Par Ziad Medoukh.
Une nouvelle année qui s’écoule, et une autre qui commence. Mais pour toute la population civile dans la bande de Gaza-une région enfermée et isolée, une enclave côtière laissée à son sort depuis plus de treize ans- trois questions lancinantes se répètent au début de chaque nouvel an : Où est le changement ? Jusqu’à quand ? Il est où le monde qui se dit libre ?
Car depuis plus de treize ans, et au début de chaque année, les habitants de la bande de Gaza forment le vœu d’un changement de leur situation marquée par la souffrance, le maintien du blocus israélien inhumain, la poursuite des attaques israéliennes contre leur prison à ciel ouvert, et leur isolement dans une région abandonnée.
Même si au début de cette année 2020, les Palestiniens de Gaza ont subi des bombardements israéliens intensifs, ils essaient d’oublier leur année précédente, une année terrible et chaotique.
A part un petit espoir qui raccroche cette population à la vie et à l’avenir, rien ne semble avoir changé durant toute l’année 2019 pour plus de deux millions de citoyens. Au contraire, cette dernière année, tout est allé de pire en pire. Et je dis ici un « petit espoir » parce que le mot espoir est devenu un luxe à Gaza.
Oui, c’est inimaginable que l’on puisse acculer un peuple, tout un peuple, à un tel désespoir.
Les deux événements qui ont dominé en 2019, c’est d’abord la poursuite de la Grande Marche du retour commencée le 30 mars 2018. Elle entre dans sa deuxième année, en mars prochain. Malgré la décision des organisateurs de la rendre mensuelle à partir de cette année 2020, cette marche a confirmé que seule la mobilisation populaire pourra défier les forces de l’occupation et nous permettre d’obtenir nos droits normalement garantis. Et le second point marquant, c’est la décision de la CPI -La Cour Pénale Internationale- prise à La Haye fin 2019 d’ouvrir une enquête sur les crimes israéliens commis contre les civils de Gaza. Et même si les procédures vont être très longues, au moins, pour les Palestiniens de Gaza, c’est un petit pas vers la fin de l’impunité de cette occupation illégale.
Les habitants de la bande de Gaza ont vécu une situation dramatique voire chaotique, dans leur prison unique au monde à tous les niveaux, surtout sur le plan humanitaire.
Nous avons assisté en 2019 à une détérioration des conditions économiques, sociales et sanitaires dans cette région en souffrance permanente.
L’année 2019 a connu la poursuite des événements tragiques pour les habitants de cette région enfermée et laissée à son sort, une région abandonnée par une communauté internationale officielle dont le silence assourdissant l’a rend complice. Mais surtout elle n’a connu aucun changement sur le terrain.
L’année 2019 pour les habitants de la bande de Gaza, a été marquée par les événements suivants :
1-La poursuite des agressions, incursions, bombardements et attaques de l’armée israélienne contre la bande de Gaza. On compte plus de quatre cents violations israéliennes en 2019 : 270 bombardements et raids, 130 incursions dans différentes zones frontalières au sud, au centre et au nord de la bande de Gaza, sans oublier le drame absolu de centaines de pacifistes palestiniens visés par les snipers israéliens sur les frontières :125 palestiniens ont trouvé la mort, et 95.000 ont été blessés à Gaza suite à ces attaques et bombardements. Mort ou handicapé -tel est le plan israélien-
2-Les restrictions sur les zones de pêche réduites à 6 milles marins, empêchent les pêcheurs de gagner leur vie. Cette année a connu l’augmentation des attaques de la part de la marine israélienne contre les pêcheurs de Gaza ; on a enregistré 130 attaques contre les pêcheurs et leurs bateaux de pêche, 21 pêcheurs blessés, 34 arrêtés, 15 bateaux de pêche détruits et 30 confisqués.
3-Le maintien du blocus israélien inhumain et mortel imposé de façon illégale par les forces de l’occupation depuis plus de treize ans, et la fermeture quasi totale des passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur.
