29 juillet 2023
Par Nancy Murray
Le livre de James Fergusson nous fait découvrir l’hydropolitique de la domination israélienne sur les ressources en eau palestiniennes, de la Cisjordanie à Gaza, en passant par la Palestine de 1948.
IN SEARCH OF THE RIVER JORDAN
L’histoire de la Palestine, d’Israël et de la lutte pour l’eau
par James Fergusson
293 p. Yale University Press, New Haven/Londres (2023), $30.
James Fergusson, journaliste et auteur britannique de renom, titulaire d’une maîtrise en hydrogéologie, sait comment raconter une histoire et tisser un récit captivant en s’appuyant sur les voix du terrain. In Search of the River Jordan, son septième livre, est une enquête sur l’inégalité de l’eau en Israël-Palestine, écrite dans le style d’un récit de voyage souvent passionnant.
Avant d’entreprendre ses voyages à travers la bande de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem, les hauteurs du Golan riches en eau (convoitées par les sionistes depuis le début du XXe siècle) et l’État d’Israël de 1948, qui se déroulent en plusieurs étapes dans une période de trois ans, il est pleinement conscient de la « disparité flagrante de l’accès à l’eau ».
En effet, les Israéliens disposent en moyenne de 240 litres d’eau douce par habitant et par jour, tandis que les Palestiniens disposent en moyenne de 72 litres par habitant, ce qui, dans certaines régions, ne représente que 25 litres par jour (bien en deçà du minimum de 50 à 100 litres requis par l’OMS pour garantir la satisfaction des besoins fondamentaux).
Comment en est-on arrivé à ce point ? Et quelles sont, se demande Fergusson, « les perspectives de rétablir un semblant d’égalité dans l’accès à l’eau » ?
Fergusson déclare d’emblée : « Ce livre n’est pas une énième dénonciation d’inspiration libérale du sionisme ». Arrière-arrière-petit-neveu d’Arthur Balfour, le ministre britannique des affaires étrangères qui, en 1917, a promis aux Juifs un « foyer national » en Palestine, il ne cache pas les liens qu’il a longtemps entretenus avec Israël et cherche à comprendre pourquoi « les Palestiniens, ainsi que leurs soutiens à l’étranger, accusent Israël de ‘militariser’ l’eau », alors que “les Israéliens nient le fait ».
Que trouve-t-il ?
Il est contraint d’admettre que « dans de nombreux endroits, l’eau semblait effectivement avoir été militarisée », comme l’accusent les critiques.
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Oui, la technologie de l’eau d’Israël est « véritablement impressionnante ». Mais « la réussite d’Israël a été fondée sur plusieurs décennies d’oppression de ses voisins. Un peuple a été cruellement déplacé et ses terres expropriées, de même que ses rivières et les eaux souterraines sous ses pieds, une accumulation de ressources qui a rendu possible le surplus d’eau actuel d’Israël et sans laquelle la révolution technologique de l’eau n’aurait jamais eu lieu ».
Tout au long du livre, ce qu’il appelle sa prédisposition à l’égard d’Israël semble considérablement se dégonfler. Si, comme il l’écrit, « l’espoir de Balfour – sa compréhension – était que la terre, ainsi que ses ressources, seraient équitablement partagées dans un esprit de respect mutuel entre voisins », les faits sur le terrain montrent un résultat absolument différent.
Lorsque Fergusson vfinit par retrouver le monument vandalisé de Blanche « Baffy » Dugdale, son arrière-grand-mère sioniste – nièce de Balfour et sa biographe – que Ben-Gourion avait comparée à la Déborah biblique, il y voit « un signe de la dérive du projet sioniste » et admet que « l’Israël moderne m’inquiète certainement ».
Et cela devrait troubler les lecteurs de ce livre très instructif qui auraient pu être attirés par son assurance qu’il ne s’agissait pas d’une « polémique libérale ».
Gaza : la pire crise de l’eau de la région
Son récit commence par sa visite dans la bande de Gaza en 2018-19, qui, écrit-il, ressemble à un « camp de prisonniers » et à une « catastrophe en gestation ». Il passe une semaine à s’entretenir avec des hydrologues, des responsables municipaux et des habitants, notamment des femmes qui passent les deux tiers de leur temps à chercher un accès à l’eau lorsque, comme pendant la période où il se trouve sur place, l’électricité est limitée à quatre heures par jour.
