Joséphine Baker au Panthéon : un choix qui interroge?

Joséphine Baker au Panthéon : un choix qui interroge?
Josephine Baker sur la scène du Théatre du Jardin d’Hiver à New York, dans le spectacle « The Conga », en février 1936. La chanteuse et danseuse franco-américaine entre au Panthéon le 30 novembre 2021 à Paris. 
©AP Photo

Joséphine Baker avait deux amours, son pays, les Etats-Unis, et Paris, comme elle le chantait. Le choix de faire entrer cette artiste et résistante au Panthéon tourne une page historique en faisant d’elle la première femme noire à y parvenir, mais aussi la première femme franco-américaine. Un choix « pratique pour la France » qui peut susciter des interrogations, selon Maboula Soumahoro, chercheuse sur les diasporas africaines aux Etats-Unis. 

Joséphine Baker est née aux Etats-Unis. Victime de racisme chez elle, elle choisit l’exil en France, qui deviendra sa deuxième patrie, une nation qu’elle défendra en s’engageant dans la résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Mais ce n’est que lors de son mariage avec un Français qu’elle acquiert la nationalité française. La panthéonisation de Joséphine Baker représente donc un événement doublement inédit, car si elle est la première femme noire à figurer sous l’illustre coupole, elle devient aussi la première à ne pas être née en France à rejoindre la place des grands hommes. 

Maboula Soumahoro
Maboula Soumahoro, chercheuse à l’université d’Atlanta aux Etats-Unis jusqu’en janvier 2022. ©Patricia Khan/Villa Albertine

Pourquoi un tel choix ?, s’interroge Maboula Soumahoro, Franco-Ivoirienne, maîtresse de conférence, chercheuse sur les diasporas africaines-américaines, actuellement en résidence à la villa Albertine, à l’université d’Atlanta. Tout en reconnaissant la portée historique et incontestable de cette panthéonisation, l’autrice de Le Triangle et l’Hexagone. Réflexions sur une identité noire (La Découverte, 2020) propose un tout autre regard.


Entretien avec Maboula Soumahoro

Terriennes : que signifie pour vous l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker ? 

Maboula Soumahoro : Elle y sera la 6ème femme, et si elle a obtenu la nationalité française, à l’origine, sa citoyenneté est états-unienne. Cela pose la question de la spécificité de cette femme qui entre au Panthéon avec un double statut franco-américain. Elle sera la première femme noire à être panthéonisée, mais la question qui me saute clairement aux yeux est celle de sa nationalité d’origine. Sans compétition malsaine bien sûr, comment se fait-il que la première femme noire soit africaine-américaine ? Quelle est l’image positive dont ont pu jouir les Africain.es-américain.es dans cet espace français ?

Moi, cela ne m’étonne pas vraiment que le choix se soit porté sur une femme d’origine africaine-américaine. La date du 30 novembre fera date, c’est certain. Une date qui peut être facilement instrumentalisée. Et par l’opinion publique, et par les autorités, et par notre république. Une date qui peut se présenter comme tout à fait acquise à la cause des femmes et à celle des minorités, notamment raciales. Je trouve qu’il y a quand même une sorte de subterfuge que l’on doit prendre en compte. L’image des Africains-Américains en France a toujours été plus positive que celle des noirs issus d’autres nations, et même issus de cette république française. 

Terriennes : Joséphine Baker a joué un rôle en luttant contre la ségrégation raciale chez elle, aux Etats-Unis. C’est aussi un symbole…

Maboula Soumahoro : 
On sait qu’elle a participé à la fameuse marche d’août 1963 aux côtés de Martin Luther King, mais aussi d’autres militant-e-s.  Je pense que le combat mené par Joséphine Baker pour les droits civiques des noirs américains, et que son militantisme peut, depuis la France, être d’avantage accepté et célébré précisement parce qu’il se déployait sur sa terre d’origine, c’est-à-dire les Etats-Unis. En France, depuis longtemps, on a cette vision, en tout cas dans la France hexagonale – car pour ce qui est de l’outremer, c’est une autre question, dont on débat justement en ce moment – je pense à la Guadeloupe et à la Martinique. Il est facile de reconnaître et de s’intéresser à la question du racisme, et du racisme contre les noirs, lorsque ces questions se déploient en terre états-unienne. Ce n’est pas le cas lorsqu’elles se déploient en France hexagonale. 

J’ai beaucoup de connaissances, des personnes africaines américaines, qui se réjouissent de cette panthéonisation, et certaines feront même le déplacement. Mais moi, en temps que noire de France, j’ai une position bien plus ambivalente. 


Si je devais honorer des femmes, je penserais à la mulâtresse Solitude (…) ou bien encore à Paulette Nardal, ou n’importe laquelle des soeurs Nardal.


Maboula Soumahoro

Terriennes : si vous deviez proposer une autre femme noire pour entrer au Panthéon, à qui penseriez-vous ?

Maboula Soumahoro : Déjà, je ne sais pas si je suis d’accord avec cette idée de « panthéonisation » – l’idée de faire entrer héros ou héroïnes, un individu qui représenterait un ensemble pour porter un combat. Je pense que la question de l’individualisation peut interroger.

Si je devais honorer des femmes, je penserais à la Mulâtresse Solitude, qui est très célébrée en Guadeloupe, ce qui permettrait de mettre à l’honneur des territoires hors hexagonaux, ou bien encore à Paulette Nardal, ou n’importe laquelle des soeurs Nardal. En plus, elles faisaient partie de cette période historique. Je n’y ai pas vraiment réfléchi, mais je trouverais intéressant d’ancrer ce processus de fabrication de héros et d’héroïnes dans le territoire français véritable. Sinon on pourrait aussi penser à Suzanne Césaire, dont le mari, Aimé Césaire, a été panthéonisé. Son épouse a été aussi active, et pourtant moins connue, c’était une intellectuelle, elle a publié des analyses sur le monde, la France, la Martinique. On n’a qu’à regarder notre histoire de plus près pour s’apercevoir qu’on n’a pas besoin de traverser l’Atlantique pour célébrer ces actions.