Interview publiée le 12 octobre 2023 sur le site du journal Maroc-Hebdo
Vice-présidente de l’Union juive française pour la paix (UJFP), Michèle Sibony explique dans cette interview comment l’occupation et la colonisation israéliennes sont en grande partie les sources de “l’horreur” et que l’escalade qui se produit actuellement dans le conflit israélo-palestinien, un chaos, dont peu de gens peuvent prédire ce qu’il en sortira. Elle appelle à une intervention internationale qui arrête la vengeance d’Israël sur Gaza et la Cisjordanie.
La cause palestinienne est revenue aujourd’hui au-devant de la scène internationale après que la crise ukrainienne eût largement monopolisé l’intérêt de l’opinion publique dernièrement. Mais à quel prix, selon vous?
Il aura fallu une attaque de cette ampleur pour qu’on reparle de la Palestine, qui était jusqu’ici absolument absente des médias -français- alors qu’elle subit quotidiennement meurtres, dépossessions, attaques et persécutions des villages de Cisjordanie par des colons protégés par l’armée, et même ce que la presse israélienne a qualifié de pogroms à Huwara ou Burqa par exemple; enfin, Gaza vient d’entrer dans sa dix-septième année d’un siège qui ne peut que conduire au désespoir sa population -majoritairement constituée de familles de réfugiés en 1948- de 2,3 millions d’habitants. C’est une tragédie qui se joue en silence depuis des dizaines d’années et qui explique en grande partie cette explosion. Bien sûr, les civils en payent le prix. Cependant, dans un régime colonial, il n’y a pas égalité entre un civil quotidiennement persécuté et un civil membre du collectif dominant qui jouit tous les jours des privilèges du colon. Ces deux groupes sont cependant amenés à être tour à tour ou en même temps victimes de la politique coloniale menée par le régime israélien.
Pour vous, qui tire aujourd’hui profit de la guerre de l’image?
Israël, faute d’avoir su se préparer à une telle attaque, et mobiliser son armée qui depuis longtemps se contente de tenir la matraque contre une population désarmée, a su mobiliser sa propagande en direction du monde occidental. Une propagande, qui a trouvé un écho immédiat dans tous les grands médias français, axée sur deux termes: terrorisme et Bataclan.
Le premier terme sert à effacer tout le contexte que je viens de décrire et ramener l’opération sanglante menée par le Hamas à du terrorisme sans cause. Alors que le terme précis serait “crime de guerre” dans une guerre coloniale, et comme on sait les guerres coloniales sont sales. Demandez aux Gazaouis si les bombes au phosphore, les tirs sur les hôpitaux et massacres de familles sont propres. Le second terme, qui rappelle aux Français l’attaque terroriste du Bataclan de novembre 2015 (130 morts sous les balles de l’organisation terroriste de Daech, ndlr), est destiné à favoriser l’identification du public français avec ces jeunes qui leur ressemblent en train de faire la fête à quelques kilomètres de Gaza, où l’on devait entendre le bruit sourd de la techno. Cette guerre d’image profite donc à Israël dans le monde occidental, mais est-elle perçue de la même façon ailleurs, dans le monde arabe? J’en doute.
Suite à l’opération du Hamas, il semble que les fronts internes, aussi bien en Israël que de l’autre côté, en Palestine, resserrent leurs rangs, mais ferment les issues à une possible paix. Est-ce un constat que vous partagez?
La répression sanglante contre Gaza est largement entamée, et elle n’est malheureusement pas terminée. Il n’est pas possible de parler de paix en ce moment, où deux sociétés sont en train de compter leurs morts et malheureusement cela non plus n’est pas fini. Les réactions israéliennes sont encore panique, peur et colère, une colère clairement dirigée contre le gouvernement actuel qui n’a pas su les protéger. Gaza est sous les bombes, et le gouvernement israélien semble prêt à sacrifier les otages.
Le moment est un moment guerrier et féroce. Pourtant, il faudra bien finir en Israël par faire le lien entre toute cette horreur et l’occupation et la colonisation qui sont ses sources. Comprendre que sur ce territoire deux peuples devront trouver les moyens de vivre ensemble dans l’égalité, sinon l’alternative est là devant nos yeux, mourir ensemble.
Comment voyez-vous la suite des événements sur le terrain?
Pour l’instant, il semble que s’est ouvert un chaos, dont peu de gens peuvent prédire ce qu’il sortira. Le rôle de ce qu’il est d’usage d’appeler la communauté internationale pourrait -enfin- s’avérer utile.
En attendant, force est de constater que depuis des décennies en permettant et garantissant l’impunité d’Israël quoi qu’il fasse, en fermant les yeux sur ses innombrables crimes de guerre et violation de toutes les normes internationales, en renforçant même les liens de l’Union européenne (UE) avec lui dans les pires moments, comme après l’attaque de 2014 sur Gaza, la partie occidentale de cette communauté a une responsabilité immense dans ce bain de sang. Si elle croit s’en laver les mains en apportant son «soutien inconditionnel à Israël», elle ne fait en réalité que pousser ces deux sociétés -finalement victimes du même régime colonial- au suicide.
A quand la paix, vraiment, au Proche-Orient?
Dans l’urgence du moment, une intervention internationale qui arrête la vengeance d’Israël sur Gaza et la Cisjordanie, impose l’échange des otages contre les centaines de détenus palestiniens hommes, femmes et enfants. Et assure la mise en place d’une force de protection du peuple palestinien. Dans un second temps: le retrait total des territoires occupés et des négociations encadrées.
Et côté israélien, une prise de conscience beaucoup plus large au sein de la société, du fait que dans un régime colonial, rien ne les protégera jamais de la résistance et de la colère du peuple opprimé. Seule l’égalité dans ce territoire, sous une forme ou une autre, pourra garantir la paix.