M. le Ministre de l’Intérieur
Vous avez assisté, lundi 6 octobre, à une simulation d’émeute par des gendarmes, dont vous avez salué le « bel esprit de service public ». Les images tournées par l’équipe du Petit Journal de Canal + à cette occasion révélaient peu après que ces agents des forces de l’ordre scandaient en réalité « 1, 2, 3, Viva l’Algérie ! », sans doute pour rendre la scène plus « réaliste » à leurs yeux. Des mots que vous n’aviez pas, d’où vous étiez situé, entendus.
Nous aurions pu, en attendant votre condamnation ferme et sans équivoque de ces faits, lancer une campagne humoristique avec des fiches thématiques adressées aux forces de l’ordre : « Se préparer face à un émeutier noir », « Interpeller un banlieusard », « Préparer une intervention dans un camp Rrom », « Les différences entre les casquettes et les bonnets rouges »… Mais passé un certain stade, le ridicule ne fait plus rire, il suscite la colère.
Peut-être n’avez-vous pas « entendu » parler, non plus, de ces policiers qui ont manqué de tuer un jeune père de famille à Metz en le passant à tabac le 29 août, le harcèlent, l’intimident et l’agressent régulièrement depuis pour obtenir les vidéos de l’incident ? Pourtant, sa vie est mise en danger par le formidable « esprit du service public » de certains vos agents.
Peut-être n’avez-vous pas non plus « entendu » parler des agents de police d’Arpajon, en Essonne, qui le 23 septembre dernier ont tabassé Raymond Gurême, 89 ans, Chevalier des Arts et des Lettres, rescapé des camps d’internement que la République a réservé aux Rroms de 1939 à 1946? Cette agression par vos agents du « service public » a pourtant suscité beaucoup d’émoi auprès des centaines d’européens venus l’entendre raconter son histoire de « Tzigane » français, interné, résistant et déporté, à Auschwitz Birkenau, un mois plus tôt.
Peut-être n’avez-vous pas « entendu » parler des morts dans le cadre ou des suites d’une interpellation, voire d’un transfert de détenu, d’une balle dans la tête, ou de « causes naturelles », en garde à vue, depuis votre prise de fonction ? Cela expliquerait peut-être pourquoi personne n’a été mis en examen, et pourquoi il n’y a toujours pas de réflexion sur une commission d’enquête particulière dans le cadre de crimes et délits commis par des agents de ce sacré « service public ».
Peut-être n’avez-vous pas non plus « entendu » parler des contrôles d’identité discriminatoires et abusifs que continuent de vivre vos concitoyens au quotidien, sans pouvoir les prouver ou obtenir un recours. Oui, votre prédécesseur, maintenant premier Ministre, avait balayé les réformes pour y mettre fin d’un revers de la main, les jugeant « trop compliquées », alors qu’elles garantissent le maintien du « sens du service public » dans nos pays voisins.
Peut-être enfin n’avez vous pas « entendu » parler du formidable élan, fidèle, sans doute, à « l’esprit du service public » qu’a eu le syndicat Unité SGP Police FO à Calais lundi 13 octobre, en appelant la population à s’unir face à l’afflux des « migrants », responsables selon eux d’une augmentation rapide de délits, alors que les autorités locales le démentent.
Monsieur le Ministre, votre surdité n’a d’égal que votre silence, qui ne peut qu’être lu comme un consentement tacite. Le message envoyé aux millions d’habitants d’un pays qui se targue d’être celui des Droits de l’Homme et du Citoyen est clair : le « service public » n’a vocation qu’à servir une partie des Français. Les autres – les Noirs, les Arabes, les Rroms, les « migrants », les Musulmans, les habitants de quartiers populaires, doivent se débrouiller, mais aussi se défendre seuls, car la France ne les a pas seulement abandonnés : elle encourage et applaudit leur mise en danger. »
Amal Bentounsi (Urgence Notre Police Assassine), Pierre Chaupinaud (La Voix des Rroms), Amadou Ka (Les Indivisibles), Fatou Meite (Stop le Contrôle au Faciès)