La vallée de la Roya, terre d’insoumission et de fraternité

Reportage pour la Mission de France, par Olivier CHAZY.

La vallée de la Roya, vous connaissez ? C’est cette vallée dont on parle dans les médias, qui est enclavée dans l’arrière pays Niçois, entourée de montagnes escarpées, au nord c’est l’Italie, au sud c’est l’Italie, l’accès à Nice se fait soit par l’Italie, soit par la départementale et un train empruntant de longs tunnels.

5.000 habitants se répartissent sur cinq villages presque tous issus du moyen-âge, plantés à flan de montagne, une population de retraités et d’agriculteurs pauvres y vivent avec l’envie surtout d’être tranquilles.

Mais les autorités des Alpes maritimes sont sur le pied de guerre, En 2016, 36 000 réfugiés, principalement des Érythréens fuyant leur dictature, des soudanais du Darfour fuyant une tragédie humanitaire majeure ou les villages sont bombardés, de l’Afghanistan et d’autres régions ont pris le risque de traverser toute l’Afrique à pied et tentent d’entrer en France par Vintimille, après un périple d’un à deux ans, avec femmes enceintes et enfants. Ils ont été interpellés par les différentes polices mobilisées et refoulés vers l’Italie, quelques uns ont pu franchir les cols à 1000 mètres, même pendant l’hiver, ils ont contournés les contrôles et sont redescendus sur les villages de la vallée de la Roya,

Ils ont alors pu croiser Cédric, à Breuil sur Roya, producteur d’œufs de poules et d’huile d’olive, Georges, ancien conseiller diplomatique, Gilbert, conseiller municipal et artisan en retraite, Suzel, salariée de l’office du touristique, Claudine, agricultrice, Jean Noël, sculpteur, Dédée, ancienne assistante sociale. Généreuse équipe qui a commencé à leur ouvrir leur porte ou les convoyer. C’est avec eux que j’avais rendez vous pour un repas champêtre et fraternel ce 2 juin 2017, pour comprendre la réalité du pays.

Des africains dans ce secteur ça surprend, et c’est encore plus étonnant d’apprendre qu’ils ont traversés tout un continent à pieds, de les découvrir presque nus pieds, affamés, malades accompagnés d’enfants, de bébés, des femmes enceintes.

A Vintimille, nous avons rencontré Don Rito le bouillant prêtre de la paroisse San Antonio qui a transformé le sous-sol de son Église en dortoir pour les réfugiés, et les accueille avec l’aide de l’équipe des Focolaris, et d’autres associations dont le secours catholique « nous maintiendrons ce service tant que la mairie n’ouvrira pas un lieu d’accueil digne » a-t-il répondu au Maire qui lui demande de fermer son hébergement et a pris sept arrêtés pour interdire d’alimenter les réfugiés. Chaque soir un millier d’africains viennent trouver abris et repas, sur la ville, dormant à la paroisse, au local de la Croix Rouge ou au bord de la rivière Roya.

Plus haut le long de la rivière, en France, règne une tradition d’insoumission mêlée aux traditions chrétiennes et à un fond humaniste. Les unes penchent pour la libre pensée, d’autres se disent croyants sans pratiquer, d’autres interpellent l’Église pour qu’elle s’implique ou encore soutiennent discrètement François Xavier, prêtre ouvrier en retraite, ici on ne veut fâcher personne car tout le monde est cousin. Les militants coopèrent entre eux fraternellement sur une base humaniste : « pour nous c’est naturel de les aider », « nous sommes déterminés parce que ce sont des êtres humains, et que leurs droits élémentaires sont bafoués ». Reste qu’il n’est pas simple de coordonner les associations gestionnaires qui cherchent à avancer en se concertant avec les autorités et les associations qui interpellent les pouvoirs publics, cette bonne coordination est sans doute nécessaire pour la réussite globale de l’action collective.

Ce qui m’a frappé en rencontrant ces militants c’est leur tranquille assurance, leur sens du concret, « nous avançons pas à pas avec des actions concrètes, pas avec des discours » une certaine fierté d’être dans l’action, sans avoir peur de prendre des risques, « ça renforce les liens entre nous » et c’est contagieux, même le vieux Janot, de sensibilité presque Front national, s’est mis à prendre des réfugiés dans sa voiture. On peut compter aujourd’hui sur une centaine de personnes déterminées dans l’action, prêtes à prendre des risques, et un soutien de 300 extérieurs dans le cadre de l’association « Roya citoyenne ». 50 000 repas ont été servis le plus souvent à Vintimille, les dons arrivent de partout, de l’argent, des portables… Les médias sont arrivés aussi provenant d’Hollande, des États-Unis, d’Allemagne, les grands médias Français aussi.

L’affaire a pris de l’ampleur, les dénonciations aussi, 15 par jour à une certaine époque, la pression des élus a monté d’un cran, nous sommes ici dans les Alpes Maritimes fief d’Eric Ciotti et de Christian Estrosi, les militants reçoivent des menaces verbales, des tentatives d’intimidation des autorités.

La montagne est quadrillée par la gendarmerie, la police des frontières et l’armée, toutes les routes sont contrôlés, cela s’appelle des PPA : des points de passage obligés, tout réfugié est refoulé, y compris les mineurs sur l’Italie au mépris de la loi de la République qui devrait informer chaque réfugié de ses droits et lui permettre de faire une demande d’asile ou l’orienter vers l’aide à l’enfance, s’il est mineur, la lutte se déplace sur le terrain judiciaire pour arbitrer entre les divers volets du code : la non assistance à personnes en dangers, l’article 622-1 qui menace ceux qui aident l’entrée, la circulation et le séjour irrégulier et l’article 622-4 qui les protège si l’aide est bénévole et comporte des prestations, il y a le risque de traitement inhumain pour les autorités, de violation des conventions internationales sur les réfugiés ou les lois sur la protection de l’enfance.

Une dizaine d’habitants ont été inculpés, le 10 février Cédric Hérrou a été condamné à 3000 € d’amende avec sursis, mais le 31 mars c’est le Préfet qui a été condamné par le tribunal administratif pour atteinte grave au droit d’asile. La voie se dégage, désormais les réfugiés enregistrés par Cédric vont pouvoir gagner Nice pour recevoir leur récépissé dans un PADA une permanence d’accueil des demandeurs d’asile, porte entrouverte vers la demande de statut de réfugié.

Au milieu de cette belle équipe de copains- citoyens déterminés, qui veulent simplement que les êtres humains soient respectés, voici François Xavier, prêtre ouvrier retraité, ami de la Mission de France, vivant depuis 30 ans dans la vallée, intervenant publiquement au nom de « Roya citoyenne » à l’issu du procès de Cédric Hérrou ou s’étaient rassemblées plus de 200 personnes. « Nous avons le devoir de désobéir aux lois injustes et inhumaines, Nous, habitants de la Roya, nous nous insurgeons contre la déshumanisation des rapports humains, nous rappelons à nos élus que nous ne les avons pas élus pour exercer la répression … mais bien pour faciliter le vivre ensemble » la sous Préfète lui rendra visite pour le dissuader d’agir ainsi, « pas question d’agir contre ma foi et ma conscience » lui a-t-il répondu. Il semble que la préfecture ait également cherché à influencer les villages peu à même de résister a une menace de contentieux. Pas facile à vivre pour un prêtre qui vit son engagement comme une « quête d’harmonie entre les communautés humaines », comme un trait d’union entre les tenants de la foi chrétienne qui ne veulent pas de vagues et craignent les autorités et les citoyens insurgés gardant parfois fervente leur foi.

De son côté, un collectif d’associations incluant le secours catholique et la Cimade va se mobiliser aux côtés de « Roya citoyenne » déposant des référés liberté à la frontière, recherchant à mieux organiser l’accompagnement et l’hébergement des réfugiés qui s’imposent pour gérer cet important flux quotidien

Nous étions chez Cédric, dans sa ferme de la Roya, un bâtiment modeste accroché sur le flan de la montagne, pour rencontrer quelques uns de ces réfugiés, souriants, heureux d’être enfin accueillis et protégés, parfois assommés par un si long et dangereux voyage, « nous étions 200 dans un bateau gonflable en Méditerranée, venant de Libye, et 20 d’entre nous sont morts noyés, s’est très dur d’en parler » m’a dit l’un d’entre eux âgé de 18 ans et qui avait commencé son périple à 16 ans.

Cédric Hérrou, figure médiatique, qui interpela Emmanuel Valls dans « l’émission politique », ancien organisateur expérimenté d’événements culturels, est déterminé, fraternel avec les jeunes africains présents, il voudrait que les autorités fassent enfin leur travail, que les mineurs ne soient plus reconduits à la frontière, mais admis à l’aide à l’enfance comme le prévoit la loi, au nom du principe universel qui veut que tout être humain ait droit au secours en situation de détresse et de danger.

Il veut que le jeu reste calme, « nous ne faisons rien de grave, notre action n’est pas basée sur la violence, ce sont les institutions qui se comportent de façon violente » Apres un projet de film, une sensibilisation au festival de Canne, il nous demande de l’aide pour rencontrer le Pape François, une telle cause défendue avec tant d’empathie et de détermination mérite un tel soutien.

Olivier CHAZY

Reportage pour la Communauté Mission de France

(composée de laïcs et de prêtres ouvriers)

Pour visualiser les photos des militants (photos de François Xavier, prêtre, des autres militants, de Cédric, des réfugiés, de la vallée).

Pour visualiser l’interview de François Xavier Asso