Son guide, Ahmad Yaqubi, ingénieur hydrologue et ancien directeur général de l’Autorité palestinienne de l’eau, l’emmène voir « une zone de catastrophe environnementale » où les eaux usées se déversent sur les plages parce qu’il n’y a ni électricité ni carburant pour faire fonctionner les stations d’épuration.
Il constate que le blocus, la liste israélienne des produits interdits à « double usage » et la nécessité d’attendre plus de six mois pour que les produits chimiques soient autorisés à entrer sur le territoire empêchent même des projets internationaux coûteux comme la nouvelle station d’épuration d’urgence du nord de Gaza de fonctionner correctement, menaçant la santé non seulement des Palestiniens, mais aussi des Israéliens lorsque les eaux usées non traitées de Gaza s’écoulent vers le nord.
Avant de partir, il assiste à l’une des manifestations de la Grande Marche du Retour, qu’il décrit en termes saisissants.
Les tireurs d’élite israéliens qui visent régulièrement les genoux des jeunes garçons le terrifient et il se demande « jusqu’à quel point faut-il être désespéré pour risquer la mort dans une protestation politique sans effet ? » .
Sa description de ce que les habitants de Gaza sont obligés d’entreprendre pour faire face à la pénurie désastreuse d’eau potable, à la malnutrition et aux maladies résultant du blocus, à la destruction des vies, des moyens de subsistance et des infrastructures causée par les bombardements fréquents d’Israël, tout cela s’ajoute à la « folie » d’une politique pour Gaza.
Au-delà de l’horreur, Fergusson est un rare journaliste occidental qui voit aussi en Gaza « un endroit débordant de potentiel ». Il fait allusion à la modification de la charte du Hamas en 2017, et se demande si le Hamas veut vraiment détruire Israël, affirmation qui est constamment faite pour maintenir le blocus en place.
Cisjordanie : l’eau transformée en arme
La suite de son récit le conduit en Cisjordanie. Fergusson, qui espérait parcourir les 155 miles du Jourdain, découvre qu’Israël en a fait une zone militaire fermée et que les 300 000 mines qu’il a posées après avoir chassé l’armée jordanienne en 1967 sont encore en grande partie en place.
Au lieu de faire une randonnée tranquille depuis le point d’arrivée de la mer Morte (qui se rétrécit considérablement), il observe des touristes américains se faire baptiser dans une zone sans mines de ce qui semble être un « fossé » crasseux où les pèlerins « semblaient aussi susceptibles d’ingérer de l’Escherichia coli qu’une dose de rédemption céleste ».
Il se rend au nord de la vallée du Jourdain et décrit comment le forage de puits profonds par Mekorot (le transporteur national d’eau israélien, fondé en 1937 et entièrement opérationnel en 1964) détruit les sources palestiniennes telles que Al-Auja, tandis que les Palestiniens se voient interdire de forer de nouveaux puits ou de réparer les anciens, et que les agriculteurs qui ne peuvent plus fournir d’eau à leurs troupeaux sont contraints de quitter leurs terres.
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Dans le village de Bardala, au nord de la vallée du Jourdain, une ancienne communauté qui a un statut inhabituel de zone A post-Oslo – et qui est donc techniquement sous l’administration de l’Autorité palestinienne – le système d’approvisionnement en eau de Mekorot, qui dessert les colons israéliens, traverse la ville de part en part.
L’armée israélienne effectue de temps à autre des raids dans le village pour confisquer les tuyaux d’arrosage et d’autres équipements lorsque les habitants se branchent sur la canalisation de Mekorot.
Une indication de l’étendue de ses recherches est sa mention de l’Alliance pour la justice de l’eau en Palestine, basée à Boston, en tant qu’organisation qui fait connaître les luttes pour l’eau de Bardala.
Mekorot, écrit-il, est associée « au sionisme lui-même, ce qui en fait une entreprise de distribution d’eau au statut très particulier ; une entreprise qui, aux yeux de nombreux Israéliens, est littéralement engagée dans une mission sacrée ».
Son rôle prépondérant dans le vol de l’eau palestinienne et l’impact désastreux des accords d’Oslo, en vertu desquels un comité conjoint de l’eau a été créé en 1995 – donnant à Israël un droit de veto sur toutes les décisions palestiniennes en matière d’eau – figurent tout au long de l’exploration par Fergusson de la crise de l’eau dans les villages isolés près de Naplouse, Ramallah (siège de l’Autorité palestinienne, corrompue et fortement contestée), Bethléem, Al-Walaja, Battir, Qalqilya et la ville perchée de Rawabi, construite par Bashar al-Masri et qui se donne des allures de colonie juive.
