Richard WAGMAN
Président d’honneur
UJFP (Union juive française pour la paix)
17/03/10
« Cette contribution est en réponse à un article publié dans la rubrique Rebonds de Libération le 16/03/10, intitulé « CRIF : en finir avec les fantasmes ». Il a été signé par Richard Prasquier, Président du CRIF (Conseil représentatif des instituions juives de France). Libération a refusé de publier la réponse ci-dessous. »
Ce flot de paroles polémiques vient en réaction à un article paru le 17 février 2010 dans Libération, intitulé « Le CRIF, vrai lobby et faux pouvoir ». Ce papier est signé Esther Benbassa, Directeur d’études du Judaïsme moderne à l’École pratique des hautes études (La Sorbonne). Le professeur Benbassa y émet des critiques certes polémiques mais pertinentes sur le rôle actuel joué par le CRIF, institution qui a vu le jour après la Seconde guerre mondiale pour représenter les intérêts des Juifs français rescapés du génocide hitlérien. Dans sa réponse indignée, M. Prasquier rejette d’un revers de la main l’idée que l’action actuelle du Conseil qu’il préside puisse alimenter l’antisémitisme dans ce pays. Les propos de M. Prasquier révèlent une confusion à laquelle il convient de mettre fin tout de suite. Une fois de plus, il ose dire « Le CRIF – entendez les juifs ». Soyons clairs : le CRIF est certes représentatif d’un courant d’opinion politique au sein de la communauté juive française, mais sans plus. Il représente entre 15 et 20% des Juifs français si on tient compte du nombre de familles membres des associations affiliées à ce Conseil. Et encore, l’ensemble de ces citoyens juifs, se retrouve-t-il forcément dans certaines déclarations controversées du CRIF ? J’écris ces lignes en ma qualité de Président d’honneur d’une association qui regroupe des personnes qui, comme environ 80% de mes compatriotes de confession ou de culture juive, ne sont pas membres du CRIF. Si ce Conseil représente quelque chose, il ne représente pas les Juifs français dans leur ensemble, loin s’en faut. Cette dispute, en apparence judéo-judaïque, devient franco-française, engageant l’ensemble de nos concitoyens dans une réflexion plus large sur les phénomènes du communautarisme et de la représentativité.
Certains détracteurs du CRIF pourfendent le silence assourdissant de cette institution face à la politique du gouvernement français que Mme Benbassa qualifie « d’antimusulmane ». En évoquant ce thème, on pense spontanément aux controverses autour des restaurants hallal, du port de la voile, de celui de la burqa ou encore le débat nauséabond sur l’identité nationale organisé par Eric Besson et Nicolas Sarkozy. À ces controverses, il faut aussi ajouter la traque des sans papiers, les rafles aux faciès effectuées actuellement par la police française, les sinistres centres de rétention et la reconduite à la frontière des immigrés du Maghreb, de l’Afrique sub-saharienne ou encore des réfugiés afghans, dont la presque totalité est musulmane. Dire comme M. Prasquier que le fait d’évoquer une « politique antimusulmane » relèverait de la diffamation contre le gouvernement Fillon-Sarkozy en dit long sur les orientations politiques du CRIF. Avec la mémoire historique qui est la nôtre et en sachant de quoi la police française est capable, ensemble avec de nombreux citoyens juifs, l’UJFP (Union juive française pour la paix) a participé à plusieurs manifestations en faveur des droits des immigrés, réfugiés, travailleurs sans papiers et enfants scolarisés dont les parents sont en situation irrégulière. Le CRIF, quant à lui, a brillé par son absence lors de ces mobilisations citoyennes. Chacun peut apprécier de quel côté le CRIF se penche et ce qu’il représente réellement.
Là où les critiques sont les plus percutantes est sans doute dans le domaine du conflit israélo-palestinien, à propos duquel Mme Benbassa se demande si le CRIF serait le porte-parole des Juifs français ou plutôt celui de l’État d’Israël. Dans son article indigné dans les pages de Libération, le Président du CRIF parle des Territoires qu’Israël occupe « illégalement », les guillemets étant ceux de Richard Prasquier. Ces guillemets sont plus parlants que le mot qu’ils entourent, car M. Prasquier n’a jamais manqué une occasion de défendre l’indéfendable en justifiant l’occupation israélienne, pourtant clairement illégale au vu du droit international. Le Mur, les colonies, les barrages militaires en Cisjordanie, le blocus contre Gaza, les incursions incessantes de l’armée d’occupation, les bombardements et les mille et une humiliations infligées contre la population civile palestinienne : rien n’est trop répressif pour le président du CRIF. En plein pilonnage de la Bande de Gaza où plus de 1 400 Palestiniens ont perdu la vie en janvier 2009 (contre une dizaine d’Israéliens, essentiellement des soldats), plusieurs organisations juives en France ont rejoint les associations de la communauté arabe, celles de défense des droits humains, des syndicats et des partis politiques en manifestant dans plusieurs villes françaises pour dénoncer la répression israélienne. Il y avait notamment l’UJFP, Une Autre Voix Juive, l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, l’IJAN (Réseau juif international antisioniste), les Israéliens contre l’Occupation (un groupe d’expatriés israéliens installés à Paris) ainsi que les militantes du collectif des Femmes en Noir, créé à l’appel des Femmes en Noir de Jérusalem. Et pendant ce temps, où était le CRIF ? Devant l’ambassade d’Israël à Paris, où il a organisé son propre rassemblement. Pas contre l’offensive « Plomb durci » qui a tant indigné nos concitoyens, mais pour soutenir les frappes israéliennes ! Et pourtant, dans les pages de Libération le 16/03/10, M. Prasquier ose prétendre que le CRIF se situe dans le « camp de la paix durable » (sic). Chacun appréciera.
Elles sont tout à fait pertinentes, ces critiques du professeur Benbassa, des associations juives pacifistes, des organisations juives qui luttent avec la même énergie contre l’antisémitisme et l’islamophobie et plus généralement de bon nombre des 480 000 Juifs français qui ne sont pas membres du CRIF. Un Conseil qui représenterait réellement les intérêts de la population juive comme citoyens responsables dans une république laïque et respectueuse des droits, pourquoi pas ? Mais un Conseil qui se fait le porte-parole officieux d’Eric Besson, de Nicolas Sarkozy ou de Benyamin Nétanyahou, nous n’en avons pas besoin.
Richard WAGMAN
Président d’honneur
UJFP (Union juive française pour la paix)
17/03/10