par Sabrina Guintini.
Réactions de Pierre Stambul (Union Juive Française pour la Paix) et Jacques Pradel (Association nationale des pieds noirs progressistes). Publiées dans la Marseillaise du 28 juillet 2016.
Enseignant à Marseille, membre du bureau national de l’Union Juive Française pour la paix, Pierre Stambul était à Gaza au mois de mai. Là bas, les sanglantes exactions de Daech alimentent nombre de conversations : « A chaque fois que j’évoquais le sujet, on me répondait instantanément que Daech était une création de l’Occident » relate-t-il. Au lendemain du meurtre de Jacques Hamel, le prêtre égorgé à Saint-Etienne-du-Rouvray, Pierre Stambul pointe la responsabilité de l’État français dans « ce déchaînement dont on ne voit pas la fin.
On est à une période où la perte de sens est telle que les moindres déséquilibrés vont se réclamer de l’idéologie de Daech pour passer à l’action. Mais le pouvoir lui-même donne tellement peu de sens au vivre-ensemble dans l’égalité des droits, qu’il contribue à cette libération des actes de haine et de barbarie. Il faut, s’il n’est pas trop tard, que la France et l’Europe arrêtent de transformer notre société en cage».
La réponse de la France aux attentats : l’intensification des frappes en Irak et en Syrie. « C’est pire que tout, incroyablement stupide et contre-productif » lance Pierre Stambul, « Ce qui nous était demandé au moment des insurrections du printemps arabe, c’était la reconnaissance de la dignité de ces peuples et une aide pour accéder à la démocratie. Or, on a laissé les pires contre-révolutions arriver. Qu’a fait la France ? Elle a donné la Légion d’honneur à un prince saoudien, quand on sait que l’Arabie Saoudite a largement inspiré et financé ce terrorisme aveugle… On marche sur la tête ! »
Alors que depuis l’annonce de ce nouvel acte de violence à Saint-Etienne-du-Rouvray, les réseaux sociaux inondent la toile de hashtags « Guerre civile », Pierre Stambul préfèrerait en mettre un autre en lumière : le vivre-ensemble, malmené et pourtant porteur de réponses : « On a une telle politique de démolition de ce qui permet aux gens de vivre ensemble, c’est à dire les minima sociaux, du travail, un tissu social, un sens donné à la vie en commun…
Quand le Premier ministre lui-même a expliqué que les Roms n’avaient pas vocation à rester en France, il a ouvert la boite de Pandore au pire racisme, à la pire détestation de l’autre. Cette ambiance est très inquiétante et rappelle celle de la veille de la seconde guerre mondiale ».
« Des fascistes aveuglés en guerre contre l’Islam »
Même constat pour Jacques Pradel, président de l’association nationale des pieds noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA) qui quelques heures après les faits, cherchait encore ses mots d’une voix tremblante, entre « indignation », « émotion », « inquiétude », et « au-delà de tout cela, ce qui me préoccupe, ce sont les retombées, ce qui peut en résulter. L’émotion est unanime, mais jusqu’où va-t-elle être exploitée par les gens qui font leur fond de commerce du racisme? »
Lui aussi dénonce les dérives du gouvernement Valls, cette « répétition des atteintes aux libertés publiques », cet aval tacite d’une parole raciste libérée par l’horreur là où il serait plutôt nécessaire d’appeler un chat un chat : les terroristes sont « des fascistes aveuglés, en guerre contre l’Islam et les Musulmans. Je vis avec une crainte qui n’a jamais été aussi grande, de tous les amalgames anti-musulmans et anti-maghrébins. Cela m’effraie terriblement parce que j’ai le sentiment que c’est à nos portes. En même temps, cela me fait prendre conscience, s’il le fallait encore, de la nocivité de ces fous de Dieu, cette complicité objective qu’il existe entre ces fascistes là et ceux qu’on connaît ici, le FN et consorts, qui s’alimentent du racisme le plus primaire ».
Pour Jacques Pradel comme pour Pierre Stambul, la réponse doit exclure la violence: « Je ne peux pas m’empêcher de penser que le seul recours, c’est de réaffirmer les principes de la République, les principes de liberté, égalité, fraternité. Mettre en place une mobilisation citoyenne qui se nourrisse de ces principes et exclue les dérives racistes. On doit réaffirmer ce qu’est la laïcité. Pas la laïcité façon Le Pen, mais telle qu’elle s’inscrit dans la République. C’est ainsi qu’on pourra éviter que les idées fascistes n’envahissent notre société ».