entre elles. En outre, des points de contrôle militaires, des colonies israéliennes illégales et un mur illégal construit par Israël en Cisjordanie divisent le territoire en cantons séparés autour des villes principales.

27 décembre 2019 : les forces israéliennes dispersent les manifestants palestiniens pendant la « Grande Marche du Retour » à la frontière entre Israël et Gaza, à l’est de la ville de Khan Yunis dans la bande de Gaza. (Photographie par Ashraf Amra/ Agence Anadolu via Getty Images) 

L’apartheid « arbitraire » d’Israël

Dès le début de la colonisation blanche en Afrique du Sud, les régimes européens successifs se sont emparés des terres les plus fertiles pour l’agriculture et les meilleures zones pour l’occupation résidentielle. Des centaines de milliers d’Africains ont été déplacés de force de leurs maisons ancestrales vers ce qu’on appelle des réserves africaines. Des milliers de Noirs ont été déplacés des banlieues des villes vers les zones périphériques en vertu de la fameuse loi sur les zones réservées [Group Areas Act :https://fr.wikipedia.org/wiki/Group_Areas_Act].

Les Palestiniens ont subi un sort similaire aux mains d’Israël. Des milliers de personnes ont été déplacées de force pour faire place à la construction de plus de 130 colonies israéliennes, accueillant plus de 700 000 colons, et d’un mur qui, en fait, prend un dixième de la Cisjordanie pour Israël. Tout comme en Afrique du Sud, ce déplacement s’est accompagné de la destruction de maisons. Israël est cependant allé plus loin en exigeant la destruction du domicile familial de tout Palestinien qui prend les armes contre l’occupant.

Le système des lois qui obligent les Africains à porter des documents d’identité les autorisant à se trouver dans les zones urbaines est reproduit dans les territoires occupés. Les Palestiniens sont tenus d’avoir des permis pour se déplacer en Palestine et pour travailler en Israël. Les restrictions de mouvement sont appliquées par des points de contrôle militaires, certains permanents, d’autres érigés arbitrairement. Les files d’attente aux points de contrôle rivalisent plus que celles des bureaux du commissaire bantou d’Afrique du Sud.

Le pire, c’est que le système israélien se caractérise par son arbitraire. Comme les lois votées par l’Afrique du Sud, ces restrictions sont à la fois sévères et humiliantes. Là encore, les restrictions israéliennes surpassent celles de l’Afrique du Sud. Il y a des routes séparées pour les colons et les Palestiniens, par exemple. Et un mur a été construit sur plusieurs centaines de kilomètres à l’intérieur du territoire palestinien, séparant les Palestiniens et les colons israéliens et servant de barrière presque insurmontable à franchir.

La ségrégation était la prémisse de base de l’apartheid sud-africain. Il en va de même avec la Palestine occupée. Les 700 000 colons israéliens vivent dans des colonies et des avant-postes séparés dans lesquels les Palestiniens ne sont admis qu’en tant que travailleurs. La ségrégation est plus complète qu’elle ne l’a jamais été en Afrique du Sud.

Enfin, il y a l’application de la loi. La détention sans procès, la torture et les procès devant des tribunaux militaires dépassent de loin l’appareil de sécurité de l’apartheid sud-africain par leur brutalité et leur arbitraire. En outre, les actions des forces de sécurité israéliennes en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et particulièrement à Gaza ont entraîné plus de morts et de dévastations que jamais infligées par les forces de sécurité sud-africaines.

L’apartheid israélien est-il pire que celui de l’Afrique du Sud ? Il n’y a guère d’intérêt à poursuivre cette question. L’apartheid sud-africain était mauvais, tout comme celui pratiqué par Israël dans le territoire palestinien occupé. Et Nelson Mandela avait raison de dire : « Nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens. »

6 février 2020 : Des Palestiniens observent les dégâts après que les frappes aériennes israéliennes ont touché le système de drainage des eaux de pluie du camp Al-Shati dans la ville de Gaza. (Photographie d’Ali Jadallah/ Agence Anadolu via Getty Images)

John Dugard SC, professeur émérite de droit, universités de Leiden (Pays-Bas)et du Witwatersrand (Afrique du Sud ), ancien juge ad hoc de la Cour internationale de justice.

Par John Dugard, 8 octobre 2020

traduction GD pour l’Agence Media Palestine

Source: NewFrame