Le Centre culturel juif « Simone Veil », le CRIF, avec le soutien de la Région Occitanie, le Département de l’Hérault, la Ville de Montpellier et « l’Agence Juive pour Israël » s’apprêtent, comme chaque année, à célébrer, le 25 juin, la « journée de Jérusalem » et les 40 ans du jumelage entre Montpellier et Tibériade.
Il est pour le moins surprenant que les autorités municipales ignorent à ce point le droit international. L’occupation et la colonisation des territoires conquis par Israël en 1967 est illégale. La résolution 242 de l’ONU votée il y a 56 ans exige le retrait des territoires palestiniens occupés. L’annexion de Jérusalem Est dont la superficie a été considérablement agrandie est toute aussi illégale. Et l’installation de 800000 colons au-delà de la « ligne verte », la frontière internationalement reconnue, constitue un crime de guerre.
L’appel à cette manifestation fait référence à l’archéologie. Celle-ci dit pourtant que les épisodes de la Bible sur le royaume unifié de David et Salomon sont largement légendaires. Plusieurs peuples avec des religions différentes vivaient sur cette terre à l’époque présumée de ce royaume. Pourtant aujourd’hui, à Jérusalem Est dans le quartier de Silwan, l’occupant vole régulièrement les maisons et les terrains des Palestiniens et les expulse pour célébrer une prétendue « maison du roi David », un « parc du roi David », un « musée du roi David ». Un téléphérique est même en construction pour parachever la colonisation de ce quartier.
L’appel à cette célébration réécrit totalement l’histoire. On est en plein déni de l’existence, de la mémoire et des droits du peuple palestinien. Les Juifs d’aujourd’hui ne sont pas les descendants des Judéens de l’Antiquité. Ils descendent majoritairement de convertis de différentes régions du monde et de différentes périodes. La notion de « peuple juif » est religieuse, elle ne signifie en rien une idée d’ascendance ou de nation.
Les descendants des Judéens de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens qui ont été tour à tour majoritairement de religion juive, chrétienne puis musulmane. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, la Palestine comptait en gros 80% de Musulmans, 15% de Chrétiens et une petite minorité de Juifs. Quand bien même les Juifs d’aujourd’hui seraient les descendants de ceux de l’Antiquité, cela ne confère aucun droit à une conquête coloniale et à l’expulsion du peuple autochtone.
Les Juifs Palestiniens vivaient en bonne harmonie avec leurs voisins musulmans ou chrétiens et ne désiraient en aucun cas un « État juif ». En 1924, les sionistes assassinent Jacob De Haan, un Juif palestinien qui s’opposait à la déclaration Balfour. L’appel à la journée du 25 juin refait l’histoire de la guerre de 1948. Les historiens israéliens, qu’ils soient sionistes (Benny Morris) ou non sionistes (Ilan Pappé, Avi Shlaïm, Shlomo Sand, Tom Segev), ont confirmé ce que les historiens palestiniens (Walid Khalidi) avaient toujours dit : les Palestiniens ont été victimes d’un nettoyage ethnique prémédité qui a commencé dès le vote du plan de partage de novembre 1947. En tout, 800000 Palestiniens ont été expulsés et plusieurs centaines de villages ont été détruits et effacés de la carte. La moitié des expulsés l’ont été avant l’entrée en guerre des pays arabes voisins le 15 mai 1948. Et cette guerre a été ponctuée de nombreux massacres de la population civile (Tantura, Deïr Yassin).
Ceux qui célèbrent le jumelage avec Tibériade ne lisent manifestement pas l’excellent quotidien israélien Haaretz. Moshé Gillad y décrit comment la ville a été prise par la Haganah le 18 avril 1948, comment la population palestinienne dans sa quasi totalité a été expulsée, et comment immédiatement l’occupant a détruit mosquées et églises pour effacer les traces des habitants de Tibériade. Toujours la préoccupation de réécrire un roman national qui n’est pas l’histoire de ce qui c’est passé.
Même amnésie sur la guerre de 1967. Il n’y a plus de débat chez les historiens sur le fait que celle-ci était préméditée de longue date par l’armée israélienne. La colonisation a été immédiatement décidée. Et un nettoyage ethnique ethnique a immédiatement été entrepris dans la vieille ville de Jérusalem autour du Mur des Lamentations.
La Palestine est le pays des trois grandes religions monothéistes. Jusqu’au début de la conquête sioniste, elles vivaient en bonne intelligence comme en témoigne la composition du Conseil municipal de Jérusalem à la fin de la période Ottomane. Pendant deux millénaires, l’histoire juive se déroule ailleurs : en Espagne, en Pologne, en Irak, en Lituanie, au Yémen, au Maghreb, en Allemagne, à Montpellier … « L’an prochain à Jérusalem » ne signifie pas que les Juifs veulent s’y rendre pour y construire un État, mais que leurs pensées sont tournées vers Jérusalem. Les pèlerinages juifs ont été rares avant le XIXème siècle.
Pour les Musulmans, le Dôme du Rocher et Al Aqsa constituent leur troisième Lieu Saint. Vouloir faire de Jérusalem une ville uniquement juive n’est pas seulement un crime contre sa population, c’est une falsification.
Le texte d’appel au 25 juin manipule aussi la religion juive. Il faut déjà rappeler que ceux qui ont créé l’État d’Israël étaient majoritairement athées ou agnostiques. Ils ont utilisé une Bible à laquelle ils ne croyaient pas comme un livre de conquête coloniale. Jusqu’à 1960, la conception majoritaire des religieux juifs n’est pas territoriale et ceux-ci n’ont pas participé à la guerre de 1948. Pour beaucoup de religieux, le Messie n’est pas arrivé et il est interdit de retourner en Terre Sainte avant son arrivée. Les Juifs chassés d’Espagne au XVème siècle et accueillis dans l’Empire Ottoman iront à Salonique, à Smyrne, à Sarajévo, à Safed en Galilée (où les synagogues séfarades témoignent de la cohabitation avec la population musulmane), mais pas à Jérusalem. La conception ultranationaliste de la religion juive qui explose après 1967 et va donner une « justification » religieuse à la colonisation représente pour le Judaïsme ce qu’est l’Inquisition pour le Christianisme ou Daesh pour l’Islam.
Donc la « Jérusalem éternelle » ne peut pas appartenir à des suprémacistes et à des colons. Elle est et a toujours été multiculturelle. Il est assez incroyable que ceux qui organisent la « journée de Jérusalem » ne disent rien de la « Marche des drapeaux » qui s’est déroulée dans cette ville le 18 mai dernier : des milliers de manifestants israéliens sillonnant la vieille ville, attaquant passants et échopes en hurlant « Mort aux Arabes ». Une vraie « journée de Jérusalem » devrait rappeler que, pour les Juifs comme pour toute l’humanité, racisme, suprémacisme, occupation et pogrom sont des maux absolus.
Pierre Stambul
porte-parole de l’UJFP