L’arrivée de la pandémie menace de rendre Gaza encore plus invivable sous le siège israélien. L’aide humanitaire ne suffit pas – les Palestiniens ont besoin de liberté
Jehad Abusalim – 22 mars 2020 – + 972mag.
Le ministère palestinien de la santé a fait état aujourd’hui des deux premiers cas du nouveau coronavirus dans la bande de Gaza. Depuis des semaines, l’autorité dirigée par le Hamas, qui gouverne le territoire sous blocus depuis 2007, a pris de sérieuses mesures pour prévenir l’arrivée du virus dans la bande de Gaza. Jusqu’à sa décision de fermer son côté du passage de Rafah vers l’Égypte et du checkpoint d’Erez vers Israël, des centaines de Palestiniens qui entraient dans le territoire étaient immédiatement mis en quarantaine pour s’assurer qu’il n n’avaient pas les symptômes de la maladie.
Ces actions sont cependant de peu de consolation.
Il n’est pas exagéré de dire que la perspective de la diffusion du COVID-19 dans la bande de Gaza est terrifiante. 2020 est l’année à propos de laquelle les Nations Unies et d’autres agences internationales ont estimé que Gaza deviendrait « inhabitable ». Si le blocus israélien de 13 ans et l’isolement de la bande de Gaza continuaient, ont-ils averti, la plupart des services de base de Gaza et sa capacité à subvenir à ses besoins s’effondreraient.
Tandis que le spectre du coronavirus hante les deux millions d’habitants palestiniens de la bande de Gaza, dont la moitié sont des enfants, le monde doit faire face à une vérité urgente : Gaza, qui est depuis longtemps invivable dans les conditions actuelles, le sera encore plus maintenant que le virus a atteint sa population.
Depuis des années, des ONG internationales et même certains responsables israéliens, ont averti du fait que le système de santé de Gaza est au bord de l’effondrement, rendu impuissant par des décennies de non-développement, d’appauvrissement systématiques et de siège. Tous les problèmes liés au blocus israélien s’enchevêtrent et augmentent dans le secteur de la santé à Gaza : une grave crise de l’eau, une fourniture d’énergie extrêmement réduite, des taux élevés de chômage et une infrastructure en miettes.
Tel qu’il est, le système de santé n’est pas équipé pour une apparition de COVID-19. Le nombre total de lits d’hôpital est de 2 895, soit 1,3 lits pour mille personnes. Juste 50 à 60 respirateurs pour adultes. Selon le chef de l’antenne de l’OMS à Gaza, Abdelnasser Soboh, Gaza n’est préparée à prendre en charge que les cent premiers cas du virus ; « Après, il faudra un soutien supplémentaire ».
Le système de santé est, de plus, aggravé par l’émigration de nombreux professionnels palestiniens de santé à cause de la crise économique à Gaza. Plus de 35 000 Palestiniens ont quitté la bande de Gaza rien que depuis 2018, dont des dizaines de docteurs et d’infirmières. Un responsable du ministère de la santé a déclaré qu’ils auraient besoin d’au moins 300 à 400 docteurs de plus, juste pour combler le fossé et répondre au minimum aux nécessités de la population.
Une autre caractéristique de l’existence de Gaza pourrait nourrir une diffusion massive du virus : c’est la densité de population. Selon des scientifiques, « les conditions de surpeuplement peuvent accroître la probabilité que des gens transmettent des maladies infectieuses » – et avec une moyenne de 6 028 personnes au km carré, Gaza a l’une de plus fortes densités de population au monde. Son surpeuplement n’et dépassé que par quelques lieux comme Hong Kong ; mais, alors qu’à Hong Kong les gens peuvent entrer et sortir librement, la majorité des Palestiniens de Gaza y sont en cage contre leur gré.
Les huit camps de réfugiés de Gaza ont même des densités de population plus élevées que la moyenne du territoire. Prenez Jabaliya, où plus de 140 000 réfugiés palestiniens vivent sur une superficie de 1,4 km2, soit 82 000 personnes au km2. Le camp ne dispose que de trois centres de santé et d’un hôpital public. Juste de l’autre côté de la barrière de séparation avec ce qui est aujourd’hui Israël – d’où viennent nombre de réfugiés palestiniens – la densité va de zéro à 500 personnes au km2.
Dans le sillage de la pandémie mondiale, les conditions à Gaza sont la recette d’un désastre. Elles ne sont pourtant pas le résultat de quelque accident malheureux ; elles sont le produit délibéré de décennies de la politique publique d’Israël, consciemment conçue et maintenue pour décomposer Gaza.