Concernant les passages commerciaux : actuellement, par jour, 320 à 370 camions entrent à Gaza via le seul passage commercial ouvert cinq jours par semaine. Ce passage se situe au sud de la bande de Gaza, mais la moitié de ces camions sont pour les organisations internationales et leurs projets de reconstruction d’écoles et de stations d’eau.
Le problème est que ce passage se ferme à n’importe quel moment et sous n’importe quel prétexte, par décision israélienne unilatérale, sans prendre en considération les besoins énormes d’une population civile en augmentation permanente.
Gaza n’a droit qu’à 160 produits au lieu de 950 avant le blocus. Quelques produits et médicaments n’entrent pas, ce qui a aggravé la situation déjà difficile. Selon les estimations des organisations internationales, la bande de Gaza a besoin de plus de 1300 camions par jour pour répondre aux besoins énormes de cette population. Sans oublier la liste de 130 produits toujours interdits d’entrer par ordre militaire israélien sous prétexte qu’ils ont un possible double usage.
Cette fermeture a empêché la libre circulation des importations et des exportations des biens et produits de Gaza, en particulier les matières premières et les produits semi-finis.
Le gouvernement israélien refuse toujours l’ouverture de cinq passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur et maintient son blocus sur Gaza.
Concernant les passages pour la circulation des personnes, les deux passages qui relient la bande de Gaza à l’extérieur sont le passage de Rafah au sud de la bande de Gaza sur les frontières avec l’Égypte, et le passage d’Eretz au nord de la bande de Gaza vers la Cisjordanie, contrôlé par l’armée israélienne. Ils ont connu une faible ouverture partielle durant l’année 2019, ce qui a rendu le déplacement des palestiniens de Gaza très limité. Le passage de Rafah, même avec une petite amélioration, a ouvert ses portes seulement 5 heures par jour en 2019, tandis que le passage d’Eretz n’est autorisé qu’à 3 % de la population, surtout les malades, les diplomates et les hommes d’affaires et quelques cas humanitaires.
4- L’arrestation de plus de 60 palestiniens sur les frontières par les soldats israéliens, dont 25 enfants de moins de 16 ans, Et jusqu’à aujourd’hui, 30 parmi eux sont toujours détenus dans des prisons israéliennes, sans le moindre jugement.
5- Du fait de la détérioration du niveau de vie pour les habitants, et la baisse du pouvoir d’achat, on a assisté à une vraie crise humanitaire et économique qui a touché tous les secteurs. Une crise liée au recul permanent du développement et à l’incapacité de l’Autorité palestinienne à payer totalement les salaires de ses 73.000 fonctionnaires dans la bande de Gaza.
Le produit intérieur brut (PIB) a baissé de 1.2 % et la capacité de production de l’économie a continué de s’éroder, avec un faible taux d’activité.
On est passé, suite à cette situation catastrophique dans la bande de Gaza, d’une économie familiale non-violente à une économie dépendante de l’occupant et des organisations internationales.
L’aide internationale envers ce territoire densément peuplé, bien qu’empêchant un effondrement total, a créé une dépendance humanitaire au lieu d’encourager le développement, notent les experts.
6- Le gouvernement israélien a continué sa politique visant à empêcher les malades d’aller se soigner dans les hôpitaux de la Cisjordanie. Selon le Centre palestinien pour les droits de l’homme de Gaza, en 2019 l’occupation israélienne a empêché 8000 patients de quitter la bande de Gaza pour se faire soigner et recevoir un traitement en dehors de l’enclave assiégée de Gaza. Et les rares patients qui ont été autorisés de quitter Gaza pour des raisons médicales, ont été soumis à un interrogatoire au passage d’Eretz par l’armée israélienne. Une pratique dénoncée par Physicians for Humain Rights.
