Le camp de réfugiés de Jénine s’est levé contre l’occupant. Il y a eu la période des intifadas, avec notamment la brigade des martyrs d’Al-Aqsa, dont le chef, Zakaria Zubeidi a finalement décidé de déposer les armes et de passer à la résistance culturelle. Ainsi a été fondé le théâtre de la liberté de Jénine, en 2006. Cette troupe a fortement marqué la résistance culturelle palestinienne, alliant politique et culture dans une expression originale qui permet, depuis bientôt 20 ans, à des enfants, des jeunes et des adultes d’entrevoir autre chose du monde que l’enfermement physique et moral auquel Israël les contraint. La qualité du travail théâtral a largement dépassé les frontières du camp, de la ville et de la Palestine, pour atteindre une notoriété internationale, au point que la pièce phare de ces dernières années, And Here I Am, a été jouée quasiment dans le monde entier (Festival d’Avignon 2024). Juliano Mer Khamis, le fondateur du théâtre avec Zakaria Zubeidi (et Jonatan Stanczak) avait appelé à une intifada culturelle, invocation reprise en 2024 par celui qui était alors le directeur artistique du Freedom Theatre, Ahmed Tobasi.
L’intifada se mène aussi les armes à la main. C’est ce qu’ont voulu et réalisé des jeunes du camp depuis quelques années, épuisés, découragés, de ne voir aucune perspective de changement politique de la situation. Comme à Naplouse et dans d’autres camps de réfugiés et villes, ils se sont affrontés à l’armée israélienne. En réponse, celle-ci a tenté de tenir le camp sous sa violence : invasions brutales, devenues quotidiennes depuis 2023. Cette année l’armée a entrepris de démolir méthodiquement le camp : rues éventrées par des bulldozers qui démolissent aussi des maisons, lieux symboliques détruits, pillages notamment dans les bâtiments du Freedom Theatre mais dans bien d’autres aussi. La population est terrifiée, certaines familles s’enfuient. La terreur règne. Mais les combattants ne se rendent pas.
Et voilà qu’Israël a délégué la charge de la répression à l’Autorité Palestinienne. Les forces armées de l’AP sont intervenues au cours de 16 jours d’attaques, en plus des incursions quasi hebdomadaires de l’armée israélienne. Elles n’ont pas hésité à tuer. Les chiffres varient selon les interlocuteurs : le 27 décembre la direction du théâtre indiquait que six personnes avaient été tuées et que des bâtiments brûlaient, certains à cause d’incendies allumés par les troupes de l’Autorité palestinienne. « Le 28 décembre, un sniper lié à l’Autorité palestinienne a tiré sur une jeune femme Shatha Sabagh, qui étudiait pour devenir journaliste ; c’est arrivé alors que Shatha sortait de sa maison avec son neveu, puis elle a été blessée par un coup de feu à la tête, elle a été emmenée en ambulance à l’hôpital, après cela, les médecins de l’hôpital gouvernemental ont annoncé sa mort » (message d’Adnan Naghnaghiye, directeur par intérim pendant que Mustafa Sheta, le directeur est en détention administrative depuis un an).
Les rapports d’OCHA révèlent que depuis le 5 décembre, l’opération de l’AP à Jénine a causé l’arrestation de 60 Palestiniens et la mort de huit autres : quatre non armés, dont deux enfants. Les services de l’UNRWA sont suspendus, n’ayant pu accéder aux établissements d’éducation et de santé ; les écoles sont closes, les commerçants ont fermé boutique, une grève a été observée.
L’Autorité Palestinienne ose tirer sur des citoyens palestiniens, montrant ainsi le vrai visage de la collaboration. Et, plus inquiétant, cela signale à quel point la société palestinienne est démantelée, profondément minée par la guerre que lui fait le gouvernement colonial israélien – ce qu’on voit aussi à Gaza où des voyous gazaouis volent l’aide humanitaire, contribuant ainsi à affamer la population (des bébés sont morts de froid et de faim).
Mais à Jénine, la solidarité domine. Les habitants sont révoltés par la brutalité des forces de l’AP qui vient renforcer celle de l’armée israélienne. Même ceux qui ne se battent pas se tiennent aux côtés des jeunes des brigades combattantes. Ils ne vont pas gagner, c’est sûr, ni contre l’armée ni contre l’AP. Mais ils défendent la dignité du peuple palestinien sauvagement attaqué sans que le monde ne fasse quoi que ce soit pour elle. Au contraire, les grandes puissances occidentales sont à la source de la violence coloniale par les armes qu’elles livrent à Israël, par le dévoiement de l’Autorité Palestinienne, par les financements de l’Union Européenne pour la recherche militaire (souvent déguisée en recherche civile), par le droit de veto à l’ONU et le cirque tragique du Conseil de Sécurité de ces « Nations Unies ».
Le Freedom Theatre ne peut mener les activités d’éducation culturelle et théâtrale habituelles auprès des enfants et des jeunes et encore moins donner des spectacles. S’il déplore l’aggravation extrême de la vie dans le camp, il apporte sa contribution de résistance culturelle à la résistance armée qui tient bon et déclare : « Dans la situation que nous vivons, l’aide dont nous avons besoin est de parler de cette situation, la pire que nous vivons, sans électricité, sans eau, et la plupart des personnes tuées dans le camp de réfugiés de Jénine sont des civils. Nous demandons de faire cesser le siège sur le camp de réfugiés de Jénine ».
La Coordination nationale de l’UJFP, le 30 décembre 2024