« Je regrette que l’antisémitisme ne soit associé qu’aux personnes issues de l’immigration coloniale et à l’extrême-gauche », Simon Assoun de l’UJFP

Interview par Nadir Dendoune le mercredi 3 octobre 2018

Simon Assoun est membre du Bureau national de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix), une association connue pour son combat anticolonialiste.

Ce jeudi 20 septembre, des tags antisémites sont découverts sur la porte d’entrée d’un immeuble de la rue Ordener, dans le 18ème arrondissement de Paris. Il est écrit: « Ici vivent des ordures juives, notamment au troisième ». Le message est accompagné d’un dessin de croix celtique, symbole utilisé par les groupes néo-fascistes et par l’extrême-droite nationaliste. Simon Assoun regrette qu’aujourd’hui l’antisémitisme ne soit associé qu’aux classes populaires issues de l’immigration postcoloniale et à l’extrême-gauche.

Simon Assoun, membre de l’Union Juive Française pour la Paix, une association connue pour son combat anticolonialiste.

Que pensez vous des tags antisémites qu’on a retrouvés sur la porte d’entrée d’un immeuble de la rue Ordener, dans le 18ème arrondissement de Paris ?

C’est un acte d’une grande violence qui porte incontestablement la marque d’une extrême-droite active. Évidemment, tout le monde le condamnera. Mais les enjeux auxquels nous sommes confrontés demandent plus que de simples condamnations morales et d’appels à la justice.

On ne peut pas faire comme s’il ne se passait rien de plus qu’un fait isolé. La banalisation de l’extrême-droite, c’est le produit de politiques concrètes menées depuis les deux dernières décennies. L’extrême-droite a pu se reconstruire à la faveur des politiques migratoires racistes, du développement de l’islamophobie, des débats autour de « l’identité nationale », de la criminalisation des classes populaires.

Prendre le problème de l’extrême-droite à la racine, c’est assumer le combat contre les politiques qui le nourrissent.

Vous regrettez qu’aujourd’hui l’antisémitisme ne soit associé qu’aux classes populaires issues de l’immigration postcoloniale et à l’extrême-gauche.

Oui, effectivement. C’est à la fois une impasse et un piège lourds de conséquences. Déjà, cela ne permet pas de constater que les milieux dans lesquels les opinions judéophobes progressent le plus sont les milieux d’extrême-droite, ni de comprendre la circulation des préjugés anti-juifs d’un milieu à un autre, et donc leur persistance.

Des idées comme « les Juifs ont de l’argent » ou « les Juifs ont du pouvoir », que l’on retrouve dans la plupart des agressions judéophobes, sont bien issues du répertoire classique de l’antisémitisme occidental.

Que certains auteurs d’actes judéophobes soient issus de l’immigration ne change pas la nature des idées qui sont derrière. L’antisémitisme qui sévit à travers les meurtres d’Ilan Halimi et de Mireille Knoll, c’est bien le même antisémitisme que celui des tags de la rue Ordener.

Pour vous, le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) a sa part de responsabilité dans la montée de l’antisémitisme…

Oui. Le CRIF a une double responsabilité. En engageant l’ensemble de la communauté juive dans un soutien inconditionnel et systématique à l’Etat israélien, le CRIF participe directement à l’importation du conflit israélo-palestinien, à l’identification des Juifs de France aux soldats israéliens. Cela participe à la circulation d’idées judéophobes et expose les Juifs issus des classes populaires à des formes de violence.

D’autre part, le CRIF fait preuve d’un suivisme déroutant vis-à-vis des tendances politiques nationales. En restreignant la lutte contre l’antisémitisme à un certain type de judéophobie, le CRIF participe à la dédiabolisation de l’extrême-droite.

Son président Roger Cukierman n’exprime rien d’autre lorsqu’il qualifie Marine Le Pen de « personnellement irréprochable ». Il oublie qu’avec Marine Le Pen progressent également les nostalgiques du IIIe Reich.

