Par Salomé Parent (en Cisjordanie) ; publié le 30 août 2018 sur le site du journal la Croix.
En Cisjordanie, le gouvernement israélien expulse les communautés palestiniennes situées en zone C pour faciliter le développement des colonies.
Le village bédouin de Khan Al-Ahmar est devenu le symbole de la lutte contre cette politique.
À quelques mètres seulement de la route qui relie Jérusalem à Jéricho, Khan al-Ahmar est peut-être en train de vivre ses derniers moments. Après des semaines d’allers retours entre la Haute cour de justice israélienne et le gouvernement de Benyamin Netanyahou, l’avenir de ce village bédouin de 173 âmes est de nouveau suspendu à une décision de justice.
Très médiatisé, il incarne aujourd’hui la résistance des communautés palestiniennes face à une politique israélienne bien décidée à faire table rase de leur présence en zone C. Située dans les Territoires occupés, l’armée et la police israéliennes ont tout pouvoir sur cet espace qui représente plus de 60 % de la Cisjordanie.
« Israël nous a d’abord proposé de nous installer près d’une décharge à ciel ouvert et maintenant ils veulent que l’on aille vivre près d’une usine de traitement des eaux usées. » À 65 ans, Eid Abu Khamis est le porte-parole de la communauté de Khan al-Ahmar.
La démolition du village empêchée une première fois
Né au village, il sert aujourd’hui d’interlocuteurs entre les Bédouins et les nombreux militants, journalistes et officiels qui viennent régulièrement leur rendre visite. Situé sur un terrain militaire, le village se bat depuis des années contre le gouvernement israélien qui considère que ses habitations ont été construites sans permis et doivent donc être détruites.
En mai dernier, la Haute Cour de justice israélienne a donné son feu vert à l’État pour la démolition du village. Mais grâce à une forte mobilisation nationale et internationale, celle-ci n’a finalement pas eu lieu et le plan de relocalisation des 173 habitants sur un terrain appartenant à la municipalité d’Abu Dis, à quelques kilomètres de là, a été provisoirement abandonnée. À la demande de la Cour de justice, le gouvernement israélien a proposé de déplacer la communauté sur un terrain, situé cette fois-ci à environ 500 mètres d’une usine de traitement des eaux usées.
Pour Eid Abu Khamis, ce nouveau plan, qui ne prévoit plus simplement le déplacement du village de Khan al-Ahmar mais aussi de trois autres communautés voisines, a tout d’une farce. « Le gouvernement israélien sait très bien que nous allons refuser de vivre dans de telles conditions. Sur ce terrain, la terre est trop salée, rien n’y pousse et nos bêtes ne pourront pas y paître. Et puis qui voudrait vivre à côté d’une usine d’où s’échappent des mauvaises odeurs toute la journée ? »
Hagai El Ad, directeur général de l’ONG israélienne B’Tselem, très impliquée dans la défense du village, est catégorique, la situation de Khan al-Ahmar n’a rien d’exceptionnelle. « À terme, le gouvernement israélien veut déplacer les Bédouins, mais aussi toutes les autres communautés qui vivent en zone C, vers les zones A et B (sous contrôle total ou partiel de l’Autorité palestinienne, NDLR). »
Khan al-Ahmar, un emplacement stratégique pour Israël
Selon l’ONG, au total, près de 200 communautés sont concernées. Située à seulement quelques kilomètres à l’est de Jérusalem, Khan al-Ahmar occupe une place stratégique. « La destruction de ce village et des communautés alentours ouvrirait un corridor pour Israël, allant de Jérusalem à la mer Morte et coupant de facto la Cisjordanie en deux, entre le nord et le sud », poursuit-il, persuadé que seule une forte mobilisation internationale peut le sauver.
Depuis le village, on aperçoit les premiers toits de Kfar Adumim, la colonie israélienne incluse dans le projet E1 : un vaste ensemble qui s’étend de Jérusalem jusqu’à l’est de Maale Adumim, l’une des plus grandes colonies de Cisjordanie où vivent près de 30 000 personnes. Le gouvernement israélien prévoit de construire un mur autour et de fait, de chasser toutes les communautés palestiniennes qui, comme Khan al-Ahmar, se trouvent à l’intérieur de ses frontières.
Alors que la communauté a une nouvelle fois rejeté la proposition israélienne, l’avenir du camp est désormais suspendu à une décision de justice. De sa survie dépend, en partie, l’avancée ou non des colonies israéliennes en direction de la mer Morte.
Une Cisjordanie morcelée
Au terme des accords d’Oslo (13 septembre 1993), le territoire de la Cisjordanie est composé de trois zones :
►Zone A : elle comprend, depuis 1994, Gaza ainsi que les villes de Jéricho,
Jénine, Qalqilya, Ramallah, Tulkarem, Naplouse, Bethléem, sur laquelle l’Autorité palestinienne exerce une juridiction civile incluant les pouvoirs de police.
►Zone B : elle comprend les autres zones de Cisjordanie dans laquelle l’Autorité palestinienne exerce des compétences civiles, la sécurité intérieure est exercée conjointement avec l’armée israélienne.
►Zone C : elle inclut les colonies israéliennes implantées en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, qui reste sous le contrôle de l’État hébreu.
Salomé Parent (en Cisjordanie)