Dans le contexte des sévères critiques internationales et internes palestiniennes subies par le Hamas à la suite de l’attentat du 7 octobre, l’organisation a publié un document qui constitue une sorte de récit ouvert dans lequel elle présente les raisons de l’attentat, ses réalisations ainsi que ses échecs, avec quelques déclarations de grande portée.
Par : Menachem Klein 23.1.2024
Il est important pour le Hamas que sa version de la guerre soit entendue et comprise. Le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh, à Rafah. 23 novembre 2019 (Photo : Abd Rahim Khativ / Flash90) |
L’attaque barbare menée par le Hamas le 7 octobre et la vengeance brutale sur tous les résidents de la bande de Gaza qu’Israël administre à ce jour, sont des événements sans précédent dans leur gravité, choquants et qui bouleversent les esprits. Les quelques Israéliens qui estimaient que le Hamas avait connu un changement politique depuis 2017 se sont rétractés. C’est également ce qu’ont fait les responsables gouvernementaux occidentaux qui ont mené un dialogue direct ou indirect avec le Hamas, affirmant que les crimes commis par son peuple le 7 octobre l’ont été en raison de son adhésion à l’islam fondamentaliste dans le style d’ISIS. La majorité de l’opinion publique israélienne justifie la dureté de la vengeance israélienne et soutient même son aggravation au point de déporter tous les habitants de Gaza en Égypte et de démolir les bâtiments encore intacts.
Les réactions du public palestinien sont variées et peuvent être générées en une seule fois par la même personne. Dans les forums fermés, des critiques sont exprimées à l’encontre du Hamas pour les nombreux dommages causés aux civils et pour l’enlèvement de femmes et d’enfants. On reproche également au Hamas de ne pas avoir pris en compte les terribles massacres et destructions qu’Israël provoquerait en réponse, tenant ainsi le mouvement pour responsable des terribles résultats de la guerre.
En même temps, il y a de la fierté dans le fait qu’aucune organisation palestinienne ou État arabe n’a frappé Israël avec une telle force depuis 1948, ni transformé le conflit israélo-palestinien en un conflit régional et international d’une telle ampleur. En contraste total avec les lacunes personnelles du Fatah et de l’Autorité palestinienne, qui collaborent avec l’occupation, les combattants du Hamas ont exposé la puissance technologique et intelligente de leur maorumi en utilisant des armes simples, une planification méticuleuse et une organisation motivée, et il y a également une expression de satisfaction qu’Israël connaisse les souffrances que les Palestiniens connaissent depuis de nombreuses années. Les sentiments et les pensées sont mélangés et se contredisent.
Pour réconcilier quelque peu les contradictions, le discours palestinien amplifie les rapports des médias israéliens et étrangers sur l’assassinat de civils israéliens par les FDI et attribue la plupart des crimes de guerre commis le 7 octobre à une foule en émeute qui a pénétré en Israël à la suite des combattants et de l’effondrement général du système de défense israélien. La question qui se pose au bout de ce labyrinthe sinueux – que veut obtenir le Hamas ? – reste en suspens. En arrière-plan, bien sûr, se trouve la campagne d’information d’Israël dans les capitales du monde, qui met en lumière les crimes de guerre commis par le Hamas. Israël a réussi à convaincre les institutions politiques occidentales, mais l’agressivité déshumanisante de l’armée lui renvoie comme un boomerang les critiques des masses.
Un effort pour se défaire de l’accusation d’antisémitisme
La direction politique du Hamas estime qu’elle doit rendre des comptes au public palestinien et à ses partisans dans le monde. Elle le fait dans un document qu’elle a publié au début de la semaine en arabe et en anglais et qui porte le titre « Our Narrative – The Al-Aqsa Flood Operation » 1 (Notre récit – L’opération d’inondation d’Al-Aqsa). Il s’agit du document officiel, graphiquement bien conçu et soigneusement édité, signé par le bureau de communication du Hamas. Il comporte 16 pages contenant cinq chapitres concis. Il ne s’agit pas d’improvisation, mais d’un travail investi ; il est important pour le Hamas que sa version de la guerre soit entendue et comprise – non seulement par les Palestiniens, mais aussi dans les couloirs politiques internationaux.
Le document suit les lignes du document de 2017 sur les principes et les politiques et en aucun cas les principes et le langage de la Charte islamique de 1988. Contrairement au contexte antisémite et islamique dans lequel Israël place le Hamas, le document souligne que le mouvement combat le sionisme et non les Juifs, et va à l’encontre de l’identification absolue qu’Israël fait entre le judaïsme et le sionisme. Le Hamas s’efforce de désavouer l’accusation d’antisémitisme au point de déclarer qu’il s’oppose à la suppression du droit de toute personne à une définition nationale, religieuse ou de groupe. Cette déclaration a une grande portée, car elle soulève la question de savoir pourquoi le mouvement s’oppose à l’autodétermination des Juifs. En outre, elle montre à quel point le document est éloigné de la convention islamique. La foi religieuse n’accepte pas l’autorité de l’homme mais la soumet à l’autorité d’Allah. Le centre de gravité de la convention islamique est la parole de Dieu, qu’elle cite abondamment, et non les conventions universelles. Il convient de noter que c’est en cela que le Hamas diffère du sionisme religieux et de « Otzma Yehudit », dont la vision politique du monde est basée sur une religiosité tribale et non sur des valeurs universelles.
