L’anniversaire de la création d’Israel : Célébrer et continuer la conquête

L’anniversaire de la création d’Israël est en passe de devenir une célébration internationale. Par exemple un défilé est organisé le 1e juin prochain au coeur de Manhattan portant des bannières de grands portraits d’Israéliens anonymes ou célèbres, surmontés du titre : « visages d’Israël ». La volonté des organisateurs est d’affirmer que la société israélienne « …est une société similaire en de nombreux aspects à celle de New York – une fascinante combinaison d’immigrants qui sont venus ensembles pour créer une société aux facettes multiples. C’est l’histoire d’Israël ».

Cependant, dans la liste de portraits l’unique arabe israélien comme ils les appellent sera Rania Jubran, une diplomate. (Israël conquiert la 5e avenue : Ynet 21 avril 2008) La Russie a prévu d’être de la fête aussi avec un grand festival culturel destiné à célébrer la naissance d’Israël. Salons du livre, expositions, et événements festifs de toute sorte s’organisent dans tous les pays d’Europe.

Ce qui donnerait le meilleur contrepoint à ce concert mondial, c’est un double petit événement qui s’est passé en Israël dans la nuit du 24 avril et reporté par Haaretz.

Quelques anarchistes contre le mur, accompagnés par un journaliste ami et sympathisant ont été « tagguer » à Jaffa, contre le défilé de commémoration de la… conquête de la ville en 48 programmé le lendemain par un groupe de droite le Etzel.

Arrêtés par la police au milieu de la nuit ils sont emprisonnés. Dans la même nuit d’autres anarchistes contre le mur informés de l’arrestation s’emparent avec leurs amis palestiniens d’un avant-poste de colonie « légale » synagogue plantée sur une colline et que les colons n’occupent pas encore jour et nuit. Ils grimpent sur le toit, décrochent le drapeau israélien et le remplacent par le drapeau palestinien. Les colons alertés arrivent de toute part. La bataille rangée commence colons contre colonisés et anarchistes. L’armée arrive et disperse les anarchistes contre le mur et les Palestiniens à coup de balles en caoutchouc.

Quelques éléments à tirer de cet événement presqu’anecdotique :

1 – Il s’agit en Israël de commémorer la conquête en faisant fi de toutes les violences qu’elle a causé, les centaines de milliers de palestiniens chassés, leurs biens détruits ou appropriés, des centaines de milliers puis des millions de Palestiniens en exil dans des camps de réfugiés, qui paient jusqu’ aujourd’hui le prix de cette injustice. Eux qui vivent au Liban, en Syrie, en Jordanie, dans les Territoires palestiniens occupés, en Israël même comme « citoyens », n’existent pas et continuent d’être effacés des mémoires, de l’histoire, du présent. Ils devraient subir cette célébration de leur conquête et de leur dépossession en veillant à ne pas gâcher la fête. Tout cela dans un contexte non pacifié par un règlement du conflit, dans le respect du droit, ou une quelconque reconnaissance des torts causés, mais qui se caractérise au contraire par l’aggravation du sort des réfugiés du Liban, des Palestiniens, des TOP et de la Bande de Gaza, et une remise en question permanente des droits des citoyens palestiniens d’Israël.

2 – La conquête n’est pas achevée et il s’agit de la continuer, exactement comme le confiait Sharon en novembre 2001 au journal Haaretz : « La guerre d’Indépendance n’est pas terminée. Non. 1948 n’était qu’un chapitre. » Et il annonçait une seconde étape de colonisation d’au moins 50 ans. Ces deux phrases il les a martelées en Israël et dans toutes ses visites à l’Etranger.

Les frontières d’Israël qui n’ont jamais été fixées, sont en train d’être dessinées dans le sang et par la force, au mépris de toutes les lois, par le plus fort, contre le plus faible. Retrait unilatéral de Gaza qui fixe la frontière sud ? Mais l’armée israélienne conserve le contrôle terrestre, aérien et maritime de toute la bande de Gaza et le gouvernement y a établi depuis des mois un siège ignoble qui affame toute la population, hommes femmes et enfants, un million et demi d’habitants.

En Cisjordanie, la colonisation se poursuit sans répit, et le mur réalise les enclaves prévues par le plan Sharon. Des gouvernements européens comme l’Allemagne ou le Japon financent déjà la construction de zones industrielles côté israélien du mur en face des enclaves, participant activement à leur Banthoustanisation. Ces enclaves constituent ainsi des réserves de travailleurs dont on imagine les droits. Devant Kalkylia, ville de 40 000 habitants complètement encerclée par le mur, la porte de la prison s’ouvre une demi heure le matin pour laisser sortir de la ville les travailleurs prisonniers, et elle se rouvre une demi heure le soir pour les laisser rentrer dans leur ville dortoir. Mais si vous dites Apartheid vous exagérez et vous êtes antisémite.

