La montée de l’autoritarisme en Israël

Intervention de Richard Wagman, au colloque « Pour la Paix, contre la montée de l’autoritarisme et le(s) fascisme(s) », organisé à Paris le 22 juin 2024 par le Conseil francilien du Mouvement de la Paix.

Le sionisme en Israël est un peu comme le péronisme en Argentine : il y a un sionisme de droite et un sionisme de gauche. Mais en dehors de ces nuances, le sionisme comme programme politique est fondamentalement un projet de colonisation au profit d’un seul peuple et aux dépens d’un autre.

Dans l’actuel gouvernement israélien, bien qu’il soit présidé par le chef du Likoud (le parti traditionnel de la droite nationaliste) le tempo de l’action gouvernementale est donné par l’extrême droite qui siège au Conseil des ministres. Il y a d’abord le Parti Sioniste Religieux de Bezalel Smotrich (ministre des Finances, un ministère clé) et Pouvoir Juif, le parti suprémaciste de Itamar Ben Gvir (un ancien truand devenu ministre de la Sécurité intérieure) sans parler d’un parti beaucoup moins connu, Noam, dont le seul programme est de combattre « la propagande LGBTI ». À cet attelage gouvernemental s’ajoute le soutien à la Knesset de deux partis religieux intégristes : Shas (le parti orthodoxe sépharade) et Judaïsme Unifié de la Torah (le parti orthodoxe ashkénaze). Entre les nationalistes de droite, ceux de l’extrême droite, les suprémacistes, les homophobes et les intégristes religieux, il n’y a pas de quoi offrir un projet de société ouvert, tolérant, féministe et inclusif, respectueux des droits des minorités. C’est le moins qu’on puisse dire.

Un autre indice est le phénomène de la maltraitance carcérale, dénoncée par des associations israéliennes comme le Comité public contre la torture, Hamoked (Association pour les Droits des Individus) et B’Tselem (le Centre d’information israélien sur les droits humains dans les Territoires occupés). On a appris dernièrement de l’existence du camp militaire de Sde Teiman dans le désert du Néguev, un véritable Guantánamo israélien. Malheureusement la torture est pratiquée par beaucoup de pays, mais il n’y en a quasiment aucun qui l’admet. Dans ce déni général, il n’y a que deux pays qui ont officiellement légalisé la torture : la Chine de Xi Jinping et Israël. Légalisée dans les années 1990, elle est connu dans les textes de loi comme « pressions physiques modérées ». Mais ces « pressions physiques modérées » ont déjà tué des prisonniers palestiniens.

Maintenant jetons un coup d’œil sur la politique électorale israélienne. Le sujet peut ne pas vous passionner mais c’est particulièrement parlant dans le contexte des gouvernements très instables qui ont dirigé le pays ces dernières années. Les Israéliens sont allés aux urnes en avril 2019. Quelques jours avant le vote, l’aviation israélienne a bombardé Gaza avec pas moins de 100 raids aériens. Sans majorité à la Knesset, les citoyens étaient de nouveau convoqués aux urnes sept mois plus tard. Encore une fois, entre ces « deux tours » des législatives, l’armée de l’air a bombardé la Syrie, l’Irak et le Liban, sans oublier Gaza, son terrain de supplice préféré (c’est sans risque pour les militaires israéliens). Rebelote au mois de novembre, car le code électoral a imposé à Netanyahou une date boutoir pour former un nouveau gouvernement, sous peine de voir la dissolution de la Knesset par le chef de l’Etat (un poste habituellement protocolaire). Alors deux semaines avant le jour J, les services secrets israéliens ont assassiné deux dirigeants du Djihad islamique à Damas et à Gaza. Il y a eu de nouvelles élections début mars 2020. Même scénario : deux semaines avant, les avions de chasse ont bombardé des positions du Hamas dans la Bande de Gaza. Les Israéliens ont été appelés à voter l’année suivante, en mai 2021, lorsque Naftali Bennett (dirigeant du parti Yamina, extrême droite) s’est assis dans le fauteuil du premier ministre. Les impératifs politiques du moment se sont soldés par des exactions des colons contre les Palestiniens en Cisjordanie, accompagnées par une nouvelle offensive contre Gaza. Même chose en 2022, autre année électorale : le mois d’août a vu l’assassinat d’un autre dirigeant du Djihad islamique et plus de 30 morts à Gaza. Sauf que cette fois-ci, il n’y avait même pas de prétexte de « riposter » contre des tirs de missiles palestiniens, car il n’y en avait pas. Les communiqués de l’armée ont expliqué que c’était pour éviter une riposte éventuelle du Djihad islamique. Autrement dit, une « attaque préventive ».

Il est frappant de constater la corrélation entre les périodes électorales en Israël et les opérations meurtrières menées par son armée. Voilà pour les interventions « électorales » des responsables israéliens. En fait, il faut savoir qu’en général, les Palestiniens craignent deux choses : les fêtes juives et les élections. Les fêtes juives parce qu’Israël bouclent les Territoires occupés pour raisons de « sécurité » et personne ne peut se déplacer sans autorisation spéciale. Ils craignent surtout les élections, car elles annoncent toujours de nouveaux bombardements avec leur lot de morts, de blessés et de destructions.

