Jérusalem : l’ultime provocation

Voici plusieurs mois que le régime israélien a amorcé une offensive très violente sur Jérusalem, qui vient couronner des années, de restructuration de la municipalité en dessinant ce qu’il appelle « le grand Jérusalem », d’épuration ethnique des quartiers palestiniens de la vieille ville (comme ceux de Silwan et Sheikh Jarrah) et de remplacement des habitants par des colons israéliens. Ce sont depuis juin dernier de véritables ratonnades qui se succèdent dans les rues de la ville, des ballons équipés de caméras de surveillance au dessus des quartiers arabes, du camp de réfugiés de Shouafat, des centaines de policiers ratissent la vieille ville, et 1060 nouveaux logements réservés aux colons israéliens dans les quartiers arabes viennent d’être annoncés.

C’est à présent l’esplanade des mosquées et la mosquée d’Al Aqsa elle-même qui sont visées. Des colons armés protégés par la police sont entrés plusieurs fois ces dernières semaines avec l’aval du gouvernement sur l’esplanade « pour prier ». [note]Ce faisant, ils contreviennent d’ailleurs aux lois religieuses juives qui interdisent aux croyants de fouler le sol de l’esplanade, puisqu’il n’est pas possible d’identifier le lieu précis où se tenait l’autel où la tradition indique que la présence divine se manifestait, et auquel seuls les grands prêtres Cohanim avaient droit d’accès. En 1967 lors de la prise de Jérusalem, le grand rabbin Kook exigeait que l’on retire le drapeau israélien placé par l’armée sur l’esplanade pour cette exacte raison, et Moshe Dayan obtempérait immédiatement. Mais le messianisme religieux qui prévaut aujourd’hui n’a cure de ce type de détail.]]

Devant la révolte ainsi provoquée par ces incursions régulières, des centaines de policiers sont entrés régulièrement à l’intérieur de la mosquée et ont tiré sur des manifestants ou croyants palestiniens. L’accès de la mosquée totalement interdit pendant plusieurs jours aux Palestiniens qui priaient dans la rue sous les charges de la police, vient d’être rétabli, interdit aux moins de 50 ans. Des projets se discutent au parlement : diviser la mosquée pour permettre l’accès des juifs religieux sur une partie. L’objectif des partis colons n’est rien moins que la destruction de la mosquée pour pouvoir reconstruire « le » temple sur l’emplacement. [note]Le rapport de l’ONG Ir Amim de mars 2013 intitulé « liaison dangereuse : les dynamiques de développement des mouvements du temple et leurs implications », montre les liens étroits de plusieurs ministères israéliens, notamment celui de l’éducation, et de nombreux parlementaires avec ces mouvements, leurs fondations et ONG chargées d’imprégner la société israélienne de la nécessité de récupérer le lieu du temple.
https://www.ir-amim.org.il/en/policy_papers/dangerous-liaison-supplement-1

Après l’échec du dernier round de négociations de paix, l’échec de l’offensive meurtrière sur Gaza qui a enflammé les sociétés civiles mondiales contre cette politique de la terre brûlée, l’absence totale de stratégie et d’horizon du gouvernement israélien, s’en prendre aux lieux saints musulmans de Jérusalem est une façon de généraliser le conflit, de redistribuer les cartes plus largement, à l’ombre de l’offensive occidentale en cours au Moyen Orient contre l’Etat Islamique. Le régime se positionne ainsi en quelque sorte comme partie prenante dans son secteur de l’offensive contre l’Etat Islamique. Netanyahu ne s’est pas privé de déclarer à plusieurs reprises publiquement, y compris à l’ONU que Hamas, Hezbollah, Daesh, c’était la même chose. Une façon de « noyer le poisson » dans un cadre moyen oriental large où plusieurs puissances alliées interviennent tout en avançant sur le terrain vers les objectifs nationalistes messianistes du grand Israël et de sa capitale éternelle. Ces faits ne peuvent que propager l’idée d’une guerre sainte entre musulmans et juifs, bien au-delà de la question politique du partage de Jérusalem. Autre façon d’élargir les limites du conflit territorial, ce sont les juifs et les arabes du monde entier qui devraient aujourd’hui entrer en guerre de religion.

Une situation ressemblante s’était déjà produite l’été 2000, alors qu’il devenait clair que Camp David 2 serait un échec : c’est la question de Jérusalem et spécifiquement de la souveraineté sur et sous l’esplanade des mosquées qui avait été mise sur le tapis. Yasser Arafat avait alors indiqué qu’il refusait de prendre la responsabilité de transformer un conflit politique en conflit religieux. Et en septembre, la provocation qui devait allumer la mèche de la 2e Intifada était conduite par Ariel Sharon qui venait « visiter » la mosquée d’Al Aqsa protégé par des centaines de policiers, avec l’aval du gouvernement Barak. Là aussi c’est par le lieu saint musulman que s’était jouée la redistribution des cartes, et le changement de temps dans le conflit.

Les « fermes condamnations » politiques et le peu d’écho médiatique sur ce qui se passe en ce moment à Jérusalem ne peuvent que nous inquiéter. Les Palestiniens sont seuls, leurs alliés accaparés par les troubles politiques post révolutionnaires, les puissances occidentales sont focalisées sur Daesh et un Moyen Orient en guerre permanente dans la continuité de la politique du chaos néoconservatrice. Israël veut peut-être faire croire qu’il mène à Jérusalem une de leurs batailles. Personne ne peut sortir gagnant d’un tel conflit, mais surtout la dimension religieuse que veut lui donner aujourd’hui Israël menace bien au-delà de l’espace moyen oriental tous les espaces occidentaux du monde. Une telle action ne peut manquer d’évoquer le « complexe de Samson » détruire son ennemi même si le prix est sa propre destruction.

Le Bureau national de l’UJFP considère qu’il est de la plus haute importance aujourd’hui de porter un message clair : pas de guerre sainte contre les droits du peuple palestinien.

Le BN de l’UJFP, le 5 novembre 2014

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