L’ami Sion est parti

Sion Assidon en couleur 2 826x900.jpg L’ami Sion est parti

Le 9 novembre 2025, ses amis ont enterré Sion Assidon, ils sont très nombreux de par le monde et au Maroc. Il est dans nos pensées. Et j’ai plutôt envie ici de parler de l’homme  qu’il a été, au moment où sa vie se détache de nous et prend une forme achevée, qui nous échappe et nous saisit. 

Il y a des vies qui ressemblent à des destins. Depuis le tremblement de terre d’Agadir qui marque son enfance, « Tapi au fond d’une voiture je me souviens avoir souhaité dans la nuit, que le soleil ne se lève pas sur le chaos. Mais le soleil s’est levé : je suis brutalement sorti de l’enfance, dans une petite ville rayée de la carte. »1, sa jeunesse et son foyer broyés par les années de plomb passées en prison, (de 24 à 36 ans !) les pertes et les absences si douloureuses de ses plus proches… Mais il fallait vivre malgré tout, résister à l’adversité, continuer à lutter, à rire, à aimer. 

Il n’est pas une balade avec lui partout au Maroc où un homme ne soit venu lui serrer la main, un ancien prisonnier, disait-il chaque fois, une véritable confrérie, des regards lourds de sens et des sourires, des nouvelles des uns et des autres et de leurs familles, des tapes cordiales sur l’épaule. Il faut bien vivre mais on n’oublie jamais. Il disait aussi, il y a toujours un endroit pour moi où je me sens le mieux, c’est seul au fond de ma petite cellule, dans ma tête. Encore une séquelle de la prison qu’il disait partagée par beaucoup de ses compagnons.  Et en même temps en ce triste jour, son sourire envahit à nouveau les écrans, sa jovialité, sa voix, son chant qu’il imposait parfois très fort dans la rue, sans aucune gêne. Il disait encore, je fais du chikong, je chante, je me soigne, il faut bien rester debout.

Son goût pour la vie passait aussi par celui de tous les fruits de la terre marocaine, des plantes, qu’il caressait littéralement pour les sentir, des miels de l’Atlas, des huiles, des cédrats… Sa gourmandise était un véritable acte d’amour. Si la Palestine était sa boussole, Le Maroc aura été sa mère et son père, au-delà de l’adversité et dans tous ses combats. 

L’enterrement de Sion a été un événement rare et magnifique. Tout ce que le Maroc recèle de courage de lutte populaire, de force tranquille s’est réuni. Depuis les frères anciens prisonniers, les militants des droits humains (AMDH), Attac Maroc, Forum social Maghreb, Transparency Maroc, les syndicalistes (UMP), des partis de gauche : le parti du progrès et socialisme (PPS), Voix démocratique, Gauche unifiée, les militants de BDS Maroc et bien d’autres encore. Tous sont venus. La boussole Palestine était omniprésente car tous partageaient avec lui la lutte anticoloniale pour la libération de la Palestine, et contre la normalisation avec Israël ; une lutte contre la soumission à l’impérialisme, et aujourd’hui contre la recolonisation du Maroc, de ses richesses et de ses forces au service du pire.

La façon tranquille avec laquelle ces hommes et ces femmes ont demandé l’accès du cimetière à leur foule, l’immense respect et l’affection qu’ils ont montrés, ont constitué un véritable message de paix et de consolation. Un ami présent m’a raconté que son cercueil a été porté, sous la direction du rabbin, par un islamiste militant des droits humains, un communiste, un maoïste, des militants BDS… Cet hommage populaire rendu à un de leurs camarades et fils a montré au monde que le peuple marocain existe, soudé en une humanité et une soif de justice capables de transcender les différences. Puisse ce modèle se reproduire partout. Le monde en a besoin.

Que la terre du Maroc soit légère et douce à son fils, il l’a bien mérité.   

Michèle Sibony novembre 2025


Note-s

  1. https://telquel.ma/2023/09/15/tremblement-de-terre-dagadir-histoire-dun-sauvetage-royal_1491[]