3 – Les commémorations internationales et nationales de la création d’Israël constituent ainsi une véritable opération de blanchiment de l’histoire telle qu’elle s’est passée : Il s’agit d’effacer de nier la Naqba palestinienne, l’expulsion massive 750 000 personnes, les massacres de Deir Yacine près de Jérusalem, de Tantoura près de Haïfa, de Dawaimeh, près de Hébron en 1948, puis de Kafr Kacem en 1956, et la seconde expulsion à l’occasion de la guerre de 67 d’encore 300 000 personnes.

Oublier les expropriations de terres massives entre 47 et 49, celles des pourchassés qui se sont réfugiés dans les pays voisins mais aussi les terres des « présents-absents » (grâce à la loi éponyme qui exproprie tous ceux qui ont fui leurs villages sans pour autant quitter Israël, mais ne pouvaient être « présents » et pour cause, sur leurs terres et propriétés au moment défini par la loi. De tout cela il ne sera pas question. Après les historiens palestiniens, mais eux n’ont pas été entendus, les nouveaux historiens, dès l’ouverture des archives de 48 (notamment celles de l’armée) ont confirmé les faits, Ilan Pappe entre autres relate dans son dernier ouvrage « Le nettoyage ethnique de la Palestine » (Fayard 2008) – avec minutie l’application du plan Daleth, l’expulsion organisée et planifiée. Une terre sans peuple pour un peuple sans terre. C’est ce qui était nécessaire, dans la logique sioniste au moment du vote de la partition en 47 et c’est donc ce qu’il fallait fabriquer.

Ne pas reconnaître ce passé, imposer la pérennité de la mythologie sioniste sur l’histoire c’est installer durablement toute la société israélienne dans un déni de la réalité et une autojustification des crimes dont on ne peut mesurer les conséquences qu’avec frayeur.

La première de ces conséquences est l’incompréhension totale du présent. Que de fois n’est-on surpris d’entendre justifier les crimes d’aujourd’hui par une position de victime, où l’agresseur est présenté comme celui qui se défend pour survivre à l’extermination.

4 – Ces commémorations veulent aussi blanchir le présent : celui de la colonisation qui continue, qui n’a jamais cessé, de la destruction de l’économie et de la société palestinienne, des milliers de prisonniers, des milliers de civils désarmés tués dans les TOP, de l’ignoble siège d’un million et demi de civils sans défense à Gaza. La politique de plus en plus ouvertement discriminante à l’égard des palestiniens d’Israël. C’est tout cela que la célébration israélienne passe à la lessiveuse, entérinant la morbidité d’une société élevée dans le déni de sa propre histoire et de son présent et l’angoisse fabriquée de l’anéantissement, nécessaire car c’est cette angoisse qui permet de tout justifier, et de tolérer l’intolérable.

L’active complicité de la plupart des gouvernements européens et de celui des Etats-Unis dans cette grande opération de blanchiment révèle à la fois combien l’idéologie sioniste qui s’est appuyée sur les conséquences de l’antisémitisme européen qu’elle a érigées en chantage permanant a réussi, et combien les « démocraties » néolibérales d’aujourd’hui engagées dans la destruction de tous les droits humains, sociaux, politiques, économiques, dans la destruction de l’environnement et la recolonisation de zones énormes du monde, se reconnaissent dans un tel modèle.

Sans abris, sans papiers, sans travail, sans sécu, sans retraite, les sans voix, les sans droits abondent aujourd’hui dans nos sociétés et se multiplient, la figure du Palestinien n’est-elle pas le parfait modèle de ce dénuement ? L’effacer, le nier, c’est nier pour ces gouvernements scélérats leurs propres oeuvres quotidiennes, les rendre invisibles. Admirer la force du plus fort, le laisser frapper et frapper encore, et dicter l’histoire comme il édicte le présent, c’est ce que le néolibéralisme veut nous imposer : Une épouvantable régression, la fin du droit international, la fin des droits tout court. Les prestations récentes du président français en Chine et en Tunisie le montrent, dans leur monde il n’y a pas de place pour les droits humains. Panem et circenses ? Les émeutes de la faim qui se multiplient dans le monde montrent qu’il n’y aura pas de pain pour tout le monde.

La volonté d’effacement des Palestiniens constitue le principal enjeu de la fête, avec la célébration par l’Occident du modèle qu’il a largement contribué à forger et qu’il revendique aujourd’hui comme universel : Apartheid, négation de l’autre, écrasement du droit par la force.

Célébrer cela ? Sûrement pas. La voix palestinienne doit être portée haut et fort dans le monde avec tous ceux qui refusent le négationnisme dans tous ses aspects, et qui refusent le projet de société d’un Bush ou d’un Sarkozy… Les quelques dizaines de jeunes anarchistes israéliens contre le mur, bien qu’élevés dans la mythologie sioniste, ont réussi à ouvrir les yeux sur l’autre, le camarade palestinien colonisé, et ils ont choisi leur camp : celui d’un Avenir avec les Palestiniens sans murs, dans l’égalité la dignité et le respect. C’est ce programme qui doit être célébré, parce que c’est la seule perspective d’avenir pour cette région, et pour nous tous où que nous vivions.

Michèle Sibony
3 mai 2008

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