La plupart des 2 millions de Palestiniens vivant dans l’étroite bande aujourd’hui sont les descendants des 200 000 réfugiés qui ont fui ou ont été chassés pendant la guerre de 1948 qui a créé l’État d’Israël, s’ajoutant aux 80 à 100 000 Palestiniens qui résidaient alors dans cette zone.
Ces réfugiés croyaient que leur séjour à Gaza serait temporaire, mais Israël a rapidement construit des barrières militarisées pour confiner les Palestiniens et a promulgué des lois visant à pérenniser leur déplacement. Ce fut par exemple la Loi de Prévention de l’Infiltration qui rendit illégale toute tentative de la part de Palestiniens de retourner sur leurs terres, maisons et propriétés. Beaucoup de Palestiniens qui ont essayé ont été tués par les forces israéliennes.
Quand Israël a conquis la bande de Gaza en 1967, la possibilité a été donnée à des colons juifs de s’emparer de plus de 25% de ce territoire déjà petit, avec près de 40% de sa terre cultivable. Jusqu’au « désengagement » d’Israël en 2005, quatre décennies de colonisation juive ont aggravé le surpeuplement de Gaza et ont empêché les Palestiniens de construire et de se développer à l’intérieur de ce territoire. Depuis, les offensives militaires israéliennes répétées ont fait baisser le nombre de maisons et ont encore déplacé des dizaines de milliers de familles.
Pour le dire franchement, la situation actuelle de la bande de Gaza est due à la logique expansionniste d’Israël : l a conduite sans répit de l’État pour maintenir une majorité juive aux dépens des Palestiniens. Deux millions de Palestiniens sont pris au piège à Gaza, non qu’ils aient choisi cette vie mais parce qu’ils y ont été forcés.
La menace du COVID-19 qui pèse sur Gaza est peut-être la dernière occasion de dire ce que beaucoup refusent d’entendre : le problème de Gaza n’est pas le manque d’aide humanitaire, aussi urgente qu’elle soit. Ce problème est territorial, démographique et politique. C’est au sujet de qui, entre le Jourdain et la Méditerranée est privilégié et qui ne l’est pas ; qui vit et se développe sur la terre et qui ne le peut pas.
Actuellement, alors que les citoyens juifs d’Israël jouissent de la terre et de ses ressources, le même droit est refusé aux Palestiniens qui sont empêchés de retourner dans leur patrie. Et tandis que la communauté internationale se focalise largement sur la menace de « l’annexion » par Israël de ses colonies illégales de Cisjordanie, peu se soucient de la réalité contre nature vécue par les habitants de Gaza.
En ces temps de pandémie et de préoccupation pour la santé de communautés partout dans le monde, il est temps de regarder en face toutes les conséquences de la partition injuste de la Palestine historique – Gaza y compris.
Gaza est certes un résumé de nombre des problèmes de notre monde : la guerre, la pauvreté, les déplacements et le racisme. Mais elle offre aussi des lueurs d’espoir, par son humanité, sa résilience et sa résistance.
Au moment où les gens dans des pays plus privilégiés ne sont que légèrement atteints par le fait de vivre en confinement, séparés de ceux qu’ils aiment, ayant des doutes sur la satisfaction de leurs nécessités de base et soucieux de notre avenir collectif, il est impératif de penser à des lieux comme Gaza, où les gens ont bien plus souffert depuis des décennies et sont en danger d’un choc bien plus dévastateur maintenant que la pandémie a atteint leurs rivages.
J’écris cela en pensant à ma famille à Gaza qui, comme beaucoup d’autres, peut bientôt être à la merci du COVID-19. Bien qu’il soit temps de penser à la survie, il est temps aussi de poser des questions importantes sur comment nous, humains, avons failli à nous préparer à ce moment. Si ce n’est pas le moment de mettre fin au blocus de Gaza et à l’occupation de la Palestine, et si ce n’est pas le moment de poser le problème des injustices qui ont réduit la vie des Palestiniens à la souffrance et à la douleur, alors quand ?
Jehad Abusalim est un intellectuel et politologue de Gaza. Il est associé au programme sur le militantisme palestinien du Comité de Service des Amis Américains ; il étudie actuellement à l’Université de New York.
Traduction SF pour l’Agence Media Palestine
`Voir en ligne : l’article originel en anglais sur le site de +972mag