En février dernier, des diplomates égyptiens avaient prédit que l’Egypte aiderait au rapprochement des palestiniens, mais quel bien apporterait la réconciliation si les palestiniens de Gaza ne pouvait toujours pas aller en Cisjordanie ?
Etant, à mes propres yeux, une journaliste conservatrice, je fais un effort pour m’empêcher de écrire ce qui se passera dans le futur. Beaucoup trop d’éditoriaux, à mon avis, sont consacrés à ce que tel-et-tel va dire et à l’avenir de tel-et -tel. Face à la concurrence d’Internet et de la télévision, la presse écrite, de peur de ne pas être dans le coup, est souvent forcée de faire des prédictions. Ma réponse à » que va-t-il arriver » « j’ai laissé ma boule de cristal chez moi » ? Je préfère me concentrer sur ce qui a été fait et dit hier et aujourd’hui.
Bref, devant l’accord de réconciliation palestinien, je regrette d’être si conservatrice. En février, deux diplomates européens et un européen m’avaient prédit qu’après la révolution, l’Egypte réussirait à amener une réconciliation entre le Fatah et le Hamas. L’européen me disait que l’ex-président Moubarak et le général Omar Souleyman juraient qu’il y avait un » processus de réconciliation » – comme il y a « un processus de paix » – pour les apparences, sans que rien ne change. Prévenir un rapprochement, après tout, me faisait-il remarquer, c’était dans la ligne des desiderata d’Israël et des USA.
A cause de la rapidité des événements en Egypte et l’afflux journalier des nouvelles durant la révolution, je n’ai pas pu écrire » le chapitre israélo-palestinien » que je m’étais planifié. Mes réserves sur les prophéties jouaient aussi. Si j’avais écrit alors, j’y aurais sans doute mis les prédictions de ces diplomates que le traité de paix avec Israël ne serait pas affecté mais « que ce ne serait plus la situation où, quand Israël bombarde Gaza, le président égyptien accueille le premier ministre israélien à Sharm-al- Sheikh ».
Un des diplomates prévoyait que l’ambassadeur égyptien en Israël pourrait être rappelé. Un autre envisageait que l’Egypte adopterait une approche diplomatique plus dure à l’égard d’Israël. Mais tous les trois étaient convaincus qu’il n’ y aurait pas de changement drastique dans la » politique égyptienne concernant Rafah ». » La chose la plus simple, la plus populiste, serait d’ouvrir Rafah » me disait un des diplomates égyptiens. Fermer le poste frontière de Rafah était dans l’intérêt de l’Egypte et non le résultat de la ‘collaboration de Moubarak avec Israël’, comme on le dit souvent, concluaient les trois. Les deux diplomates égyptiens m’ont dit qu’il n’y avait aucune chance que le passage de Rafah soit complètement ouvert tant que le passage d’Erez resterait fermé et qu’Israël continuerait à séparer Gaza de la Cisjordanie.
Tous les partisans de la solution de deux états et d’un état palestinien comprenant la Cisjordanie et Gaza, disaient-ils, avaient à assurer la liberté de circulation pour les palestiniens entre Gaza et la Cisjordanie, et le droits des Gazaouis d’aller, rester, étudier et travailler en Cisjordanie. Ouvrir le passage de Rafah sans garantir aux palestiniens résidents à Gaza la liberté d’accès à la Cisjordanie serait un atout dans le jeu israélien et son plan d’ « expédier Gaza aux égyptiens ». Ce qu’il ferait sans aucun doute, après qu’il ait échoué à noyer Gaza lui-même, comme feu Yitzhak Rabin l’avait rêvé un jour.
( Mais les développements récents nous donne l’occasion de crier dans le désert de la mémoire courte volontaire : c’est depuis janvier 1991, bien avant que le Hamas ne prenne le pouvoir, bien avant les attentats suicides, bien avant même les accords d’Oslo qu’ Israël a réduit les droits des palestiniens à voyager entre Gaza et la Cisjordanie. Ce fut quand « l’enfermement » de Gaza a commencé, et cet enfermement est devenu, étape par étape, de plus en plus serré. En 1997, Israël a interdit aux gazaouis d’entrer en Cisjordanie par le pont Allenby. Pourquoi ? Parce que depuis 1991, quand le système d’interdiction de voyager, le mal-nommé régime des permis, fut introduit et que les étudiants et les hommes d’affaire, par exemple, n’eurent plus le droit de faire les 70 kilomètres qui séparent Gaza de Ramallah, pouvaient passer par Rafah et entrer en Cisjordanie par la Jordanie. A partir de 2000, Israël a déclaré que ces gazaouis qui étaient en Cisjordanie « séjournaient illégalement » si leurs permis de séjour avaient expiré. Comme depuis 2010, la justice militaire les définit comme « des infiltrés » qui risquent l’arrestation ou l’expulsion. En 1996, on a appris qu’Israël, au mépris des accords d’Oslo, ne permettait pas à l’Autorité Palestinienne de changer sur les cartes d’identité l’adresse des palestiniens qui avaient déménagé de Gaza vers les villes de Cisjordanie ).
D’un autre coté, c’est une bonne chose que je n’ai pas écrit ce chapitre. D’après une déclaration du ministre égyptien des affaires étrangères Nabil al-Arabi, le passage de Rafah devrait être ouvert sous dix jours. Contrairement à ce que les deux diplomates représentants de l’ancien régime égyptien avaient prédit, le ministre des affaires étrangères n’attendra pas que la liberté de mouvements entre Gaza et la Cisjordanie soit rétablie.
Il est vrai, encore d’un autre coté, que nous ne savons toujours pas ce que cette « ouverture » implique. Les gazaouis seront-ils exemptés de demander un visa pour rentrer en Egypte ou en auront-ils un automatiquement en arrivant au terminal ? Ou le visa leur sera-t-il délivré facilement et gracieusement, non seulement aux « gens importants », les malades et les gens vraiment influents, comme c’est le cas aujourd’hui ? Les familles pourront-elles prendre un bus à Khan Younis et aller à Alexandrie sans devoir prévoir et planifier et sans subir les réponses de la sécurité égyptienne habile à vous mettre les nerfs en pelote ? Verra-t-on un centre commercial au terminal de Rafah, ( qui permettrait d’en finir avec l’économie des tunnels ) ? Les citoyens étrangers, dont les égyptiens, pourront-ils aller à Gaza via Rafah sans avoir besoin de tirer toutes sortes de ficelles, et sans avoir à montrer leurs papiers à la sécurité égyptienne une demi douzaine de fois sur le chemin du Caire à El-Arish ? C’est cela qui signifierait une vraie « ouverture ».
Il n’y a pas de doute que cela améliorerait la vie des gazaouis. Mais, cela irait comme un gant à la politique de séparation israélienne.
Joie prématurée
A propos de réconciliation, voici ce qu’Abou Basil avait à me racconter. ( Sa famille est de Bureir, village dont les terres sont occupées par le kibboutz de Bror Hayil ). Quand ses enfants ont appris l’accord de réconciliation, ils ont été contents. » Maintenant Tante Amira ( la tante juive) pourra revenir nous rendre visite » ont-ils dit. Cela m’a fait rire et m’a rendu triste. Les enfants ont conclu immédiatement que la réconciliation pourrait dire liberté de mouvement en direction de Gaza. Mais ils n’ont pas dit : » maintenant nous pourront aller en Cisjordanie ». Leur imagination ne va pas jusque là.
Amira Hass
Traduction : JJ