Le vol de l’eau est à la base de la « réussite » israélienne
Fergusson consacre la deuxième partie du livre à Israël lui-même et au rôle que joue l’eau dans sa mythologie, son histoire et sa politique hydrique actuelle. Son ton est à la fois admiratif et critique, contrairement à l’enthousiasme débridé qui imprègne l’ouvrage très remarqué de Seth Siegel, Let there be water : Israel’s solution for a water-starved world (2015).
Fergusson entend des responsables de l’eau et des agriculteurs israéliens, expliquer à quel point le contrôle de l’eau est fondamental pour la mission sioniste.
Il visite les installations qui témoignent de l’innovation d’Israël en matière d’eau – ses usines de recyclage des eaux grises et d’irrigation au goutte-à-goutte, ainsi que la secrète station de pompage souterraine de Sapir, en Galilée.
Il voit comment l’irrigation – refusée à une cinquantaine de villages bédouins « non reconnus » qu’Israël s’acharne à anéantir – a transformé certaines parties du désert du Néguev (Naqab) conformément à la vision de Ben-Gourion.
Il mentionne que l’un de ces villages, Al Araqeeb, a été démoli par l’armée israélienne pour la 209e fois en novembre 2022 (il a été détruit au moins 218 fois à ce jour).
Il visite également Sorek, l’une des cinq gigantesques usines de dessalement côtières d’Israël, qui produit aujourd’hui plus de 80 % de l’eau du robinet.
Il s’étonne qu’Israël dispose aujourd’hui d’un important excédent d’eau. Pourquoi, demande-t-il à un responsable de l’eau, n’en met-il pas davantage à la disposition des Palestiniens, « qui, depuis les accords d’Oslo, n’ont accès qu’à 20 % de l’eau en Cisjordanie, alors qu’Israël contrôle le reste ? Qu’en est-il de la catastrophe en cours à Gaza ? Pourquoi refuse-t-il même aux Palestiniens de réparer leur réseau d’eau délabré sans l’autorisation d’Israël ? »
Autant de questions auxquelles les guides israéliens de Fergusson n’ont pas apporté de réponses satisfaisantes. Elles troublent le personnel de l’Institut Arava pour les études environnementales, qui a été créé après Oslo pour montrer comment la coopération en matière d’eau et d’environnement, comme le projet d’adduction d’eau de mer entre la mer Rouge et la mer Morte, aujourd’hui au point mort, pourrait, selon les termes de sa directrice associée Shira Kronich, « contribuer à une solution à deux États ».
Fergusson considère lui aussi l’eau comme le facilitateur d’un avenir à deux États. Il déclare : « Israël est finalement confronté à un choix. Il peut soit poursuivre sa politique de domination sur les Palestiniens, avec toute la misère qu’elle engendre et toute l’insécurité intérieure qu’elle entraîne, soit commencer à envisager son avenir en termes de partenariat véritable : en d’autres termes, prendre au sérieux la solution des deux États. Et un nouveau règlement dans le secteur de l’eau pourrait être un excellent point de départ. »
Compte tenu de tout ce qu’il a vu sur le terrain, le plaidoyer de M. Fergusson en faveur d’un avenir à deux États dans lequel l’eau serait équitablement partagée semble arriver des décennies trop tard, et est plus un hommage à sa vision idéalisée et dénuée de politique de ce qu’était la déclaration Balfour qu’une ligne de conduite pratique à suivre dans les conditions actuelles.
Mais cela n’enlève rien à l’importance de son livre, qui a le potentiel d’attirer et d’éduquer un large public sur ce que le sionisme a signifié pour les Palestiniens et sur l’impact des pratiques d’apartheid d’Israël. Bien qu’il n’utilise pas personnellement le mot « apartheid », celui-ci est mentionné à de nombreuses reprises dans les interviews qu’il accorde.
Il termine par cet avertissement :
« La crise de l’eau en Palestine ne disparaît pas, elle s’aggrave. La nature a sa propre façon de parler et n’attendra pas. La technologie peut faire des merveilles, mais ces merveilles risquent de ne pas durer longtemps si elles ne sont pas étayées par un règlement fondé sur les droits, y compris la restitution aux Palestiniens du droit le plus important de tous, le droit humain à l’eau. »
Compte tenu du rapport de force si grossièrement inégal, il place la balle fermement dans le camp israélien.
23 juillet 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine