Intervention de Michèle Sibony, au nom de l’UJFP, à la manifestation du 10 novembre contre l’islamophobie.
Catherine Grupper la militante antiraciste qui ne se trompa jamais de combat, et entre autre membre de l’UJFP, vient de mourir. L’un de ses camarades de lutte a rapporté ses paroles à des enseignants qui voulaient renvoyer de l’école de jeunes élèves portant le foulard : elle leur a dit: « moi depuis que je milite je sais que ce qui compte c’est d’être du côté des opprimés ; alors je ne comprends rien à ce qui se passe sous votre crâne, vous ne pouvez pas demander l’exclusion de ces gamines. »
Depuis des années maintenant des enfants vont tous les jours à l’école de la République et y subissent méfiance et mépris de ce qu’ils sont, contrôles et discours humiliants sur leur religion, leurs familles, les causes justes qu’ils défendent.. Souvenons nous que c’est en 2014 qu’est publié le premier document de prévention de la radicalisation en milieu scolaire par l’académie de Poitiers, qui le retire ensuite, mais il est suivi de bien d’autres jusqu’à celui tout récent sur le signalement de la radicalisation de l’université de Cergy.
Cette « vigilance » initiée par l’État est, on l’a beaucoup dit, un appel à la délation des voisins, des collègues, des enfants..
Ces enfants écoutent à la télévision des discours humiliants pour leurs familles, leur père et leur mère, leur grand frère, leur grande sœur ..
Leurs pères leurs frères, sont surveillés sur leurs lieux de travail, dans la ville, soumis aux contrôles au faciès.
Leurs mères sortent le matin la peur au ventre pour les accompagner à l’école, aller au travail ou chercher du travail, aller à la poste, la banque ou l’hôpital, sans jamais savoir d’où va venir l’agression verbale ou parfois physique.. C’est cela mesdames et messieurs l’insécurité quotidienne et pour des millions d’hommes de femmes et d’enfants. Et c’est cela l’apprentissage que subissent ces enfants de la République, c’est ainsi que l’on forme aujourd’hui des citoyens dans ce pays. Et c’est une honte ! Et ce que les autres enfants apprennent sur les bancs de cette nouvelle école laïque c’est que que eux-mêmes n’étant pas musulmans sont protégés, qu’ils sont eux à l’abri des suspicions et ils intègrent discrimination et ségrégation comme des choses normales. Bravo !
Nous sommes une association juive, la seule association juive représentée ici, et c’est lamentable. Même si nous savons que de très nombreux Juifs sont présents, militants associatifs syndicaux dans les partis anonymes, et qu’ils sont aussi là parce qu’ils se souviennent aussi de leur histoire familiale.
Nous aussi à l’UJFP nous avons de la mémoire, et nous nous en servons. Cette mémoire nous donne des devoirs : d’abord et avant tout être toujours du côté de l’opprimé et de la victime du racisme. L’écouter lui d’abord et lui avant tous les autres, respecter sa parole et lutter avec lui à ses côtés.
Les Juifs d’Europe des années trente ont connu cette atmosphère antisémite ; la littérature de l’époque en porte abondamment les traces. Une société imprégnée par le racisme qui laisse advenir le pire.
Pour cette raison mais aussi parce que nous sommes des êtres humains, pas seulement des Juifs, nous sommes inscrits dans la lutte contre le racisme, sous toutes ses formes. L’islamophobie ce racisme qui vient d’en haut, des plus hauts niveaux de l’État et que les médias complaisants diffusent dans tout l’espace social saturé de cette haine. La négrophobie qui tue en silence, « bavure » après « bavure » policière avec tous les guillemets voulus, de jeunes noirs, sans jamais faire la une des journaux, ni mériter de discours politiques, ni voir sanctionné les crimes par la justice. Rromophobie et les pogroms organisés sous les yeux complaisants de policiers qui n’interviennent pas, le racisme qui vise les asiatiques, encore plus invisible et silencieux, l’antisémitisme qui tue encore de façon crapuleuse et sordide. Mais qui lui réunit sans frilosité aucune toute la classe politique de l’extrême droite à l‘extrême gauche..
Alors de ces nombreuses associations, de tous ces groupes racisés, conscients des instrumentalisations gouvernementales sont nées des coalitions pour lutter ensemble contre le racisme contre toutes ses formes. Ce racisme qui sert si bien les intérêts de l’état ultra-libéral : jouer la diversion pendant qu’il paupérise la population en détruisant tous les acquis de ses luttes sociales, travail, droit au chômage, santé, école, retraite, imposition .. ; et jouer la division au sein de cette population pour son profit et son bénéfice : se poser en rétablisseur d’ordre. Comme au bon vieux temps des colonies.
Nous Juifs qui avons de la mémoire, la mettons au service de toutes les victimes du racisme et nous luttons avec elles toutes pour leurs droits qui sont aussi les nôtres ; leur sécurité qui est aussi la nôtre, leurs libertés qui sont aussi les nôtres. À la « concurrence » des victimes, ce concept malveillant et répugnant du capitalisme sauvage qui nous détruit systématiquement et qui ne fait pas partie de notre vocabulaire, nous opposons la solidarité et la fraternité que nous mettons en œuvre. Nous avons participé aux grandes marches de la dignité, car il s’agissait de la dignité de nous tous et toutes, comme on participe aux marches de la fierté. Nous nous organisons dans un espace antiraciste respirable, c’est à dire un véritable antiracisme dégagé de toute instrumentalisation. Car nous ne pouvons, nous Juifs, avec tous nos partenaires imaginer manifester contre le racisme avec le rassemblement national et avec ceux là même qui organisent et propagent le racisme dans tout le pays.
Nous avons participé à l’organisation de la grève et de la manifestation antiraciste Rosa Parks. Nous travaillons avec le CCIF, la BAN la Voix des Rroms, et d’autres encore à la constitution d’une plateforme antiraciste capable d’aider toutes les victimes du racisme : musulmanes, noires, rroms, juives, asiatiques…
Pour développer nos liens de solidarité et parce qu’ensemble on est plus forts.
A la vigilance/délation promue par Macron nous opposons notre vigilance et notre responsabilité des uns pour les autres.
Aujourd’hui il faut nous lever tous et toutes pour empêcher la banalisation du mal, pour empêcher la victoire de l’ordre du néo-libéralisme sauvage. Vaincre ce régime passe et passera par une mobilisation massive contre le racisme islamophobe, et contre le racisme sous toutes ses formes.
Nous serons présents dans la rue le 8 décembre avec le collectif des mères du Mantois pour dire : les humiliations de nos enfants ça suffit, la violence policière dans les banlieues seule marque de la présence de l’État, ça suffit. Le racisme ça suffit.
La fraternité n’est pas un vain mot, c’est à la base que nous le montrerons, tous ensemble.