En deux endroits du document, le mouvement se présente, comme en 2017, comme un mouvement de libération nationale, dont la légitimité découle du droit à l’autodétermination. Mais ce n’est qu’une seule fois qu’il ajoute le titre « islamique » à sa caractérisation comme mouvement de libération nationale. L’islam apporte une touche, mais ne constitue pas un principe exclusif ou décisif dans sa politique. Khaled Meshal a parlé de la signification politique de la libération nationale dans une interview récente. Le mouvement, a déclaré Mashal, refuse de légitimer Israël dans les frontières de 1948 dans le cadre de la solution à deux États, car ce faisant, il renonce à son affiliation et à son droit historique de contrôler ce territoire. Même s’il s’agit d’un rêve, elle n’y renonce pas. Dans le même temps, a déclaré Mashal, dans le document de 2017, le Hamas reconnaît que le consensus national, arabe et international soutient la création d’un État dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Le Hamas l’accepte à condition qu’il n’y ait pas non plus de renonciation au droit au retour. Il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’un retour au plan par étapes de l’OLP de 1974, car le Hamas conditionne la réalisation du rêve à l’existence d’un consensus interne, arabe et international, alors que dans le plan par étapes de l’OLP, la transition entre les phases était ouverte et n’était pas conditionnée par des facteurs politiques occasionnels.
Le Hamas déclare dans le document qu’il a publié que sa lutte ne se limite pas à l’occupation des territoires de 1967. Le récit historique qu’il fait se concentre sur le sionisme colonial, qui a privé les Palestiniens de leur patrie dans les territoires de 1948 également. C’est dans ce contexte général que s’inscrit l’attaque qu’il a menée le 7 octobre. Le contexte concret est la nécessité de briser l’étau qu’Israël impose à la bande de Gaza depuis 2007 avec le soutien actif ou passif de l’Occident, et les dommages graves, délibérés et continus qu’Israël inflige aux civils. Le document exprime un sentiment aigu de ne pas avoir le choix : Israël n’a pas respecté l’accord d’Oslo et déclare ouvertement son opposition à un État palestinien. La droite dure qui dirige Israël prévoit d’annexer les territoires de 1967 et de déporter leurs habitants, et le monde reste silencieux. Il y avait une obligation de prendre l’initiative, d’affronter courageusement l’occupation. L’indépendance ne s’obtiendra que par une lutte héroïque.
Comme l’ensemble de l’opinion publique palestinienne, les crimes commis le 7 octobre embarrassent également le Hamas, qui se sent obligé d’y renoncer. Elle rappelle que, conformément aux valeurs de l’islam, une instruction a été donnée de ne pas blesser les femmes, les enfants et les personnes âgées. Les combattants du Hamas n’ont pas violé de femmes ni massacré de bébés. L’attaque visait à frapper des cibles militaires et à faire prisonniers uniquement des soldats, c’est-à-dire, selon le Hamas, des hommes qui ne sont pas trop âgés pour servir dans les réserves ou être membres d’une unité de réserve. Si des dommages ont été causés à la population non combattante, ils l’ont été accidentellement au cours d’un conflit militaire difficilement contrôlable. Il est possible, souligne le Hamas, que ses forces aient commis des erreurs dans leur manière d’opérer, mais ces erreurs ont été commises en raison de l’effondrement rapide et inattendu du système de défense israélien et du chaos qui en a résulté. Pour renforcer son affirmation, le document indique que le Hamas s’est comporté de manière équitable envers les captifs civils, ce dont ont témoigné les otages libérés. C’est l’armée israélienne qui blesse systématiquement les civils, et les bombardements intensifs ont également tué 60 prisonniers. Il est à noter que, contrairement au discours palestinien qui tend à imputer les crimes de guerre à la foule gazaouie qui est entrée en Israël à la suite des combattants, le document du Hamas évite cela. Le mouvement ne veut pas créer d’aliénation entre lui et la population.
Le document du Hamas s’adresse également à la communauté politique internationale. Tout d’abord, le mouvement déclare qu’il est prêt à ce que la Cour pénale internationale enquête sur son rôle et celui d’Israël dans les atteintes aux civils. Deuxièmement, le Hamas demande à la communauté internationale de faire pression sur Israël pour qu’il mette fin à l’occupation et cesse de l’exempter de l’obligation de respecter le droit international. Enfin, faisant allusion aux discussions intenses du lendemain, le Hamas déclare que seul le public palestinien a le droit de décider de l’avenir de la bande de Gaza et de qui la gérera. Il s’agit d’une déclaration importante, qui doit être prise en compte lors de la planification du jour d’après. Le Hamas ne demande pas de rester au pouvoir dans n’importe quelles conditions, mais d’organiser des élections. S’il ne les remporte pas, il espère au moins obtenir un résultat significatif qui lui permettra de prendre pied au pouvoir. En outre, le Fatah et l’Autorité palestinienne ne sont pas du tout mentionnés dans le document. En d’autres termes, dans le contexte des discussions au sein du système international sur l’entrée d’une Autorité palestinienne améliorée dans la bande de Gaza, le Hamas n’exclut pas à l’avance le retour de l’Autorité palestinienne, si c’est ce que le peuple décidera. Cette déclaration contient également un avertissement : tout établissement qui ne reçoit pas le soutien du public sera considéré comme un collaborateur de l’occupation et deviendra une cible à laquelle il sera possible de porter atteinte.
(traduction J et D)
- NDLR : en voici une traduction en français par le site Chronique de Palestine[↩]