7-La dégradation de la situation économique et sociale : le taux de chômage dépasse les 67 % de la population civile selon le bureau palestinien des statistiques, mais le phénomène le plus dangereux est la hausse du chômage chez les jeunes de moins de 30 ans, qui a atteint 74 %, en 2019. Cette année, plus de 95.000 personnes ont été jetées au chômage.
Plus des deux tiers des ménages souffrent d’insécurité alimentaire.
– La pauvreté. 73% de la population de Gaza vit en dessous de seuil de pauvreté
– L’augmentation du nombre de personnes qui dépendent des organisations humanitaires. 81 % des Palestiniens de Gaza vivent grâce aux aides alimentaires. Selon les sources du bureau des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens –UNRWA- dans la bande de Gaza, plus de 1.400.000 personnes ont bénéficié du programme de l’aide alimentaire géré par le bureau en 2019. Ce programme a élargi ses services pour cibler les citoyens et non seulement les seuls réfugiés.
Sur le plan économique, la situation ne cesse de s’aggraver avec les conséquences dramatiques du blocus et de différentes agressions qui ont causé l’augmentation du chômage, et du niveau de pauvreté, sans oublier l’incapacité de bâtir une véritable économie dans la bande de Gaza.
Cette situation empêche tout développement d’une économie en faillite qui ne trouve pas les ressources nécessaires pour sortir d’une crise qui touche tous les secteurs.
Pour beaucoup d’économistes, l’année 2019 est considérée comme la plus catastrophique pour l’économie palestinienne depuis 20 ans.
8-Les deux secteurs les plus touchés par les mesures israéliennes sont la santé et l’éducation. Les écoles pratiquent des journées doubles – voir même triples – pour accueillir des élèves toujours plus nombreux. Dans le même temps, les hôpitaux fonctionnent au-delà de leurs capacités, plus particulièrement depuis que les manifestations de la Grande marche du retour, qui a commencé en 2018, et qui ont connues des milliers de blessés.
9-Des mesures israéliennes pour détruire le secteur agricole dans la bande de Gaza. En 2019 et au début et à la fin de cette année, les autorités israéliennes ont inondé des terres agricoles dans l’enclave palestinienne, Elles ont submergé des terres agricoles de Gaza en ouvrant les vannes de barrages qui retenaient l’eau pluviale, après la forte pluie et la tempête, les rendant incultivables.
Un fort torrent a submergé des dizaines d’hectares de terres agricoles, occasionnant d’énormes pertes aux paysans, a fait savoir le ministère palestinien de l’agriculture.
10-Le secteur industriel affronte une vraie crise, les usines de Gaza fonctionnent seulement avec 20 % de leurs capacités en raison du blocus, des fermetures de passages, et l’impossibilité de faire exporter les produits de ces usines de la bande de Gaza vers l’extérieur. S’ajoute à tout cela, la décision israélienne de ne pas laisser les matières premières entrer Gaza sous prétexte qu’elles auraient un double usage possible. Conséquence: la fermeture de dizaines d’usines et le licenciement de milliers de travailleurs et ouvriers.
11-L’absence d’une unité nationale et l’échec des efforts de réconciliation inter palestinienne, avec la non-tenue des élections législatives dans les territoires palestiniens, ce qui a aggravé l’amertume des habitants de la bande de Gaza.
12- Les baisses du financement accordé à l’UNRWA, l’agence des Nations-Unies chargée des réfugiés palestiniens, aboutissent à ce que cet organisme ne parvient pas à payer ses fonctionnaires, ni à continuer à s’occuper de 65 % de la population de Gaza. Cette situation résulte de la réduction des aides américaines en premier lieu, après les menaces du président Trump contre les Palestiniens.
Cette crise a été soulagée seulement fin 2019, après des engagements de quelques pays à continuer à financer cette organisation internationale pour les trois années prochaines.
13- La pénurie de l’électricité partout dans la bande de Gaza, durant toute l’année 2019 ; chaque foyer à Gaza avait droit à 4 à 6 heures de courant électrique par jour.