Au cours des dernières décennies tout le monde constate qu’Israël était gouverné par le Likoud et à un moindre degré par le Parti Travailliste (Yitzhak Rabin, Shimon Pères, Ehud Barak). Moi, je dirais plutôt qu’Israël est gouverné par la peur. Rien de tel qu’une guerre pour tétaniser les Israéliens, les faire croire qu’ils sont menacés et que l’existence même de leur Etat est en jeu. Alors le candidat ou le parti qui a le discours le plus martial, le plus belliciste et le plus sécuritaire est celui qui ramasse la mise le jour des élections.

On se souvient que l’année dernière, bien avant le 7 octobre, il y avait des manifestations monstres en Israël chaque semaine contre Netanyahou pour protester contre son projet de réforme judiciaire visant à mettre au pas la Cour Suprême, un des rares contre-pouvoirs dans le pays. À y regarder de plus près, voici quelques lois qui jettent une lumière sur la nature du régime :

  • La loi de « l’Etat-Nation du peuple juif » qui fait des habitants palestiniens d’Israël des citoyens de seconde zone.
  • La loi « de retour » qui garantit à chaque Juif dans le monde le droit d’acquérir la citoyenneté israélienne sur simple demande (« retour » dans un pays ou le plus souvent ni lui, ni sa famille n’ont jamais vécu).
  • La loi sur les « Comités d’admission » qui donne droit à un comité local de citoyens juifs d’accepter ou de refuser la demande d’une personne de s’installer dans une localité… et qui refuse systématiquement les demandeurs palestiniens.
  • La loi sur la « Propriété des absents » qui permet l’expropriation des terres appartenant aux familles palestiniennes chassées lors de la Nakba en 1948 et depuis cette date.
  • La loi Foncière israélienne qui interdit au KKL (le Fonds national juif) de louer des terres à des non Juifs.
  • La Loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël qui empêche un Palestinien des Territoires qui se marie avec une Palestinienne citoyenne d’Israël de vivre avec son épouse à l’intérieur de la Ligne Verte. Ainsi, la seule solution laissée au couple est le divorce ou bien une « vie de couple » sous deux toits, séparés l’un de l’autre par une frontière.
  • La loi sur la Nakba qui interdit tout financement public aux organisations qui commémorent l’expulsion de 750 000 Palestiniens de leurs terres en 1948.

Cette liste n’est pas exhaustive ; c’est un échantillon. Il y a plus de 70 lois en Israël qui donnent des droits différents à ses citoyens selon qu’ils soient Juifs ou Arabes. C’est ce qu’on appelle un régime d’apartheid. Les Noirs l’ont vaincu en Afrique du Sud et ce sont les Palestiniens qui le subissent aujourd’hui en Israël. En 2022, un rapport d’Amnesty International a bien caractérisé le régime israélien ainsi, qualification qui est repris par de nombreuses ONG et des institutions internationales.

Comment est-ce qu’on est arrivé là ?

Benyamin Netanyohou a été élu Premier ministre pour la première fois en 1996 après l’assassinat de Yitzhak Rabin. Une fois au pouvoir il a raboté les droits des salariés contenus dans plusieurs dispositions du Code du Travail, il a laminé les budgets sociaux et il a légalisé Kach (aujourd’hui connu sous le nom de « Force juive »), courant politique extrémiste présent en France sous le nom de LDJ (Ligue de défense juive). Autrefois, cette organisation était interdite en Israël et aux États-Unis à cause de sa violence et de son racisme. Cela dit long sur les valeurs actuellement en vigueur en Israël.

Mais la carrière politique de Netanyahou n’a pas commencé en 1996. Au début des années 1990, il était ministre des Finances dans le gouvernement de droite de Yitzhak Shamir. Lors de ce mandat ministériel, il a réduit la couverture sociale accordée par la branche sociale de la Histradout (la Sécurité sociale israélienne), il a privatisé des entreprises publiques et il a introduit davantage de libéralisme dans l’économie.

La philosophie marxiste nous enseigne que la matière précède la conscience et non le contraire. Autrement dit, ce sont les conditions matérielles de vie de la classe ouvrière qui détermine son niveau de conscience politique et non le niveau de politisation préalable des individus qui peuvent influer sur les conditions de vie d’une classe sociale, comme le prétendent des philosophes idéalistes. Compte tenu de la dégradation matérielle des conditions de vie des masses israéliennes et compte tenu de la peur qui leur est insufflée par le pouvoir politique, l’opinion israélienne s’est peu à peu déportée sur la droite au fils des années.

Voilà ce qu’est devenu l’État d’Israël, 76 ans après sa proclamation. Une puissance coloniale impitoyable avec un gouvernement de plus en plus sécuritaire, de plus en plus de droite. On peut désormais qualifier le régime comme un État d’apartheid, à l’heure de la guerre génocidaire menée par son armée à Gaza.

Richard Wagman

22 juin 2024