Vous êtes une autre « parole juive » et pourtant on vous entend si peu. Comment l’expliquez-vous ?

Pour le comprendre il faut remonter un peu dans l’histoire. La diversité politique du judaïsme français s’est considérablement affaibli depuis la seconde moitié du 20ème siècle.

Il y a d’abord eu le génocide et l’anéantissement du monde juif européen, lequel nourrissait de nombreuses générations d’intellectuels, de militants et d’artistes aux idées progressistes, pour ne pas dire révolutionnaires.

Jusqu’au tournant des années 1950, le judaïsme français montrait de nombreux visages : il pouvait être bundiste ou communiste, sioniste ou anticolonialiste, orthodoxe ou libéral.

L’établissement de l’Etat israélien est venu remplir le vide laissé par le génocide. L’identité juive a pu se reconstruire, mais au prix de la marginalisation des voix juives progressistes ou critiques vis-à-vis de l’Etat d’Israël, en même temps que se reconstituaient des institutions représentatives juives conservatrices.

Quand, en tant que Juifs, on parle de racisme d’Etat en France, du colonialisme et de l’oppression en Palestine, de la légitimité et de la nécessité de lutter ici et là-bas, effectivement on se fait tout un tas d’ennemis qui n’ont pas forcément intérêt à ce que l’on nous entende. Car la « parole juive » que l’on porte est effectivement une parole de rupture avec ce système, une parole à contre-courant des idées dominantes et qui propose une porte de sortie. Nous subissons à la fois l’hostilité des autorités publiques et celle des institutions juives officielles.

Comment lutte-t-on efficacement contre l’antisémitisme ?

Lutter contre l’antisémitisme, c’est d’abord bien identifier le mal que l’on combat. Comprendre d’où il vient, comment il persiste et se reproduit. Et, surtout, de bien identifier les enjeux. On ne peut pas séparer la lutte contre l’antisémitisme des autres luttes antiracistes. Prendre le problème de l’antisémitisme à la racine, c’est assumer le combat contre l’islamophobie, les politiques migratoires, la relégation des « quartiers populaires » etc.

Bien qu’il s’agisse d’oppressions différentes que l’on pourrait analyser séparément, le terrain de la lutte n’est pas celui de l’analyse.

Les Juifs ne gagneront pas ce combat tout seul. Plus le CRIF engage l’ensemble des Juifs dans un soutien inconditionnel à Israël, plus la tâche de déconstruire les préjugés et les amalgames judéophobes est compliquée.

En tant que minorité, les Juifs ont tout à gagner à cultiver les solidarités avec les autres minorités. Il faut donc inlassablement déconstruire préjugés et amalgames, par le dialogue, les rencontres mais aussi et surtout par des luttes communes.

Dans cette perspective, le combat contre l’antisémitisme est pour moi indissociable de la défense des droits légitimes et fondamentaux des Palestiniens. Il s’agit du combat contre l’impérialisme, le colonialisme, pour l’égalité des droits. Les gouvernements israéliens affirment agir au nom des Juifs du monde entier.

Qu’on le veuille ou non, on est, en tant que Juif, embarqué dans cette histoire. On ne peut pas être contre le racisme ici, et le soutenir là-bas. Être Juif et antisioniste, c’est à la fois soutenir la lutte des Palestiniens contre l’oppression et défendre la possibilité d’un judaïsme émancipé de l’idéologie et de la politique d’un État. C’est le moyen le plus efficace pour se défaire des préjugés qui nous empoisonnent.


sa2.jpg Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Après un passage au Parisien, à M6 et à France 3, il travaille régulièrement pour le Courrier de l’Atlas depuis 2013. Il est par ailleurs réalisateur de documentaires et auteur. Son dernier livre « Un tocard sur le toit du monde » a été adapté pour le cinéma et sortira sous le titre « L’ascension » début 2017.