Les forces d’occupation israélienne ont décidé de réduire la fourniture d’électricité à cette région sous blocus, afin de faire pression sur la population civile pour qu’elle arrête de participer à la Marche du retour.
Cette décision aggrave la crise humanitaire dans une région en souffrance permanente, et met en danger les infrastructures sanitaires et en particulier les hôpitaux.
Cette pénurie d’électricité avait des conséquences graves sur tous les secteurs vitaux dans cette région. Beaucoup d’usines ont été fermées
Outre ces coupures, à Gaza, c’est la pénurie d’eau. En effet, tous les puits municipaux qui approvisionnent les habitants fonctionnent à partir du courant électrique.
14-Concernant l’eau : en 2019, à peine 5 % des puits d’eau potable de Gaza sont propres à la consommation humaine. Les bombardements israéliens ont encore touché les infrastructures comme les aqueducs et les systèmes d’égout. Sans oublier un aquifère de qualité médiocre qui fait que 92 % des puits d’eau potable à Gaza sont en dessous des normes minimales de santé pour la consommation humaine.
L’eau à Gaza est devenue rare et contaminée. Et avoir une eau potable saine et propre est devenue quasiment impossible pour les habitants.
Les dommages causés aux canalisations d’eau et d’assainissement ont été immenses. En décembre 2019, plus de la moitié des Palestiniens de Gaza n’avait plus aucun accès à l’eau.
Cette catastrophe de l’eau et du traitement des eaux usées ont causé une forte augmentation de maladies d’origine hydrique et alimentaire.
Une étude récente de 2019 a révélé que la mauvaise qualité de l’eau était une des principales causes de mortalité infantile à Gaza.
15- La poursuite de la Grande Marche du retour : un soulèvement populaire, pacifique et non-violent commencé le 30 mars 2018 sur les frontières de la bande de Gaza pour défier les soldats israéliens qui se trouvent d’une façon illégale dans des zones appartenant aux Palestiniens.
Une marche initiée par la société civile, avec une détermination exemplaire pour la levée du blocus israélien, et cela malgré un bilan très lourd côté palestinien : plus de 320 morts dont 50 enfants moins de 16 ans, et plus de 29.000 blessés parmi eux 160 amputés.
A part cette grande Marche du retour, il n’a eu aucun changement dans le quotidien de plus de deux millions de citoyens, rien ne change, rien ne bouge, la vie est presque paralysée pour cette population civile. Et cela dure depuis longtemps, sans aucune réaction nationale, régionale ou internationale. Les habitants de Gaza vivent au jour le jour, ils essayent de s’adapter, de tenir bon, mais surtout d’exister.
L’aspect le plus grave de toute cette situation difficile des habitants de la bande de Gaza et qui marque l’esprit de la majorité des habitants, c’est l’absence de perspectives pour ces gens qui ne voient aucun changement, qui constatent que les choses n’avancent pas, ne bougent pas, à tous les niveaux : réconciliation, fin de division, amélioration de leur condition de vie, ouverture des passages, levée du blocus, fin d’occupation. Ce sont des sentiments horribles qui vont influencer l’avenir de cette génération, surtout celle des jeunes, qui commencent à perdre tout espoir en un avenir immédiat meilleur.
La population civile se bat quotidiennement pour survivre dignement sur sa terre.
La situation stagne, rien ne bouge et les gens, sur place, attendent et attendent. Ils attendent une ouverture, ils attendent la levée de ce blocus inhumain, ils attendent une vraie réaction internationale afin de mettre fin à l’impunité de cette occupation illégale. Ils n’ont pas d’autre choix que d’attendre. Ils attendent avec un courage et une volonté remarquables. Mais surtout avec un message simple et clair : ici est notre terre, nous n’en partirons pas. Nous résisterons en toute dignité.
Espérons pour 2020 !