Khader Adnan, un esprit et un corps en lutte assassiné par le système colonial

Khader Adnan
Photo : extraite de « Derrière les fronts »

Par Alexandra Dols

Aujourd’hui, la politique pénitentiaire israélienne a conduit à la mort Khader Adnan suite à une grève de plus de quatre-vingt jours.

Rares sont les exemples de prisonniers politiques qui se sont battus avec autant de détermination, d’endurance, de foi, d’amour héroïque de la liberté et de la dignité.

Initiant de nombreuses grèves de la faim parmi les Palestiniens détenus par Israël, il s’opposait notamment aux mesures de « détention administrative » qui permettent à l’occupant de multiplier les arrestations arbitraires et de prolonger les périodes de détention, y compris en l’absence de charges et de procès, de manière indéfinie.

Comme souvent, la majorité des médias français s’est contentée de relayer les mensonges israéliens, affirmant que Khader Adnane aurait refusé d’être soigné. Au contraire, peu avant son décès, il avait lui-même fait la demande d’être transféré dans un hôpital civil. Celle-ci a été rejetée par l’administration pénitentiaire coloniale, qui l’a également empêché de revoir sa famille.

A la douleur de la perte, s’ajoute ainsi l’outrage des mensonges diffusés par l’occupant et les médias complices.

Khader Adnane était l’une des personnes importantes qui interviennent dans le film documentaire « Derrière les fronts : résistance et résilience en Palestine ». Nous l’avons interviewé avec mon équipe en Palestine en 2015 après une autre longue grève de la faim qui avait, cette fois-ci mené à sa libération.

Cet homme avait une vision.

Un amour profond de la Palestine et de son peuple. Adossé à une foi inébranlable pour la légitimité de leur combat.

Une foi et une profonde spiritualité qui m’ont beaucoup marquée malgré le temps relativement court que nous avons passé en sa compagnie.

Malgré l’isolement à international qui frappe la résistance palestinienne, la lucidité et la réflexivité de Khader Adnane quant à la réception de son discours et de son image dans d’autres pays était d’une acuité perçante.

Extrait de l’interview réalisée en 2015 à Naplouse quelques jours après sa libération pour le documentaire Derrière les fronts :

« Cet entretien se fait au détriment de ma famille, de ma santé, de mon temps. Mais cela fait partie de mon message.
(Regard caméra. Dans une adresse au public français)
N’ayez pas peur de ma barbe. C’est un exemple du Prophète ― que la paix soit sur lui. Ne faites aucun lien avec Daech ou autre, surtout en France.
Mon peuple ne verra peut-être pas ce film, moi non plus. Combien d’Arabes et de musulmans le verront ? Mais je tente de faire sortir ma voix de Palestine, puisque je ne peux en sortir moi-même. »

Cette rencontre fait partie de celles qui m’ont le plus marquée dans ma vie. Ce n’est pas un hasard s’il est devenu une figure aussi populaire. Il a transcendé les appartenances aux différents groupes et tendances politiques. Son combat était celui de la dignité d’un peuple et de tous les prisonnier.es politiques.

Il y a un aspect fort lié à la rencontre dans le processus de documentaire. J’ai un lien particulier avec les personnes que je filme. Et ce n’est pas que leur image m’appartienne, mais dans un mouvement presque opposé, ils font partie de moi, ils entrent en moi ; ce qu’ils m’ont confié, leur parole devient une sorte de amana (un dépôt, un legs en arabe) de quelque chose de précieux dont je suis responsable.

Il nous a accordé des heures précieuses de son temps parce qu’il avait un message. À nous de le faire résonner et d’agir pour l’incarner. Sinon son sacrifice aura été vain.

Allah y rahmou, Paix à son âme.

Beaucoup d’amour à sa famille et au peuple palestinien en deuil et en lutte.

Toute l’équipe du film Derrière les fronts s’associe à la peine de la famille et à la colère du peuple palestinien. Entre autres : Samah Jabr, Charlotte Floersheim, Ali, Delphine Piau, Véronique Rosa, Mathias Comby, Sandrine Floch, Jean-Jacques Rue, Abderraouf Ouertani, Mariam Sallam, Skalpel, Karen Blum, Magali Marc.

Les derniers mots, je les laisse à sa femme Randa :

« Ils ne briseront jamais notre résolution et notre sumud, notre résilience. Le Sheikh croit que l’occupation peut être vaincue et qu’elle le sera effectivement, malgré le déséquilibre des forces. Ne permettez à personne de vous dire autre chose ! »

Retrouvez ici l’interview de Khader Adnane dans son intégralité.

Auteur : Alexandra Dols

Alexandra Dols est autrice, réalisatrice et performeuse.
Elle a réalisé des documentaires en France, en Algérie et en Palestine avec pour fil rouge la question de la libération de soi et de la libération collective.
Son site Web.

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